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Produire de la viande en système pastoral

Jean-Michel Favier, dans l’Hérault. L’éleveur a réussi son pari de n’élever et finir ses animaux qu’avec les ressources pastorales de l’exploitation tout en valorisant la viande en circuit court. Un système cohérent avec son territoire.

Quel parcours ! De la Haute-Loire, où il a vécu l’intensification de l’élevage laitier dans la ferme familiale, à l’Hérault, où il élève désormais des Aubrac en système pastoral. Mais en passant par l’Afrique, l’Amérique latine, les Philippines, la Corse et la Nouvelle-Calédonie, où il a aidé des éleveurs à développer leurs projets, et par une école d’ingénieur. En 2012, Jean-Michel Favier a posé ses valises en France par choix familial et pour monter son propre projet, avec une idée en tête : mettre en application ce qu’il avait vu aux quatre coins du monde. « On peut très bien élever des animaux avec les ressources de l’exploitation, sans acheter de soja ni cultiver des céréales. Quel intérêt d’avoir des bêtes de 900 kilos si elles sont gavées d’intrants achetés ou qui coûtent cher à produire ? » C’est donc sur les contreforts de l’Hérault, à Carlencas-et-Levas, qu’il a trouvé le lieu approprié : une ferme de 250 hectares de prairies, parcours et surfaces plus ou moins boisées. « Je recherchais une zone où les animaux pourraient rester dehors toute l’année et se nourrir au maximum de ce qui pousse et une zone où il y a peu d’élevage mais beaucoup de bouches à nourrir pour pouvoir travailler en vente directe », relate-t-il. Mais, pas question non plus de faire de la « cueillette. Mes bêtes sont en état et produisent de la viande ».

 

« Des milliers d’hectares pour nourrir des milliers de bêtes »

Jean-Michel Favier a repris les baux qui constituaient cette ferme ainsi qu’une stabulation de 60 places, qu’il utilise surtout pour du stockage. Il a récupéré récemment 50 hectares supplémentaires. « Ces milieux quelque peu hostiles sont complètement délaissés par l’agriculture conventionnelle alors qu’il y a des milliers d’hectares pour nourrir des milliers de bêtes », se désole-t-il. Il ne faut pas espérer les alimenter avec de l’herbe grasse et abondante, comme dans les contrées plus favorables, mais avec une végétation diversifiée à bon report sur pied. Quand il a repris l’exploitation, elle était conduite de manière conventionnelle. Les surfaces pastorales étaient délaissées et le milieu se fermait. Il fallait autant de foin en été qu’en hiver pour nourrir le cheptel. « Les terres labourables étaient en voie d’épuisement. » Jean-Michel Favier a travaillé dans trois directions pour construire un système plus cohérent avec son territoire : réorientation de la génétique, valorisation de toutes les surfaces et de toutes les végétations en étalant leur utilisation sur l’année, vente directe de ses produits. Une réflexion qu’il poursuit au sein du Civam empreinte. L’élevage est en bio depuis le printemps dernier.

Croisement Angus pour ramener du persillé

Quand il s’est installé, il a repris un cheptel de 65 vaches croisées Aubrac x Charolais, mais tirant plus vers le blanc que le fauve. Il a réduit un peu le troupeau (55-60 mères) et acheté 15 génisses Aubrac. Il a conservé une souche de vaches croisées. Aujourd’hui, il a 35 mères Aubrac essentiellement menées en race pure. « Au départ, j’avais l’idée de ne travailler qu’en Aubrac pur mais les veaux croisés poussent plus vite et sont plus en viande, d’autant qu’ils ne sont pas complémentés », explique l’éleveur. Depuis l’an dernier, il fait saillir les génisses croisées et Aubrac avec un taureau Angus pour faciliter la finition des animaux. « Vu que j’engraisse mes bêtes sans complémentation, en hiver notamment, où je nourris encore au foin, elles manquent un peu de finition. L’Angus permettra de ramener du persillé sans finition à l’aliment. » Toutes les vaches de boucherie sont destinées à la vente directe (15 par an de 350 - 360 kg c). Il fait abattre des veaux à moins de huit mois pour la vente directe (20 par an à 160-220 kg c) et vend encore une dizaine de broutards mâles (7-8 mois, 280 kg).

 

Éduquer les animaux aux milieux difficiles

Mais, la génétique ne fait pas tout. Au départ, les croisées, pas plus grosses que des Aubrac et habituées aux terrains broussailleux et boisés de l’exploitation, se débrouillaient mieux que leurs congénères de race pure. Il a fallu plusieurs années pour que ces dernières s’adaptent. « Les animaux doivent être éduqués, au contact des mères, pour qu’ils soient capables de pâturer dans les milieux naturels, se déplacer, choisir leur alimentation », explique Jean-Michel Favier. L’éleveur travaille aussi la relation avec ses bêtes, en liberté toute l’année. Le sevrage des futures génisses est le moment privilégié. « Je les rentre en box pendant un mois en un seul lot assez confiné avec du foin, détaille-t-il. J’y passe une à deux heures par jour et je leur donne un peu d’aliment et du sel. Au début, je me méfie et, à la fin, elles se couchent sur mes pieds. »

Les surfaces arbustives produisent plus que les pelouses

Afin de pouvoir nourrir ses animaux uniquement avec les ressources de l’exploitation et réduire au strict minimum les besoins en stocks, Jean-Michel Favier a complètement revu l’utilisation du parcellaire. Il a abandonné le labour, supprimé les engrais et fait évoluer les prairies temporaires à dominante graminées en prairies naturelles à flore plus diversifiée et plus riches en légumineuses. Elles sont moins productives mais plus souples d’exploitation. « En deux à trois ans, j’ai changé la physionomie de l’exploitation. » Il a aussi recoupé les grands parcours pour créer des parcs homogènes en termes de végétation afin d’éviter que les animaux ne délaissent les zones arbustives. « Au début, j’ai posé 20 kilomètres de clôtures électriques à fils lisses », raconte-t-il. Chacun des quinze parcs ainsi constitués est utilisé à des moments précis de l’année et soumis à une pression de pâturage suffisamment forte pour maîtriser l’évolution de la végétation dans le sens voulu. Au printemps, les animaux pâturent l’herbe des prairies naturelles et des parcours assez ouverts. « En été, les Aubrac reviennent sur les repousses des prés de fauche et les croisées se nourrissent d’herbe mûre, de feuilles, d’espèces arbustives, indique l’éleveur. Quand elles sortent des bois, elles sont très en état alors que tout est cramé ailleurs. »

« La PAC n’encourage pas ce type d’élevage »

« Le système est perfectible », reconnaît Jean-Michel Favier. L’équilibre reste très difficile à trouver entre pression suffisante pour maintenir le milieu ouvert mais sans excès pour que la végétation arbustive se régénère. « Je navigue un peu à vue. Avec le changement climatique, il faudrait sans doute donner plus de temps à la végétation pour se régénérer. Mais, la PAC m’empêche de garder des surfaces en défens pendant plusieurs années. De plus, les parcelles semi-boisées sont complètement dévalorisées par le système de prorata. La PAC n’encourage pas ce type d’élevage », regrette-t-il. Son objectif reste néanmoins d’ici deux à trois ans de supprimer presque totalement la part de foin dans l’alimentation du troupeau. Actuellement, il récolte environ 150 tonnes de foin, sur sa ferme (40 ha) et à l’extérieur, pour nourrir ses animaux pendant trois mois d’hiver. Le foin fait à l’extérieur (1re coupe de luzerne) est mis à disposition gratuitement à plusieurs éleveurs regroupés en GIEE par une coopérative de semenciers bio du département. Un projet de groupement pastoral est également à l’étude pour exploiter 450 hectares de garrigue qui ne sont plus utilisés depuis 50 ans. Une estive d’hiver qui lui permettrait de nourrir les 45 génisses de 1 et 2 ans et de réduire fortement les besoins en foin.

Chiffres clés

Surface 300 ha dont 120 ha de prairies naturelles (40 ha de fauche).
Cheptel 55 vaches dont 35 Aubrac et 20 croisées.
Chargement 0,26 UGB/ha SFP.
Main-d’œuvre 1,25 UMO (dont 1 salarié à quart-temps en groupement d’employeur).

De la viande en permanence pour fournir deux magasins

Jean-Michel Favier écoule la majeure partie de sa production — 20 veaux et 15 vaches par an — en direct dans deux magasins de producteurs (Lamalou-les-Bains, Pézenas). Les portions individuelles sont vendues sous vide en libre-service. « Conditionner la viande sous plastique, ça ne me convient pas. Nous réfléchissons à mettre un rayon boucherie dans une des boutiques. Mais, ce sera du travail supplémentaire de gestion. » Il effectue un abattage toutes les trois semaines, voire un mois à certaines périodes. Les carcasses des vaches sont mises à maturer pendant 10-15 jours à l’abattoir. Puis, elles sont ramenées dans un atelier prestataire. « Je fais découper une demi-carcasse et je mets la viande en boutique avec une DLC de trois semaines, détaille-t-il. Dix jours plus tard, je fais découper la deuxième. Cela me permet d’avoir de la viande en permanence. » Les veaux sont découpés en une seule fois après 7 à 10 jours de maturation. Le coût d’abattage-découpe est de l’ordre de 1 000 euros pour une vache et 600 euros pour un veau. C’est la principale charge de l’exploitation (27 000 €/an). Les magasins prélèvent une marge d’environ 5 % pour leur fonctionnement. L’activité vente directe lui prend cinq jours de travail par mois. Avec d’autres éleveurs du Civam, il réfléchit à l’abattage à la ferme.

Avis d’expert - Didier Gomès, animateur du Civam empreinte

« Moins de temps passé sur le tracteur »

« Jean-Michel Favier a nettement amélioré la rentabilité de sa ferme. Les charges opérationnelles (aliments, engrais, semences, frais vétérinaires…) ont diminué de 57 % en quatre ans (de 21 000 à 9 000 €). Les frais d’abattage-découpe sont passés de 8 000 à 27 000 euros et les ventes de bovins de 38 000 à 63 000 euros (+ 66 %). L’ensemble des changements effectués sur l’alimentation du troupeau et sa commercialisation ont permis une augmentation de la valeur ajoutée (produit brut hors subventions - charges opérationnelles) de 82 % en quatre ans. Ces changements ont permis de diminuer la dépendance extérieure (aliments, produits vétérinaires, engrais, semences, énergie…) et de diminuer le temps passé sur le tracteur à faire du foin, ce qui satisfait l’éleveur, tout en conservant le même nombre d’animaux à alimenter. Jean-Michel estime son temps de travail passé à s’occuper des animaux à environ 2 heures par jour. Cela lui a permis de dégager le temps nécessaire pour développer l’activité de vente directe. Aujourd’hui, son système lui procure une grande satisfaction en termes de qualité de vie. Mais, il est constamment en réflexion sur les éventuels changements à mettre en œuvre. »

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