Thés de compost, lifofer, EM... quelle option choisir pour l'apport de micro-organismes à la vigne
Certains viticulteurs ont recours aux thés de compost, d’autres à la litière forestière fermentée (lifofer) et d’autres encore aux EM. Mais qu’apportent ces préparations et sont-elles utiles en vigne ? Le point sur les solutions existantes et leurs intérêts.
Certains viticulteurs ont recours aux thés de compost, d’autres à la litière forestière fermentée (lifofer) et d’autres encore aux EM. Mais qu’apportent ces préparations et sont-elles utiles en vigne ? Le point sur les solutions existantes et leurs intérêts.
Quelles sont les différences entre thé de compost, lifofer et EM ?
Ces trois préparations ont pour point commun d’être liquides et de passer par un bioréacteur, dans le but de multiplier des micro-organismes dont on attend un bénéfice. Elles diffèrent toutefois dans la méthode de production. Dans le cas du thé de compost, la matière première, qui peut être tout type de compost, infuse entre 12 et 48 heures dans une cuve brassée et oxygénée. Ce qui favorise la croissance des micro-organismes aérobies.
La lifofer, quant à elle, est obtenue à partir de la couche en décomposition de la litière de forêt, mélangée à du lactosérum. Une première fermentation, lactique, se déroule en phase solide à l’abri de l’air, et dure environ un mois. Elle est suivie d’une seconde fermentation en phase liquide, mais toujours en anaérobie. Ainsi, le produit final présente un pH bas (3,5) et abrite une population d’organismes anaérobies. Sa richesse en acide lactique en fait un produit hostile aux organismes pathogènes.
Enfin, les EM, pour Effective microorganism, sont un mélange de bactéries, champignons et levures, soigneusement sélectionnés par un agronome japonais. EM est une marque déposée, et la recette de cette préparation est gardée secrète. Nous savons toutefois qu’elle se base sur une fermentation anaérobie. En France, les EM sont produits et distribués par Agriton.
Il est également possible de trouver des thés de compost et de la lifofer prêts à l’emploi dans le commerce. Ils ont l’avantage d’être pratiques et réguliers. Mais certains experts objecteront qu’ils ne reflètent pas l’environnement et la biodiversité locale du viticulteur.
Que peut-on en attendre en termes d’efficacité ?
Les études scientifiques sur ce genre de produits sont plutôt rares, le sujet étant peu prisé des instituts techniques. L’IFV a publié cet automne un cas d’étude mené en Italie dans le cadre du projet européen Climed-Fruit. Il en ressort que le groupe de viticulteurs suivis ayant combiné trois années durant l’utilisation de compost en hiver et de thé de compost artisanal au sol pendant la saison végétative a obtenu une meilleure qualité de raisin et moins de stress hydrique. Une deuxième étude italienne, menée par l’université de Naples et publiée en 2025, a montré l’intérêt d’un thé de compost commercial (Stimol-C de G-Agro) pour lutter contre le mildiou. « Une application répétée de thé de compost seul, couplée à un encadrement de fleur au cymoxanil, représente une stratégie très efficace et durable pour gérer le mildiou, même sous pression sévère », concluent les chercheurs, qui ont comparé cette modalité à un programme conventionnel classique.
Concernant la lifofer, le Cabinet d’agronomie provençale, dans le Var, a réalisé plusieurs essais depuis 2020, avec protocole expérimental cadré et traitement statistique. Deux expérimentations, sur cinsault et rolle, ont montré qu’un arrosage lors de la complantation avec 6 % de lifofer faite maison dans 5 litres d’eau permet de réduire la mortalité des complants de 10 à 15 %. Davantage d’essais ont été réalisés en apport au sol, avec trois applications par an (avant débourrement, floraison-nouaison, post-récolte) à hauteur de 50 litres par hectare dilués à 10 %. « Nous constatons généralement un effet sur la croissance des rameaux, une hausse des rendements parfois significative, une baisse du stress hydrique mesuré par chambre à pression et de meilleurs taux d’azote assimilable », énumère Anna Li, responsable du département recherche et développement du Cabinet d’agronomie. La société l’a également testée en foliaire dans la lutte contre les maladies cryptogamiques mais n’a pas poursuivi. « L’idée est bonne, car cela fonctionne sur d’autres cultures, mais en pratique ça n’est pas compatible en vigne à cause des applications fongicides régulières », détaille la responsable R & D.
Une des difficultés majeures dans l’évaluation de ses solutions réside dans le fait qu’il existe potentiellement autant de formulations que d’agriculteurs, de types de compost ou encore d’écosystèmes forestiers.
Comment peut-on expliquer ces effets sur le sol et sur la plante ?
En théorie, ces préparations permettent d’ensemencer le milieu en micro-organismes utiles, soit pour la bonne activité du sol, soit pour coloniser les feuilles avant les pathogènes. Mais ces préparations renferment aussi, par essence, des substances fertilisantes et biostimulantes. « Les thés de compost contiennent des macro et micronutriments, des phytohormones et des acides humiques, tous dissous dans l’eau pour une disponibilité immédiate », détaille la publication de l’IFV. Les chercheurs de l’université de Naples ont démontré que le thé de compost utilisé a activé les défenses de la vigne, mais également qu’il perturbe les phases clés du cycle de vie de Plasmopara viticola. « L’application répétée de thé de compost modifie notamment le microbiome de la plante dans la rhizosphère et la phyllosphère, enrichissant les groupes bactériens bénéfiques (p. ex., Pseudomonas, Sphingomonas, Bacillus) », notent encore les scientifiques.
Pour Anna Li, il est probable que l’apport de lifofer au sol joue un rôle d’accélérateur dans la dégradation de la matière organique et la mise à disposition des éléments nutritifs. « D’ailleurs les effets de la lifofer au sol en maraîchage, sur des sols déjà très riches, laisse à désirer », commente la consultante. Quant aux EM, ils ont fait l’objet d’une étude en laboratoire menée par l’Agroscope de Zurich, en Suisse. Elle conclut qu’ils n’ont pas d’incidence sur les paramètres microbiens du sol caractérisant la biomasse, la structure et l’activité, mais que les effets observés pourraient être liés aux apports en nutriments.
Dans quel cas privilégier l’un plutôt que l’autre ?
Des études ont montré que la composition d’un thé de compost change en fonction de la durée d’infusion. Il sera plutôt bactérien dans les 12 premières heures, puis plutôt fongique entre 18 et 24 heures puis favorisera ensuite nématodes et protozoaires. Ainsi le viticulteur peut choisir de favoriser une action plutôt qu’une autre : minéralisation, humification… Les caractéristiques plutôt anaérobies de la lifofer et des EM en font des préparations davantage adaptées à l’équilibre biologique du sol. En pulvérisation foliaire, les études manquent pour caractériser finement les effets de l’un ou de l’autre sur les populations de micro-organismes pathogènes, mais toutes ces préparations contiennent des acides humiques, dont l’effet biostimulant est avéré sur la vigne.