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« Nous avons investi dans notre élevage caprin pour le confort de travail »

Pauline Duchesne et Ludovic Desphelippon élèvent 520 chèvres à Semblançay, en zone AOP Sainte-Maure de Touraine. Il y a trois ans, ils ont décidé d’investir dans un nouveau bâtiment, plus fonctionnel, pour leur confort et celui de leurs animaux.

Une nouvelle phase dans la vie de l’EARL de l’Espoir à Semblançay (Indre et Loire) débute cette année. Depuis le 29 avril, la chèvrerie toute neuve accueille progressivement chèvres et chevrettes. Pour les deux associés, Pauline Duchesne et Ludovic Desphelippon, l’investissement de 800 000 euros est l’aboutissement d’une longue réflexion sur leurs conditions de travail. « Nous avions plusieurs objectifs qui sont liés : améliorer notre confort de travail et le bien-être des animaux, et réduire la charge de main-d’œuvre sur l’atelier caprin », exposent-ils. Un dernier point a aussi pesé dans la balance : la sécurisation de l’exploitation avec la construction du nouvel ensemble sur un terrain dont ils sont propriétaires. L’année 2022 est donc une période de transition, avec 600 chèvres, deux salles de traite, deux bâtiments… L’objectif pour 2023 est de 520 chèvres en lactation, toutes sous le même toit.

Nous devions restructurer les bâtiments pour réduire la pénibilité et pérenniser notre élevage

Ludovic est installé depuis mars 2005 sur l’exploitation familiale sur laquelle des chèvres sont élevées depuis 1978. Pauline a été salariée de 2008 à 2013, avant de devenir associée en 2014.

Des bâtiments fatigants

« Lorsque j’ai repris l’exploitation en 2005, il y avait 300 chèvres. J’ai fait évoluer progressivement la chèvrerie d’origine, par agrandissements successifs, se rappelle Ludovic. Si l’ensemble fonctionnait et nos résultats techniques et économiques étaient bons, le bâtiment était consommateur en main-d’œuvre et fatigant : quatre couloirs d’alimentation, des marches pour passer d’un couloir à l’autre, pas d’isolation. Il fallait restructurer pour réduire la charge de travail, pérenniser l’exploitation et, très important, avoir une vie de famille. » En complément de Pauline et Ludovic, l’EARL emploie deux salariés en CDI à temps plein et deux saisonniers sur trois mois pendant les mises bas. L’objectif d’ici à quelques mois est de libérer de la main-d’œuvre de l’atelier caprin et potentiellement l’affecter aux cultures. « La gestion des salariés n’est pas toujours facile. Actuellement, nous avons deux permanents sur lesquels nous pouvons compter. Chacun travaille 35 heures, l’un le matin et l’autre le soir. Cela évite la coupure dans les horaires de travail. » Le couple souhaite aussi pouvoir être ainsi plus facilement remplacé et lever le pied.

Faciliter la contention des animaux

« Nous savions ce que nous ne voulions plus, nous avons donc pensé la chèvrerie pour faciliter la contention, primordiale pour toutes les interventions, et les mouvements d’animaux. Nous avons aussi aménagé des passages d’hommes et des portes pour entrer dans chaque lot. Ils sont d’ailleurs aussi utiles aux boucs qui ne passent pas au cornadis. Nous sommes passés de onze à quatre lots de 130 chèvres. » La salle de traite, deux fois 32 places, 32 postes, permet une cadence de 300-320 chèvres à l’heure, contre 200 précédemment.

S’il est trop tôt pour mesurer les bénéfices apportés par la nouvelle chèvrerie, elle est incontestablement plus lumineuse et les chèvres qui y ont passé l’été l’ont, semble-t-il, adoptée sans soucis. « Les animaux ne semblent pas s’être aperçus du déménagement. Grâce à la très bonne qualité de la luzerne 2021 et peut-être un effet bâtiment, elles ont en moyenne produit 100 kg de lait en plus, par rapport à l’année dernière. Pour elles, comme pour nous, l’isolation et la ventilation ont bien fonctionné, avec un écart de 12 °C avec l’extérieur au plus fort de la canicule : 30 °C dans la chèvrerie pour 42-43 °C dehors ! » Des portes ont également été prévues pour permettre la sortie des chèvres.

100 % d’autonomie fourragère

Avec 32 hectares supplémentaires en location depuis 2021, la SAU de l’exploitation est de 198 hectares. Une surface exigeante en travail, qui permet d’être autonome en fourrages, y compris les années difficiles comme 2015 ou 2022, et de répondre aux exigences du cahier des charges de l’AOP Sainte-Maure de Touraine. « En enrubannage, cela fait un petit moment que nous avons un an d’avance en stock. C’est une sécurité. » L’assolement 2022 est composé de 49 ha de blé et 11 ha de colza pour la vente, 15,5 ha d’orge et 10 ha de triticale (25 t de chaque pour le troupeau). Côté fourrages, 24 ha de luzerne, 9,5 ha de trèfle violet et 10 ha de fétuque pure sont cultivés pour nourrir le troupeau. 45 ha de prairies naturelles produisent du foin pour les taries et une partie est vendue.

« Même si les rendements 2022 des céréales sont inférieurs à la moyenne de l’exploitation, ils ne sont pas désastreux », tempère Ludovic. En fourrages, en revanche, il n’hésite pas à qualifier la récolte de catastrophique. Habituellement, les éleveurs réalisent jusqu’à quatre coupes de luzerne. Cette année, il y a eu une première coupe enrubannée, puis une coupe en foin, avec la moitié des rendements 2021. « Les plus vieilles luzernes ont repoussé à l’automne, mais pour un rendement très faible. Avec des températures allant jusqu’à 40 °C sans eau, les prairies naturelles ont perdu 40 % de production, et la fétuque 30 %. » En trèfle violet, les éleveurs n’ont réalisé qu’une seule coupe, mais de qualité.

« Les colzas semés en septembre démarrent, c’est un soulagement », souffle Ludovic. Les ventes de blé et de colza permettent, en effet, de financer l’achat du maïs distribué aux chèvres, difficilement cultivable dans le secteur.

1 015 kg de lait par chèvre

Pour composer la ration, Pauline et Ludovic font aplatir à façon l’orge et achètent du maïs et un concentré type chèvre laitière à 26 % de MAT, sans OGM. Au pic de lactation, les chèvres reçoivent 1,8 kg de foin de luzerne le matin et 1 kg d’enrubannage de luzerne vers 17 heures. En complément, les éleveurs apportent 850 g de concentré, 300 g d’orge aplatie, 300 g de maïs et 100 g de tournesol, en cinq distributions, dont deux à la traite. Un peu de foin de prairie est disponible au pic dans l’aire paillée pour apporter de la fibre et faire ruminer. Après le pic de lactation, à partir de février, l’enrubannage de luzerne est remplacé par de l’enrubannage de trèfle et le concentré baisse progressivement.

« Cette année, la production par chèvre s’élève à 1 015 kg avec des taux élevés : TB 43,5 g/kg, TP 35,2 g/kg. Économiquement, notre projet passait à 920 kg. C’est positif pour l’instant », avancent prudemment Pauline et Ludovic. Les deux éleveurs ont réalisé une demande pour augmenter leur contrat de livraison de lait. En 100 % désaisonné, le prix du lait livré en 2021 s’est élevé à 964 €/1 000 l, prime AOP incluse. Pour 2022, leur laiterie, la Laiterie de Verneuil, a annoncé un prix de base à 966 €/1 000 l sur les trois derniers mois de l’année. « Rien que sur les aliments achetés, la hausse est de 200 €/t. L’augmentation du prix du lait était nécessaire. »

Contrat avec l’abattoir pour les chevreaux

Adhérent Capgènes, le couple est attentif au progrès génétique du troupeau. Après avoir sélectionné sur la quantité de lait, pour ne pas augmenter l’effectif, et la morphologie pendant quelques années, ils souhaitent axer le travail sur les taux. Les chevrettes qui ne sont pas conservées pour le renouvellement sont vendues en pépinière ou à d’autres éleveurs.

Et depuis cette année, ils ont repris l’engraissement des chevreaux, arrêté depuis 2015 faute de place. « Entre l’espace libéré dans l’ancien bâtiment et la conjoncture du petit chevreau, nous avons décidé de les engraisser et de les vendre en direct à l’abattoir. Nous avons obtenu un prix garanti jusqu’à un mois avant Noël. Cela demande du travail de surveillance supplémentaire et la poudre de lait a un coût élevé, mais nous prenions déjà le temps de leur apprendre à téter. Ils partent vers un mois entre 8 et 12 kg. La croissance est plus rapide qu’en atelier d’engraissement, car il n’y a pas de transport ni de changement de lots. »

Chiffres clés

2 associés et 2 salariés à temps plein
520 chèvres en lactation, objectif 2023
1 015 kg de lait par chèvre
AOP Sainte-Maure de Touraine
198 ha de SAU
 

Qualité du lait irréprochable en AOP Sainte-Maure de Touraine

 

 
En zone AOP Sainte-Maure de Touraine, l'EARL de l'Espoir livre son lait à la Laiterie de Verneuil.
En zone AOP Sainte-Maure de Touraine, l'EARL de l'Espoir livre son lait à la Laiterie de Verneuil. © V. Hervé-Quartier
« Nous sommes fiers de produire du lait pour l’AOP Sainte-Maure de Touraine », affirment Pauline Duchesne et Ludovic Desphelippon. Ludovic est d’ailleurs investi dans le comité de l’AOP. L’appellation comprend 127 élevages laitiers, 37 fermiers, 8 laiteries et 3 affineurs. « Livrer du lait cru demande de la rigueur pour assurer la qualité sanitaire du lait cru. Nous sommes responsables du lait jusqu’à sa mise en fabrication », souligne Pauline. Pour cela, ils ont mis en place un pré- et post-trempage des trayons en salle de traite, un curage fréquent de l’aire paillée et sont très vigilants sur les mammites.

 

Vincent Lictevout, conseiller caprin à Touraine Conseil Élevage

« L’EARL de l’Espoir a depuis plusieurs années de bons résultats techniques et économiques. La technicité et la rigueur de Pauline et Ludovic leur permettent notamment de désaisonner 100 % du troupeau et de bénéficier ainsi d’un prix du lait plus élevé, avec 30 % du lait livré sur le dernier trimestre. Le point faible de l’exploitation était la quantité importante de main-d’œuvre nécessaire, avec une productivité à 115 000 l/UMO caprin. L’objectif était donc de diminuer les charges affectées à l’atelier caprin et d’améliorer les conditions de travail. Leur situation financière saine et des bâtiments largement amortis ont permis de réaliser cet investissement. Dans leurs choix, les deux associés ont également pensé aux conditions de travail pour eux et leurs salariés. »

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