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Antoine Heerah, chef du Chamarré à Montmartre
Accord culinaire en agrumes majeur

Au Chamarré à Montmartre, Antoine Heerah nous délivre sa passion : dénicher des saveurs et sublimer l’œuvre des producteurs qui le fournissent. Les légumes d’Annie Bertin, les agrumes du couple Bachès, les produits de la mer de chez Jo Loussouarn s’entremêlent au gré des épices et des fleurs. Un mélange à surprendre le palais.

Fld : Vous êtes toujours à l’affût d’un produit particulier, d’une perle rare ?
Antoine Heerah :
Non, ce n’est pas être à l’affût, c’est être passionné. Dans la passion, on fait des essais et puis on se rend compte que cela a porté ses fruits des années plus tard. On n’est pas dans une accumulation de choses. Moi, je fais des restaurants pour faire éclore mes idées en cuisine. Mais vous voyez, cela peut venir de la rencontre avec des producteurs. Par exemple, je suis parti il y a un mois et demi avec deux de mes amis en Espagne et en Italie. On a fait tout un périple pour découvrir des produits de folie, et vous rencontrez des gens qui sont totalement passionnés et ce qui est fantastique c’est qu’avec le web, cela leur permet d’être en connexion avec le monde entier en un seul clic.

Fld : Vous choisissez vous-même vos fournisseurs ?
A. H. :
Oui, tout le temps. Là je reviens d’un mois de tractations pour trouver de nouveaux produits. Paradoxalement, malgré la crise on a plus de facilité aujourd’hui à obtenir des produits très recherchés. Avec Internet il y a une proximité qui se fait quasiment dans l’instant. Dans la tête des gens, l’Europe existe réellement, on peut s’échanger des marchandises sans trop de problème malgré les frontières.

Fld : Vous sublimez les agrumes, pourquoi ? D’où cela vous vient-il ?
A. H. :
Je vais vous parler de citron caviar, ou encore du yuzu, très à la mode actuellement… Sait-on que Michel Bachès* a permis à ce citron d’exister en Europe ? Personne. Même les Japonais et les gens d’Océanie, à l’origine de sa culture, ne le valorisent pas en frais. Ici, on le trouve en bouteille, en jus pasteurisé, lyophilisé, en marmelade… Peu de gens le connaissent. Donc il a fallu visualiser ce produit, pour ensuite valider sa commercialisation via les Japonais, via des produits alimentaires japonisants, sud-coréens, taïwanais. Et puis, si l’on creuse plus avant, dans la famille des agrumes et plus particulièrement des yuzus, il n’y en a pas un mais plus de trente ! Si je prends la collection de Michel Bachès, il y a un milliard de choses que je ne commercialiserai jamais, que je garde pour moi, mais c’est lui qui m’a permis d’accéder à tout cet univers-là.

Fld : Depuis quand travaillez-vous les fruits de chez Michel Bachès et qu’est-ce que cela a changé dans votre manière de cuisiner ?
A. H. :
Je l’ai rencontré il y a quatre ans déjà. Avant je voyais les agrumes par le petit trou de la serrure. Je les voyais juste en fonction de ce que je pouvais avoir sur le marché en agrumes, c’est-à-dire les cédrats en saison, les citrons de Menton, les oranges, les pamplemousses, les citrons verts… Et puis j’apportais mon univers “Océan Indien”, c’est-à-dire les pickles, les chutneys à base d’agrumes, les achards….


Antoine HeerahFld : Comment sublimez-vous les moments d’utilisation où les produits ont le plus de saveurs ?
A. H. :
Je vais vous donner un exemple. Michel Bachès est le premier à produire du citron caviar en France et c’est lui qui en produit le plus. Il n’a pas cherché à avoir le label bio, parce que si sur 30 % de son exploitation il ne traite pas, il perd tout et en particulier des agrumes provenant d’Océanie : citrons caviars, citrons d’Australie…. C’est assez logique puisqu’il a forcé ces variétés à s’adapter au terroir [les Pyrénées-Orientales, NDLR]. Il a forcé la nature en quelque sorte. Maintenant, un tel engouement est né autour du citron caviar que même les Marocains, les Tunisiens, les Egyptiens lui achètent ces variétés. Dans cinq ans, le marché va être inondé par ce fruit incroyable, qui demande un travail d’orfèvre dans les vergers. Alors, certes c’est un produit cher, mais il y a une telle magie dans ce fruit, cela fait comme des petites billes à l’intérieur. Et depuis cinq ans que je le travaille, pas une seule fois nous n’avons parlé de prix. Parce qu’il y a une telle énergie derrière, pour donner cette texture et cette saveur, que jamais je ne lui en parlerai.

Fld : Avec cet engouement n’y a-t-il pas un risque d’uniformisation du goût ?
A. H. :
Entre un produit réalisé par un artisan tel que Michel Bachès et une production davantage “industrielle”, je reste persuadé que ces deux produits peuvent coexister, mais évidemment pour des finalités différentes. On ne parle alors plus de la même chose, plus de la même réalité. Ce producteur d’agrumes, je vous assure, si un jour il disparaît, j’arrête de travailler les agrumes…. Ce qui m’intéresse c’est son regard sur le produit. C’est la même chose avec Annie Bertin, maraîchère installée en Bretagne à 30 km de Rennes. Avant qu’on ne travaille ensemble, elle approvisionnait déjà d’autres chefs et un des premiers à l’avoir découverte, c’est Olivier Roellinger à Cancale. Ce qu’elle propose est réellement hallucinant. Il faut être dans son monde et ne pas se poser de questions quant à la culture plein champ pour de petites salades alors qu’elle pourrait les travailler sous serre. Et ces petits détails font qu’elle délivre quelque chose qu’on ne trouve nulle part ailleurs.

Fld : Vous avez un référent à Rungis ?
A. H. :
Non. Il n’y a rien de plus performant qu’Internet ! Aujourd’hui,certains classent les produits, ce n’est pas moi qui les découvre, on m’en parle. Regardez [il prend son portable], je viens de recevoir un message « Bonjour Antoine, je suis un ami du couple de producteurs de pommes de terre de l’île de Quemenez au large d’Ouessant. Ils aimeraient te faire découvrir leur production de pommes de terre insulaires. Veux-tu les goûter ? Si oui, ils te les envoient en colissimo. Il n’y a pas de démarche commerciale, c’est juste pour les goûter, dis-moi ». C’est typiquement le genre de message que je reçois.

Fld : Ces pommes de terre d’Ouessant, vous allez les tester ?
A. H. :
Oui, tout de suite je dis oui. Même si cela ne m’intéresse pas à terme, je suis obligé de dire oui !

Fld : Par passion ?
A. H. :
Parce que mon ami sait que je vais dire oui. Le message est long, je ne peux pas dire autre chose que oui ! J’aime bien aller en salle rencontrer les convives, je fais ainsi le lien entre l’amour que je porte aux produits et les gens qui me les ont fait déguster, la façon de les transformer et les gens qui les consomment. Je raconte une histoire.

Fld : Vous avez participé à la Semaine du goût l’an passé. Vous avez aimé cet échange avec les enfants ?
A. H. :
Cet exercice est vraiment important. Il y avait une forme de pédagogie pour se mettre à la portée des enfants. J’ai apporté des produits pour titiller leur curiosité et ce qui est fantastique, c’est cette proximité. Il y a des gamins qui ne vous oublient pas. Je n’avais pas prévu cela ! Et cela fait prendre conscience de notre rôle. Un rôle privilégié dans ce métier, nous sommes les témoins de choses essentielles et rares. Quand je vais voir des producteurs en Galice qui cueillent des petits pois à la rosée pour qu’ils aient ce croquant si particulier qui donne une fraîcheur incroyable, cette impression de manger de la pluie tellement c’est bon, tellement c’est léger, minéral, floral… Aujourd’hui cette proximité est souvent masquée.

Fld : Et ce goût si particulier, vous arrivez à le retrouver ?
A. H. :
Non, c’est unique. Mais si je prends le cas du citron caviar, pour que je l’aie comme il est là, j’ai besoin derrière d’avoir toutes les attentions du monde de Michel Bachès pour faire en sorte que mon colis de fruits soit le meilleur possible, qu’il ait toute cette préciosité. Mais, souvent on associe la gastronomie au luxe et au fait que ce qui est rare est cher.

Fld : Quel peut être votre rôle pour lutter contre cela ?
A. H. :
Expliquer. Faire en sorte que ce message soit audible. Je suis le premier à me battre contre cette idée de la gastronomie associée au luxe, parce que je suis un boulimique. J’adore être témoin et de pouvoir transmettre. Et la gageure c’est d’arriver à séduire les gens pour qu’ils comprennent, qu’à travers mon récit, je suscite l’envie. Si je prends Michel Bachès, s’il existe aujourd’hui c’est le fruit de quarante ans de travail, où il s’est placé en opposition, il a suivi son idée mordicus : avoir une collection agrumicole plus belle encore que celle de l’INRA !

Fld : Et comment fait-on pour démocratiser cette collection tout en la protégeant ?
A. H. :
Il faut faire confiance au marché. Pour valoriser un produit, par exemple une bergamote, un citron caviar, certains, comme Alain Ducasse, commencent à les mettre en avant.

Fld : C’est ici, au Chamarré que vous testez ces nouvelles saveurs ?
A. H. :
Ici, c’est ma référence. C’est là que je fais intervenir le plus de nouvelles choses. J’ai l’équipe qu’il faut pour cela. J’ai un chef qui me suit, c’est réellement un bras droit, la seule chose qu’il ne fait pas aujourd’hui à 100 %, c’est la carte et la validation des commandes.

* Michel et Bénédicte Bachès, pépiniéristes à Eus (Pyrénées-Orientales), possèdent l’une des collections d’agrumes des plus importante de France avec 150 variétés produites.

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