Rappeler le lien entre l’animal et la viande
La société évolue, les consommateurs s’éloignent de leurs racines rurales, leurs connaissances sur l’élevage s’effilochent, leur rapport à la viande change. Le terrain est favorable pour les anti-viande. Certes, les acteurs de la filière doivent travailler dans le respect des bonnes règles d'élevage et d'abattage, et le faire savoir. Mais redonner à la viande sa place dans les assiettes commence par un rappel de base : la finalité de l'élevage, c'est la viande !
La société évolue, les consommateurs s’éloignent de leurs racines rurales, leurs connaissances sur l’élevage s’effilochent, leur rapport à la viande change. Le terrain est favorable pour les anti-viande. Certes, les acteurs de la filière doivent travailler dans le respect des bonnes règles d'élevage et d'abattage, et le faire savoir. Mais redonner à la viande sa place dans les assiettes commence par un rappel de base : la finalité de l'élevage, c'est la viande !
Les comportements alimentaires sont la résultante de phénomènes complexes. Ils associent gastronomie, pouvoir d’achat, éléments socioéconomiques et socioculturels. Ils se traduisent depuis le début des années 2000 par une érosion régulière de la consommation de produits carnés, à l’exception de la volaille.
Longtemps, les régimes alimentaires des Français ont évolué par substitution des produits d’origine végétale par des produits d’origine animale, favorisés en cela par l’élévation des niveaux de vie. Au début des années 1980, on a assisté à un début d’inversion de cette tendance, en particulier dans les tranches les plus aisées de la population. « Qu’est-ce qui fait que manger de la viande est devenu un problème pour certaines personnes ? », s’interrogeait Bruno Hérault, chef du Centre d’études et de prospectives du ministère de l’Agriculture, à l’occasion d’un colloque récemment organisé par le CIV. « Nos sociétés ont longtemps été dans le sens d’une consommation accrue de produits carnés. » Désormais, beaucoup de facteurs se cumulent pour les réduire. Pour cet économiste, « les nouveaux rythmes de vie sont des rythmes de ville ». Conséquence : moins de repas, moins de plats, moins d’ingrédients, moins de viande, moins de fruits et légumes et moins de produits laitiers. « La vie s’est « tertiarisée ». L’essor du travail de bureau au XXe siècle, l’explosion des formes de nomadisme au XXIe, la réduction du temps consacré à la préparation des repas… tout pousse à moins consommer et à favoriser les produits déjà transformés où la viande et les produits carnés prennent moins de place. »
Éloignement des racines rurales
Dans l’immédiat après-guerre, la France était encore à dominante rurale. Même lorsqu’ils résidaient en ville, la plupart des Français étaient fils ou petit-fils d’agriculteurs. Ils savaient comment avaient été produits les différentes denrées alimentaires, lesquelles étaient encore souvent des produits bruts, pas ou peu transformés.
Au fil des générations, ils se sont éloignés de leurs racines. Même sans habiter forcément de grandes agglomérations, ils savent de moins en moins ce qui se passe dans les élevages. Qui plus est, les circuits de distribution ont évolué. De la ferme jusqu’au caddy se sont greffés un nombre accru d’intermédiaires. Les peurs vis-à-vis de l’alimentation se sont aggravées depuis que les populations se sont éloignées du produit agricole. Pour certaines personnes, « oublier » l’animal qui aura permis d’aboutir à la viande est même devenu la condition nécessaire à ne pas avoir d’état d’âme à maintenir un régime carné.
Qui plus est, bon nombre de médias se font aujourd’hui l’écho d’une critique sociale grandissante à l’égard de la consommation de viande. Cet aliment, et plus globalement l’ensemble des activités liées à l’élevage, font l’objet d’attaques récurrentes. Ces dernières émanent de différentes associations ou organisations, lesquelles bénéficient globalement d’un excellent relais dans les médias et sur les réseaux sociaux. Ils leur facilitent la tâche en les aidant à diffuser leurs idées auprès d’une frange toujours plus large de la population.
Ce militantisme anti-élevage et anti-viande bénéficie d’une écoute d’autant plus favorable de la part de la population que, justement, cette dernière est de moins en moins au fait des réalités du monde de l’élevage. En mettant en avant certains comportements inadmissibles malheureusement constatés chez quelques moutons noirs de la profession, il vise à créer l’amalgame et la confusion dans l’opinion publique, laquelle tend de fait trop souvent à mettre tous les acteurs de la profession dans un même panier sans forcément chercher à faire la part des choses.
« Si la volonté n’était que de dénoncer les pratiques d’un autre âge que les éleveurs eux-mêmes condamnent, ce pourrait être louable. Mais, au fond, le véritable objectif non affiché et non avoué, c’est de combattre la consommation de viande en introduisant les modèles végétarien, végétalien et végan comme seuls modèles moraux, éthiques et responsables », expliquait Christiane Lambert, première vice-présidente de la FNSEA.
Pour contrer ces évolutions, la profession ouvre les portes des exploitations et des entreprises pour montrer comment travaillent les acteurs de la filière. Les différentes journées portes ouvertes organisées à l’occasion des rencontres « Made in Viande » sont un des exemples de ce qui est fait pour tenter de rétablir la part des choses. Le travail mené par l’interprofession sur son stand du Salon de l’agriculture va dans ce même sens. Viennent s’y ajouter toutes les différentes initiatives réalisées à titre individuel.
" Cachons ces images que l’on ne veut pas montrer "
L'acte d'abattage semble devenu un acte tabou que l'on ne veut surtout pas montrer au consommateur de peur de le choquer et de le faire fuir. Autrefois, l’abattage des animaux était effectué en public, souvent directement dans la rue, devant l’échoppe du boucher. Une pratique qui a parfois perduré jusqu’au début du XXe siècle, en quittant cependant la rue pour les arrière-cours des boucheries. « À partir de la fin du XVIIIe siècle s’enclenche un processus qui va conduire à écarter les animaux et leur mise à mort de l'œil des consommateurs. Cela commence par les lieux d'abattage. Ils ont progressivement été éloignés des centres villes », explique Bruno Laurioux, historien de l'alimentation. Dans un premier temps, ces évolutions ont été justifiées par des préoccupations sanitaires, associées à la volonté de contrôler la salubrité des viandes vendues. Elles ont ensuite visé à permettre au consommateur d’échapper à l’image de « scènes cruelles ».
De nos jours, l’acte de mise à mort des animaux semblerait presque avoir disparu. L’animal arrive dans une bétaillère dans un abattoir hermétiquement clos — en principe — à la présence de toute caméra, et en ressort quelques jours plus tard sous forme de viande prête à être consommer. La mise à mort et tout le travail de découpe et préparation des différents muscles est volontairement occulté des yeux du consommateur. En revanche, sur les sites de partage en ligne de vidéos, ce dernier a libre accès en quelques secondes, à partir d’un simple smartphone, à pléthore d’images montrant toutes ces étapes. Autant de vidéos souvent prises en caméras cachées puis mises en ligne par des associations de protection animale. Comme ce sont davantage les « trains qui n’arrivent pas à l’heure" qui les intéressent, la plupart de ces vidéos montrent les abattages à problèmes et non ceux qui se déroulent dans de bonnes conditions, telles qu’ils se pratiquent dans la plupart des outils français.
« Nous n’avons aucun intérêt à ouvrir le début d’une chaîne d’abattage », expliquait Jean-Paul Bigard, PDG de l’entreprise éponyme, lors de son audition le 15 juin à l’Assemblée nationale par la commission d’enquête sur les conditions d’abattage des animaux de boucherie. « Beaucoup de personnes ne veulent pas voir cela. Je pense que ce n’est pas rendre service à qui que soit » que de laisser accéder à la tuerie. Le PDG du premier groupe d’abattage français reconnaissait d'ailleurs lors de cette audition qu’il est de plus en plus difficile de faire une corrélation entre un animal et un morceau de viande. De fait, les campagnes de communication réalisées par son groupe et visant à faire la promotion des produits carnés produits par cette entreprise ne mettent pas ou très rarement en avant un animal.
Mais nier la réalité du lien entre animal et viande est-il salutaire ? Rappeler cette réalité, montrer également les bonnes pratiques et reconnaître les mauvaises pour lutter contre elles, est-il plus risqué que laisser des opposants à l'élevage et à la viande occuper le terrain de la communication et des images ? Sur le long terme, l'attitude des consommateurs sera juge du bon choix ou non des messages de la filière.