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Fromages au lait cru : une nécessaire approche globale des risques et bienfaits

Les fromages au lait cru sont riches d’une biodiversité fromagère porteuse de naturalité, de bénéfices santé et d’histoire. Le Cnaol, l’Inao et l’Inrae ont mis en lumière les réflexions et les travaux lors d’un colloque à Aurillac.

Depuis la diffusion en avril 2019 d’un avis de la direction générale de l’alimentation (DGAL) déconseillant la consommation de fromage au lait cru aux enfants de moins de cinq ans, les filières fromagères se mobilisent pour tenter de contrebalancer une réglementation jugée trop hygiéniste et anxiogène. Pour mettre en avant les bienfaits du lait cru, le Conseil national des appellations d’origine laitières (Cnaol), l’Institut national de l’origine et de la qualité (Inao) et l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae) ont réuni scientifiques, producteurs de fromages et autorités sanitaires les 16 et 17 novembre 2023 à Aurillac (Cantal) pour appeler à appréhender la consommation de fromages au lait cru non plus seulement sous l’angle des risques mais aussi des bénéfices.

En France, 16 % des fromages affinés et plus de trois quarts des fromages AOP sont au lait cru. Mais « les fromages au lait cru sont trop considérés d’un point de vue sanitaire, regrette Hubert Dubien, président du Cnaol. C’est trop réducteur ! Cette analyse doit s’ouvrir aux autres caractéristiques de ces produits : écosystème microbien, bénéfices santé, naturalité, patrimoine… »

La consommation de lait cru protège des allergies

Lire aussi : Oui au lait cru !

Dominique Angèle Vuitton, professeure émérite d’immunologie clinique à l’université de Franche-Comté, rappelle les relations bénéfiques entre la santé et l’environnement rural que démontre la cohorte Pasture. Dans cette étude lancée en 2001, 500 enfants des zones rurales européennes et 500 enfants élevés dans des fermes d’élevage ont été suivis depuis leur naissance jusqu’à leur 20 ans. Les résultats de cette étude montrent que vivre dans une ferme d’élevage, être en contact avec les animaux et passer du temps à l’étable protègent significativement contre les maladies allergiques. Indépendamment, la consommation de lait cru, par la mère pendant la grossesse et par l’enfant, protège contre les maladies allergiques et contre les infections aiguës de la première année de vie. « Vivre à la ferme, boire du lait cru et manger des produits laitiers de la ferme participent à la construction d’un système immunitaire plus équilibré chez les enfants, analyse la professeure. Le risque allergique est aussi moins important quand la consommation de fromages est précoce et diversifiée. »

Un livre blanc pour lister les bienfaits du lait cru

Pour mettre en lumière les bénéfices, les risques et la complexité des fromages au lait cru sur la santé, la Fondation pour la biodiversité fromagère fondée en 2021, le Cnaol, l’Institut de l’élevage et VetAgroSup ont compilé les recherches scientifiques récentes. Dans un livre blanc à paraître en février à l’occasion du salon du fromage, seront listés les apports des fromages au lait cru sur notre microbiote intestinal et sur la fortification de notre système immunitaire. En se basant sur 2 500 publications, cette synthèse bibliographique veut montrer comment la consommation de fromage et la modification du microbiote intestinale peuvent influer sur la santé, la survenue de cancers ou de maladies cardiovasculaires.

« Lors de l’évaluation des risques et des bénéfices, l’Agence nationale de sécurité sanitaire est plus sensible aux effets rapides qu’aux effets à longs termes », reconnaît Laurent Guillier de l’Anses. Mais l’agence travaille de plus en plus à une approche bénéfice-risque en s’appuyant sur une démarche de quantification de l’espérance de vie corrigée de l’incapacité (méthode Daly).

La pression sanitaire ne doit pas tuer la biodiversité

Mais cette conversion en nombre d’année de vie en bonne santé n’est encore que prospective. « Nous prenons en compte ces nouvelles données, explique Maud Faipoux de la DGAL, mais si l’on veut garder la confiance du consommateur, il faut conserver ce haut niveau de maîtrise sanitaire du risque. J’entends cette notion d’équilibre avec les effets positifs de certains microbiotes du fromage mais le fromage au lait cru est soumis à des pressions de certains pathogènes qui peuvent avoir des conséquences graves pour certains publics sensibles. »

« La recherche d’un illusoire risque zéro ne doit pas faire renoncer à la richesse de la biodiversité microbienne »

Pour Carole Ly de l’Inao, pas question de changer les pratiques des fromagers : « Soit on baisse les bras, on thermise tout et on enlève le goût du patrimoine et l’identité des fromages au lait cru. Soit on recherche des solutions avec la science pour passer d’une approche hygiéniste à une approche plus globale. On peut aussi modifier les cahiers des charges pour limiter les risques sanitaires sans toucher au lait cru. » « La qualité sanitaire du lait cru et sa diversité microbienne se jouent à la ferme par la mise en place de nombreuses de pratiques comme les conditions d’hébergement, la propreté des animaux, la traite ou la gestion des fourrages », explique Céline Delbes, chargée de recherche à l’UMR Fromages Inrae.

« Attention à ce que la maîtrise sanitaire soit adapté à toutes les tailles d’exploitation, avertit Jean-Philippe Bonnefoy, éleveur de chèvres, fromager fermier en Saône-et-Loire et vice-président de la Fédération nationale des éleveurs de chèvres (Fnec). Si on met une pression de suivi sanitaire trop forte, la seule solution sera la pasteurisation et ce serait une erreur pour la santé publique. »

Retrouver un juste équilibre entre risques et bénéfices

Le président-directeur général de l’Inrae Philippe Mauguin s’est dit, lui, « confiant dans la capacité des chercheurs, des fromagers et des pouvoirs publics de poursuivre cette magnifique aventure des fromages au lait cru ». Sous les microscopes des chercheurs, la flore microbienne est scrutée de près. Ainsi, l’étude MétaPDOcheese a cartographié la diversité microbienne des laits de 44 fromages AOP. Au total, 820 espèces bactériennes et 333 espèces fongiques ont été identifiées dans les 2 800 échantillons de fromages. C’est pour garder cette biodiversité microbienne que la filière beaufort se réapproprie des pratiques traditionnelles moins hygiénistes.

Cette vision complexe de la biodiversité microbienne s’inscrit pleinement dans le mouvement « One Health » (une seule santé) qui allie la santé publique et celle des animaux, des écosystèmes, et de la sécurité sanitaire de toute la chaîne.

En conclusion de ce colloque rassemblant 200 personnes à Aurillac et plus de 500 dans 18 points de retransmission, Benoit Assémat, inspecteur général au ministère de l’Agriculture, a salué le travail des scientifiques et des producteurs : « Sur ce chemin de crête entre les risques et les bénéfices, il faut continuer à travailler ensemble pour trouver les justes équilibres. La science peut réduire cette tension entre les risques et les bénéfices et il serait paradoxal que la recherche d’un illusoire risque zéro nous fasse renoncer à la richesse de la biodiversité microbienne. »

Actes et vidéos du colloque à retrouver sur rmtfromagesdeterroirs.com

Les fromages au lait cru postulent au patrimoine mondial de l’humanité

Comme la baguette en 2022, les fromages au lait cru veulent faire reconnaître leur dimension patrimoniale auprès de l’Unesco. Élise Demeulenaere, anthropologue du CNRS, a présenté à Aurillac le projet du Cnaol, du RMT Fromages de terroirs et de la fondation pour la biodiversité fromagère d’inscrire les fromages au lait cru à l’inventaire national du patrimoine culturel immatériel. La rédaction d’une fiche rassemblant tous les fromages au lait cru et les savoirs associés est en cours de rédaction en vue de la commission nationale qui se tiendra en juin 2024. Cette première étape française est nécessaire pour ensuite déposer le dossier au niveau de l’Unesco. « Nous voulons porter un projet collectif et transversal regroupant l’ensemble des savoir-faire de fabrication au lait cru », explique l’ethnologue qui s’attend à un long et nécessaire travail de lobbying.

Le ministère de l’Agriculture seul compétent sur la sécurité sanitaire des aliments

Depuis le 1er janvier 2024, le ministère de l’Agriculture est le seul compétent sur l’ensemble de la réglementation et des contrôles relatifs à la sécurité sanitaire de l’alimentation humaine et animale. Après des années de gestion partagée avec le ministère en charge de l’économie – via la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) –, la police en charge de la sécurité sanitaire des aliments est désormais assurée par la direction générale de l’alimentation (DGAL). « Cette nouvelle organisation doit faciliter la gestion de crises sanitaires et doit également permettre le renforcement, quantitatif et qualitatif, des contrôles au travers d’un dispositif de programmation, d’une méthodologie de contrôle et d’un processus de gestion des suites des contrôles uniformisés », explique le ministère qui annonce aussi un accroissement de 80 % du nombre d’inspections dans les établissements de remise directe et de 10 % dans les établissements de fabrication de produits alimentaires.

L’Anses étudie la transmission d’un virus via les fromages de chèvres

L’Anses étudie la transmission du virus de l’encéphalite à tiques (TBEV) par les fromages de chèvre. En 2020, 43 personnes de l’Ain avaient été contaminées par ce virus après avoir mangé du fromage de chèvre au lait cru. Il s’agissait des premiers cas de transmission de ce virus en France par l’alimentation. « Tous les animaux peuvent être porteurs du TBEV et l’excréter dans leur lait mais, jusqu’à présent, la majorité des contaminations signalées suite à la consommation de fromages concernent des fromages de chèvre, nous voulons comprendre pourquoi », explique Sandrine Lacour de l’Anses. Pour étudier ces risques de transmission, l’Anses a fabriqué du fromage à partir de lait artificiellement contaminé dans un laboratoire confiné répondant aux normes de biosécurité de niveau P3.

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