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« Il nous manque six mois de stock fourrager cette année »

À l’EARL Bouju, en Charente-Maritime, Jérôme et Dimitri Bouju gèrent leur troupeau de 390 chèvres avec précision et misent sur la sélection pour valoriser fourrages et concentrés.

Dimitri et Jérôme Bouju élèvent près de 400 chèvres à Marans, au cœur du marais poitevin, au lieu-dit la Basse Garenne. Lieu-dit qui porte d’ailleurs bien son nom : un lièvre file juste devant les roues de la voiture en arrivant à l’EARL Bouju.

« Cette année il nous manque six mois de stock de luzerne, nous avons acheté du fourrage pour passer l’hiver »

Dimitri s’est installé avec son père et son oncle en 2009 et Jérôme a pris la suite au départ de leur père en 2018. À 42 et 38 ans, ils représentent la cinquième génération d’éleveurs sur cette exploitation de 170 hecares et travaillent aujourd’hui à deux depuis la retraite de leur oncle Mario en 2021. Les deux frères ont eu des parcours bien différents. Dimitri est « tombé dans l’élevage et l’agriculture quand il était petit » et a rejoint l’exploitation après un BPREA et un parcours à l’installation classique. Jérôme a travaillé en tant que technicien dans l’audiovisuel puis chez Lely avant de s’installer lui aussi.

Maintenir les chèvres au frais

Depuis sa création il y a près de 100 ans, l’exploitation a bien évolué, passant de l’élevage de vaches laitières à celui de vaches allaitantes et de taurillons pour accueillir le troupeau caprin à la fin des années quatre-vingt. Terres et bâtiments sont en location. La stabulation a été aménagée pour les chèvres, en tirant le meilleur parti de la configuration assez basse et avec plusieurs pentes de toit. L’isolation a été réalisée entre 2009 et 2010 et une ventilation dynamique installée. « Nous avons trouvé un compromis pour avoir la meilleure ambiance pour nos chèvres toute l’année, y compris pendant les périodes de canicule que nous avons connues cette année. La ventilation est coupée pour ne pas tirer de l’air chaud à l’intérieur, on ouvre les portes et fenêtres et on laisse l’isolation du toit faire son office. Lors des pics de chaleur des derniers mois, nous avons réussi à maintenir la température à 34 °C maximum dans le bâtiment, alors qu’il faisait 40 °C dehors. »

Le bâtiment chevrettes a lui été réaménagé en 2019 : l’allée centrale élargie et la ventilation modifiée. Depuis, les jeunes éleveurs ne constatent plus de problèmes respiratoires chez les chevrettes.

Autonomes en fourrages

Sur les 170 hectares de terres, un peu plus de 44 sont consacrés à la production de fourrages pour le troupeau. 20 hectares sont en prairies permanentes produisant du foin de fétuque, et 22 hectares en luzerne, dont 11 en porte-graine. Seule la première coupe est donc valorisée pour les chèvres. Le reste est en cultures de vente (blé dur, blé tendre, orge, lin, lentilles, tournesol, féverole et maïs).

L’exploitation est habituellement autonome en fourrages, mais cette année, les deux frères ont anticipé et acheté 14 tonnes de foin de luzerne pour passer l’hiver. « Dans les marais, la luzerne est cultivée en plaine non irriguée. Cette année, nous avons seulement six mois de stocks de luzerne. En trois coupes, nous avons moins récolté qu’en une coupe les années précédentes ! », s’alarment-ils.

Une partie des céréales produites est incorporée au concentré acheté via un contrat avec la coopérative. « Ce mode de fonctionnement permet de ne pas stocker les céréales sur l’exploitation, de réduire le coût du concentré acheté et d’avoir un aliment de qualité constante toute l’année », témoignent Dimitri et Jérôme. Chaque coupe de fourrage est analysée. Composition et quantité de concentrés sont ajustées en fonction de la valeur alimentaire des foins.

Premier robot en caprin

Les chèvres produisent en moyenne 1 100 à 1 150 litres de lait par lactation, avec un TP à 34 TP et un TB à 39. La ration sèche est distribuée par un robot depuis 2015. Elle reçoivent ainsi en moyenne 1,8 kg de fourrage par jour : 800 g de foin de luzerne, 500 g d’enrubannage de luzerne, 500 de foin de fétuque. À cela s’ajoute un kilo de concentrés. 300 g de correcteur et 200 g de maïs grain (en moyenne) sont également distribués en salle de traite équipée d’une Eurostalle. La quantité de maïs est ajustée individuellement en fonction de l’état des chèvres.

Avant d’acheter le robot, le concentré était distribué par six distributeurs automatiques de concentrés (DAC) dans l’aire paillée. Les éleveurs étaient déjà dans une démarche de précision pour éviter le gaspillage et maîtriser l’état des chèvres.

« Avec le robot, l’avantage est le gain de temps et une organisation du travail simplifiée. Nous pouvons faire tout le travail seul le week-end ou lors des pics d’activité au niveau des cultures. Nous avons non seulement gagné en confort de travail, mais aussi en régularité de distribution et en réduction du gaspillage en passant de 20 % à 5 % maximum de refus. »

Brins de 15 centimètres de long

« C’est un outil très modulable et nous avons fait évoluer son utilisation au fil du temps. Il distribue maintenant trois repas par jour à heures fixes, avec trois rations différentes, avance Jérôme. Pour une production régulière, il faut une distribution régulière selon moi. Et les chèvres assimilent mieux les fourrages lorsqu’un seul type est distribué à la fois. » Dimitri et Jérôme n’activent la fonction « laser », c’est-à-dire la détection de la quantité restant à l’auge, que lorsqu’il fait chaud et que les chèvres réduisent leur ingestion.

Avec l’arrivée du robot, les deux frères n’ont pas modifié la chaîne de récolte des fourrages, mais ils utilisent maintenant un rotocut pour gagner du temps et de l’énergie lors du mélange de la ration. « Les brins doivent faire environ 15 centimètres de long, le repère, c’est quand ils dépassent de chaque côté de la bouche de la chèvre pour qu’elle rumine correctement et suffisamment. »

Entre le gain de temps, de confort de travail, d’organisation et la baisse des refus qui fait aussi gagner en surfaces fourragères, l’investissement de 177 000 euros est bien rentabilisé selon les deux frères.

La partie cuisine est très simple : 12 cases dessinées au sol, un chargement une fois par semaine en ration sèche. Le bol mélangeur et distributeur est alimenté par un grappin pour les fourrages, deux vis pour les concentré, une vis pour le minéral, une vanne d’eau et une pompe à mélasse. La consommation journalière d’électricité est de 2,50 euros et la maintenance est réalisée par Jérôme tous les six mois.

Des chèvres très calmes

« Pour la surveillance, nous avons plus de temps pour observer les animaux, qui sont beaucoup plus calmes qu’avec une distribution manuelle ou à la mélangeuse. » Le ou les passages de nuit sont supprimés en période de mise bas.

Avec 60 % d’IA et les autres chèvres en lactation longue, les mises bas sont concentrées sur trois semaines. Seules les primipares sont en saillies naturelles avec les jeunes boucs issus d’IA. « Nos parents ont débuté les inséminations en 1994 et avant ils faisaient de la monte en main. Nous connaissions déjà toutes les filiations ! L’intérêt est de ne pas introduire d’animaux de l’extérieur dans le troupeau pour des raisons sanitaires. Nous voulons aussi améliorer le potentiel de nos chèvres en lait et en morphologie. 40 % du troupeau sont en lactation longue, les mamelles doivent donc être bien conformées. Pour l’organisation du travail aussi c’est un avantage. » La moyenne troupeau au dernier contrôle laitier était de 3,8 kg de lait, et l’ICC moyen est de 2,1, l’IPC à 117.

Le taux de réussite à l’IA est compris entre 55 et 70 %. « Nous avions de meilleurs résultats avant 2019, année où le bâtiment de stockage des fourrages a entièrement brûlé à une semaine des inséminations. Nous avons perdu l’équivalent d’une année de fourrage et de paille, que nous avons dû racheter, avec des qualités variables. Nous commençons à remonter la pente en termes de reproduction et de production. »

Le collectif pour progresser

La génétique est une passion familiale et c’est une fierté d’avoir un ou plusieurs boucs au catalogue CapGènes. De nombreuses plaques au mur témoignent des succès en concours. Les femelles issues de chevrettes sont vendues à Chevrettes de France. Les jeunes boucs issus d’IA sont également vendus. Les autres chevreaux sont vendus à un engraisseur à trois jours, à un euro cette année.

Dimitri et Jérôme, et leurs parents avant eux, sont très attachés au collectif. « Lorsque je me suis installé, il y avait 16 éleveurs de chèvres sur la commune de Marans, se rappelle Dimitri. Aujourd’hui, nous sommes quatre. Les céréales, la vigne et le tourisme prennent le pas sur l’élevage. Mais cela ne nous empêche pas d’avoir un bon groupe d’entraide pour les chantiers d’insémination et de parage des onglons. »

Membres du syndicat caprin de Charente-Maritime et du groupe caprin, ils apprécient les échanges, se comparer avec d’autres élevages et aller voir comment chacun travaille. « Autre avantage du collectif, nous avons tout notre matériel, sauf les tracteurs, en Cuma, et c’est une entreprise qui fait la récolte des cultures de vente. Cela permet de limiter les charges de matériel. »

Les éleveurs cherchent également à réduire la facture énergétique. Ils ont installé un pré-refroidisseur de lait en 2016 et un tracker solaire en 2014. Ce dernier a permis de réduire la facture d’électricité de 30 %.

Aujourd’hui, leur système est stable et ils ont trouvé un bon équilibre dans l’organisation au quotidien. Seule ombre au tableau, l'envolée des charges n’est pas suivie par une hausse suffisante du prix du lait. « Au total, notre laiterie, Terra Lacta, va augmenter le prix de lait de 99 euros les 1000 litres. Mais en plusieurs fois et entre-temps, nous avons déjà livré beaucoup de lait ! »

Chiffres clés

390 chèvres Saanen
1100-1150 litres par chèvre
370 000 litres de lait livrés
170 ha de terre dont 44 pour la production de fourrages
2 UMO
 

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