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« Nous cultivons la betterave fourragère en service complet de Cuma »

Dans l'Aveyron, une vingtaine d’éleveurs laitiers se sont lancés dans la culture de la betterave fourragère avec un service complet de Cuma. Bien que subsistent quelques problèmes techniques, ils sont enchantés du résultat.

Elles sont comme des enfants devant des sucreries, les yeux qui brillent, les papilles qui salivent.... Les vaches de Michel Colombié, éleveur à Moyrazès, se délectent des betteraves qu’il vient de leur distribuer dans la ration mélangée. Elles les trient bien évidemment. « Dans une heure, il n’y en aura plus », dit-il. Il fait partie d’un groupe d’un peu plus de vingt éleveurs laitiers (vaches et brebis) de l’Aveyron et de trois départements voisins (Lozère, Tarn, Tarn-et-Garonne), qui ont relancé la culture de la betterave fourragère. L’idée est partie, en 2017, d’un autre éleveur de la même commune, Patrick Couderc, qui était encore formateur au Centre de Bernussou (Aveyron). Avec ses élèves, il a mené un essai d’un hectare sur sa propre ferme et a convié de nombreux éleveurs à venir voir le résultat. Un groupe d’une quinzaine d’entre eux s’est constitué, totalisant une surface de 22 hectares dès l’année suivante. Restait à trouver une Cuma pour porter le projet. Ce sera la Cuma DEI (Départementale énergies innovations), la seule à vocation interdépartementale. La première année, pour semer, le groupe a loué à une autre Cuma un semoir à maïs à écartement de 50 cm (utilisé par des agriculteurs en bio), pris des parts dans une autre Cuma pour l’achat d’un tracteur de 200 ch et acheté une effeuilleuse-arracheuse-chargeuse à six rangs d’occasion (Grimme) dans le Nord de la France (80 000 €).

« Dès le départ, nous avons décidé d’avoir un service complet pour le semis et la récolte », explique Patrick Couderc. Un salarié a été embauché par la Cuma DEI (700 h/an) essentiellement pour les chantiers de betteraves. Dès l’année suivante (2019), la surface a été portée à 60 hectares avec de nouveaux adhérents. Depuis, elle n’a pas beaucoup bougé. « Quand nous avons acheté la récolteuse, il fallait 50 hectares pour l’amortir. Idéalement, il faudrait monter à 100 hectares », détaille-t-il. En 2019, la Cuma a acheté un semoir mécanique à 12 rangs spécifique pour les betteraves (Monosem, 80 000 €) et un GPS pour le tracteur (10 000 €). L’année suivante, le groupe a fait l’acquisition d’une bineuse 12 rangs autoguidée par caméra (Steketee, 50 000 €), sachant que le quart de la surface est en bio. Le coût de revient de ces équipements en service complet est de 150 €/ha pour le semis, 150 €/ha pour la bineuse et 400 €/ha pour la récolteuse. « C’est un groupe de fonceurs, analyse Jean-Claude Platon, de la FDCuma de l’Aveyron. Ils ont fait le choix d’équipements performants pour montrer que la mécanisation de la betterave fourragère n’avait rien à envier aux autres cultures, en espérant convaincre d’autres agriculteurs de rejoindre le groupe. Plutôt que de partir sur une durée d’amortissement, ils ont opté pour un volume à amortir, quitte à le reporter dans le temps. »

Lire aussi : "Des vaches plus productives et en meilleure santé avec la betterave"

 

Les adhérents en conventionnel utilisent aussi la bineuse. Elle permet d’éviter un désherbage. © FDCuma12
Les adhérents en conventionnel utilisent aussi la bineuse. Elle permet d’éviter un désherbage. © FDCuma12
Plusieurs difficultés sont apparues dans la mise en place de cette culture. Tout d’abord, pour pouvoir assurer une rotation de quatre ans, il faut avoir suffisamment de terrains plats vu l’envergure des engins de récolte (14 m de long), ce qui n’est pas toujours évident dans l’Aveyron. « Il faut laisser 15 mètres à chaque bout pour pouvoir tourner ou, sinon, ramasser les extrémités à la main », recommande l’ancien formateur. L’autre difficulté, ce sont les cailloux dont les sols sont souvent bien pourvus. Comment les trier ? « Nous y réfléchissons mais nous n’avons pas encore trouvé la solution économiquement cohérente, explique Michel Colombié. Les pierres posent problème avec les mélangeuses à vis horizontale et à fraise. Si nous réglions ce problème, d’autres éleveurs rejoindraient le groupe, en particulier les grosses structures qui font distribuer l’alimentation par une désileuse automotrice. Il existe une machine très spécifique qui trie les cailloux [par flottaison] et lave les betteraves mais elle est très onéreuse et le lavage limite la conservation. » La solution serait peut-être de ramasser les pierres avant le semis. Troisième difficulté : les altises, un minuscule insecte qui peut ravager une culture en quelques heures. Ils appliquent un insecticide, mais « ça se joue à la demi-journée. Nous nous alertons entre collègues ».

 

« L’agriculteur doit être impliqué dans le suivi »

 

 
Les betteraves stockées à l’air libre mais à l’intérieur sont généralement consommées d’octobre à mars à hauteur de 3 kg MS/VL/j maximum. © B. Griffoul
Les betteraves stockées à l’air libre mais à l’intérieur sont généralement consommées d’octobre à mars à hauteur de 3 kg MS/VL/j maximum. © B. Griffoul
« La betterave est une culture très fragile à l’implantation qui nécessite un suivi régulier jusqu’au stade 6 feuilles. Passé ce stade, elle devient très résistante. Il faut vraiment que l’agriculteur soit impliqué dans le suivi de la culture, qu’il n’attende pas que le technicien vienne voir s’il y a un problème car, quand il arrive, c’est souvent trop tard », prévient Serge Moncet, du service conseil innovation développement de RAGT Plateau central, qui assure le suivi du groupe. Les agriculteurs conventionnels suivent l’itinéraire technique recommandé, notamment le désherbage (2 à 3 applications à dose réduite de plusieurs matières actives en association) et le traitement contre les altises (Décis). En bio, certains achètent des plants démarrés pour compenser l’absence de moyens de protection. Mais le coût est très élevé (1 500 à 2 000 €/ha avec la main-d’œuvre : 6 à 8 personnes). Les conventionnels sèment la variété Summo (Momont), une sucrière-fourragère à 16-18 % de matière sèche adaptée aux régions froides (coût : 300 €/ha en achat groupé), à la densité de 120 000 graines par hectare pour un objectif de 90 000 pieds. Outre le fumier, ils fertilisent avec un 15-10-20 à 600 kg/ha et font un traitement foliaire de bore. En bio, le choix s’est porté sur la variété Corindon. La récolte est effectuée à partir du 15 octobre (1 h/ha avec deux bennes).

 

« La betterave crée de l’émulation entre nous »

Malgré les quelques points à améliorer, le résultat est très positif pour les éleveurs. Les rendements sont au rendez-vous et réguliers : de 10 à 15 tMS/ha. « C’est une plante qui résiste très bien à la chaleur et à la sécheresse. Parfois, on a l’impression que la culture est morte, mais dès qu’il pleut elle repart », assurent les éleveurs. Le rendement est un peu affecté mais il est supérieur à celui des maïs subissant les mêmes conditions. En 2020, il n’a souvent pas dépassé 8 tMS/ha quand la betterave pointait en moyenne à 12 tMS. De plus, la valeur alimentaire est constante et exceptionnelle en énergie (1,10 UF). Elle remplace généralement la céréale dans les rations et permet de la densifier en énergie tout en diversifiant les sources. « Elle travaille bien les sols », ajoute Michel Colombié. « C’est une culture qui nous a ramené de l’engouement technique et a créé de l’émulation entre nous », conclut Patrick Couderc. Pour poursuivre sa démarche de développement, le groupe envisage la création d’un GIEE.

Côté éco

Le coût de revient de la betterave fourragère, évalué par le groupe betterave de l’Aveyron, se situe entre 1 000 et 1 200 €/ha en additionnant frais de Cuma, semence, fertilisation, traitements, matériel.

Des essais à poursuivre

L’an dernier, un essai conduit avec RAGT Plateau central a permis de tester trois types variétaux, selon leur taux de matière (MS), et pour chacun l’intérêt d’utiliser des semences activées (prégermées) ou pas. Un essai réalisé sous la tutelle de l’ADBFM (Association pour le développement de la betterave fourragère monogerme), qui a fourni les semences. Les fortes pluies du printemps (300 mm en 2 mois), qui ont perturbé les levées de la zone d’essai, n’ont pas permis de tirer des résultats très concluants. L’activation semble tout de même favorable au rendement, surtout dans les types variétaux à faible taux de MS (moins de 16 %). Une partie de l’essai était consacrée à la comparaison de moyens de lutte contre l’altise, peu documentés dans la bibliographie : lutte chimique (Decis), biocontrôle (produit à base d’argile : Argibio), plantes leurres (lin/trèfle). Mais ce comparatif n’a pas été exploitable du fait de la levée trop hétérogène.

 

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