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Dans le Lot, une sélection ovine à double étage qui a fait ses preuves

Tirer parti de la race rustique locale et répondre aux besoins de la filière avec des agneaux conformés, c’est le défi relevé par les producteurs lotois avec la F1 46, récemment rebaptisée.

Sa mère est blanche, rustique et porte des lunettes noires. Son père est grand, costaud, le museau plissé. Elle est un mélange de la rusticité de la Causses du Lot, adaptée à tous types de milieux, autonome pour l’agnelage, le désaisonnement facile et la conformation bouchère, les qualités herbagères de l’Île-de-France. Vous l’aurez deviné, cette brebis couteau suisse n’est autre que la F1 46, tout récemment renommée Blanche des Causses, lors de l’assemblée générale d’Ovilot, le 15 juin dernier. L’organisme de sélection, qui gère le schéma de la race Causses du Lot, appelée aussi caussenarde, est à la fois moteur, promoteur et accompagnateur de l’essor de la Blanche des Causses. Et de l’accompagnement, il en faut, tant le schéma de sélection à deux étages de cette brebis hybride n’est pas commun. « Nous avons défini trois “métiers” au sein du schéma de sélection, explique Pierre Fouché. Les sélectionneurs, qui vont travailler sur la voie femelle Causses du Lot et donc sélectionner les meilleures brebis, qui vont être accouplées aux meilleurs béliers, le tout élevé en pure race. Viennent ensuite les multiplicateurs, qui vont acheter leurs femelles aux sélectionneurs et les mettre avec des béliers Île-de-France. C’est le fruit de cet accouplement que nous avons appelé Blanche des Causses (ex-F1 46). » Le président d’Ovilot présente enfin les utilisateurs finaux, qui vont croiser à nouveau les brebis F1 avec des béliers de races bouchères. Tous les agneaux, mâles comme femelles, sont ensuite commercialisés.

Croisement terminal pour gagner en conformation

 

 
Hervé Pleimpon est utilisateur final du schéma de sélection. Ses agneaux suivent le cahier des charges du label Rouge agneau fermier du Quercy.
Hervé Pleimpon est utilisateur final du schéma de sélection. Ses agneaux suivent le cahier des charges du label Rouge agneau fermier du Quercy. © B. Morel
C’est le métier qu’a choisi Hervé Pleimpon, dont l’élevage est situé à Lunegarde, dans la moitié nord du département. Installé en 1998 sur l’exploitation familiale, Hervé conduit une troupe de 1 000 mères Blanches des Causses, qu’il croise avec des béliers berrichons du Cher et mouton vendéen. « La Blanche des Causses présente une meilleure conformation que la caussenarde et je recroise les mères avec ces races très bouchères pour gagner encore sur cette qualité », explique l’éleveur. Ici, tout se fait en monte naturelle, Hervé Pleimpon n’a recours ni à l’insémination artificielle (IA) ni aux hormones. Avec trois périodes d’agnelage par an (février, juin et octobre), les brebis sont sur un rythme de presque trois agnelages en deux ans. « Sur les 250 agnelles qui mettent bas, seule une centaine repart à la lutte tout de suite », poursuit-il. Car s’il veut produire des agneaux, Hervé Pleimpon garde la tête froide et vise une prolificité en accord avec son système. « Aujourd’hui, le troupeau tourne autour de 1,5-1,6 agneau par brebis, c’est une moyenne tout à fait acceptable qui est en cohérence avec le système ici », souligne Romain Lafferrerie, technicien à Ovilot. En effet, Hervé Pleimpon ne peut compter que sur les 450 hectares de terrain pour nourrir ses brebis, dont seulement 200 sont mécanisables, le reste étant du parcours et des sous-bois.

Beaucoup de qualités, peu de défauts

Les F1 46, désormais Blanches des Causses, sont depuis longtemps au centre de l’organisation du travail de l’exploitation. « Du temps de mon père, l’élevage est parmi ceux qui testaient les aptitudes de l’hybride, avant même la mise en place du schéma », rappelle Hervé Pleimpon. Ce dernier est convaincu des multiples avantages de ce croisement emblématique du Lot : « Les F1 46 ont gardé la rusticité de la caussenarde, avec un désaisonnement facile, des agnelages qui se font presque tous seuls et des très belles qualités maternelles et laitières ». En effet, en entrant dans le bâtiment des agnelages, il n’y a que très peu de cases individuelles. « Ce n’est pas une pratique courante pour moi d’isoler une mère et ses petits. je vais plutôt mettre les mères dans des cases collectives, pour qu’elles soient un peu tranquilles avant de retourner sur l’aire principale ou de sortir au pré. » Les agneaux se montrent également plutôt vigoureux à la naissance et la quantité de lait et la qualité de celui-ci produit par la brebis permet à l’agneau d’avoir une belle croissance et à l’éleveur d’économiser ensuite en concentré, avec des animaux bien valorisés à la fin, en label Rouge. Quand on pose la question des défauts de cette hybride à Hervé Pleimpon, l’éleveur doit réfléchir un moment. « Les brebis ont des besoins alimentaires plus élevés que la caussenarde, mais comme la valorisation des agneaux est meilleure, on s’y retrouve quand même », finit-il par sourire.

Un progrès génétique exponentiel

 

 
Marc Gayral est sélectionneur en Causses du Lot. À lui de fournir aux multiplicateurs les meilleures femelles de la race pour ensuite produire les F1 46.
Marc Gayral est sélectionneur en Causses du Lot. À lui de fournir aux multiplicateurs les meilleures femelles de la race pour ensuite produire les F1 46. © B. Morel
À l’autre bout de la chaîne, on trouve l’élevage de Marc Gayral. Il fait partie de la quarantaine de sélectionneurs en Causses du Lot. C’est le maillon amont du schéma de sélection à double étage de la Blanche des Causses. Ce sont eux qui vont approvisionner les multiplicateurs avec les plus belles représentantes de la race lotoise, qui seront ensuite accouplées aux béliers Île-de-France pour produire les fameuses F1 46 (ou Blanches des Causses). À 51 ans, Marc Gayral gère à lui seul ses 900 brebis, qu’il conduit avec 140 hectares, dont 35 hectares de céréales (orge, blé, avoine, avoine de printemps) et 105 hectares en prairies temporaires (méteil, luzerne pure, sainfoin). Cela lui permet d’être autonome en concentré pour les brebis, tandis qu’il achète la totalité de l’aliment des agneaux. La surface se complète de quelque 600 hectares de parcours pour les brebis à l’entretien ou à la lutte. L’éleveur gère quatre agnelages par an. En septembre, le plus important, avec 400 mères, dont la moitié en IA. C’est avec cette mise bas qu’il renouvelle ses femelles. Fin décembre, place aux 250 antenaises, puis viennent les 220 jeunes agnelles fin février. Enfin le dernier agnelage survient pendant la deuxième quinzaine de mai. À ce moment, ce sont des agneaux croisés Île-de-France qui sont produits. Tout cela permet à Marc Gayral de produire entre 1 300 et 1 400 agneaux par an, suivant une prolificité allant de 1,8 à 1,9. « Pendant les trois premières années de carrière des femelles, elles sont au rythme de trois agnelages en deux ans, puis on ralentit et on revient à un agnelage par an, explique-t-il. Je préfère accélérer les nouvelles générations pour avoir plus rapidement des candidates à l’IA. » Tous les lots sont échographiés et si les brebis sont trop souvent vides, elles sont réformées, de même que celles qui présentent un mauvais index (pas assez de lait, peu de qualités maternelles). « On a vu un vrai progrès génétique depuis la mise en place du schéma, atteste Luc Rives, directeur d’Ovilot. On est passé d’une prolificité de 1,3 à 1,9, On a fait un gros travail sur le sanitaire : en 2002, seuls 9 % des individus de la race étaient résistants à la tremblante, contre plus de 94 % aujourd’hui. Et nous visons maintenant une sélection sur la résistance au parasitisme. »

Si la Causses du Lot et la Blanche des Causses ne manquent pas d’opportunités de développement, avec une diffusion de l’hybride partout en France (on la retrouve même dans les plaines céréalières du nord), tout le travail fourni par les éleveurs, techniciens, amont et aval se retrouve aujourd’hui mis à mal par l’arrivée du loup et l’impossibilité de protéger les troupeaux avec les moyens actuels. La profession se mobilise et profite de chaque occasion pour interpeller sur la précarité de la situation.

Multiplicateur et utilisateur de Blanche des Causses

À lui seul, l’élevage de Jean-Christophe Pons, dans le Lot, représente deux métiers du schéma de sélection de la Blanche des Causses.

 

 
En plus d'être utilisateur final du schéma, Jean-Christophe Pons est multiplicateur. Il achète des agnelles Causses du Lot qu'il croise avec des béliers Île-de-France ...
En plus d'être utilisateur final du schéma, Jean-Christophe Pons est multiplicateur. Il achète des agnelles Causses du Lot qu'il croise avec des béliers Île-de-France pour produire des Blanches des Causses. © B. Morel
À 464 mètres d’altitude, l’exploitation de Jean-Christophe Pons, en Gaec avec son frère, ne manque pas de cachet. « D’ici, on a un panorama qui va du Massif central jusqu’aux Pyrénées », décrit-il dans un grand moulinet du bras, malicieux. L’exploitation, située à Soulomès au centre ouest du Lot, compte 1 000 brebis, avec trois agnelages par an et « en mode accéléré désaccéléré, soit trois agnelages en deux ans par brebis, mais pas systématiquement », sourit l’éleveur. Les brebis avec un état corporel un peu faible après la mise bas passent leur tour et iront au bélier avec le lot suivant.

Un regard différent entre mâles et femelles

Depuis 2015, Jean-Christophe s’est lancé dans l’activité de multiplicateur de F1 46. Pour cela, il achète ses agnelles Causses du Lot à un sélectionneur, mais lui-même ne fait pas de sélection, pas de contrôle de performance, pas de tri. Ses agnelles sont ensuite mises avec des béliers Île-de-France. « Le regard n’est pas le même entre la production d’agneaux de boucherie et celui de femelles reproductrices. Je vais être particulièrement vigilant sur la croissance de ces dernières, il faut qu’elles soient belles et bien formées pour leur première saillie. » Il apprécie d’avoir les retours des acheteurs, et le fait de travailler directement avec d’autres éleveurs appelle à « plus de responsabilités. S’il y a une saisie à l’abattoir, tant pis, ça ne me concerne que moi. Mais si je vends des agnelles qui ne tiennent la route à quelqu’un, cela l’impacte directement. » Heureusement, Jean-Christophe peut se réjouir de n’avoir que des avis positifs sur son travail et ses petites reproductrices.

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