L'agroforesterie intraparcellaire pour modifier le climat de la parcelle
Planter des arbres à l’intérieur d’une parcelle de prairie répond à de multiples motivations. L’une d’entre elles est de créer sur la parcelle un climat plus favorable à la fois à la pousse de l’herbe et au bien-être des vaches, tout en visant la production de bois.
Planter des arbres à l’intérieur d’une parcelle de prairie répond à de multiples motivations. L’une d’entre elles est de créer sur la parcelle un climat plus favorable à la fois à la pousse de l’herbe et au bien-être des vaches, tout en visant la production de bois.
L’agroforesterie intraparcellaire a un effet stabilisateur sur le rendement des parcelles. « Des études ont été menées sur prairies avec des arbres adultes de plus de 20 ans, explique Samuel Legrais, conseiller agroforestier pour l’association Sylvagraire. Elles font état d’un rendement équivalent ou supérieur par rapport à des parcelles témoin sans arbres. La production globale de biomasse de la parcelle — bois et herbe — est améliorée, avec la production de bois, de 20 à 40 %. » Ceci s’explique par plusieurs processus. Installés durablement et répartis de façon homogène sur la surface, les arbres vont prospecter un espace aérien et souterrain supplémentaire pour utiliser l’eau, la lumière, et les nutriments du sol. D’autre part, les arbres ont un développement décalé dans le temps par rapport à la prairie. Par exemple au mois de mars en Anjou, l’herbe a déjà bien démarré sa croissance, alors que les arbres ne sont pas encore en feuilles. Les arbres aussi remontent des horizons plus profonds des éléments minéraux. La décomposition des feuilles et des racines fines constitue un apport de matière organique. Ainsi, sur des parcelles agroforestières, il a été relevé des teneurs en phosphore et potasse mobilisables deux à trois fois supérieures à celles de parcelles témoin. Dès les premières années, les changements sont visibles, et au bout de vingt ans le milieu est stable.
La gestion pratique des prairies est aussi assouplie avec l’agroforesterie. Contraints par la prairie, les arbres développent en effet un système racinaire plus profond qu’en boisement, ce qui améliore la circulation de l’eau dans le sol. Les périodes de saturation en hiver et au printemps sont réduites et la portance des parcelles est améliorée. La réserve utile en eau du sol est améliorée. « Dans les parcelles d’agroforesterie, il se crée un décalage de la pousse de l’herbe de deux à quatre semaines par rapport aux parcelles voisines », explique Samuel Legrais. Plusieurs parcelles avec des densités d’arbres différentes peuvent constituer un levier de plus pour améliorer la gestion du pâturage, voire allonger la période de pâturage en période de forte chaleur.
Réduire le stress thermique des vaches
Pour le troupeau qui pâture dans une parcelle d’agroforesterie, l’intérêt zootechnique est manifeste en été en cas de forte chaleur grâce à la réduction du stress thermique des animaux. La diminution de la vitesse du vent est aussi intéressante. Ces parcelles constituent d’autre part une source de nourriture et un abri pour la faune sauvage et favorisent la biodiversité. Elles créent un magnifique paysage. Le stockage de carbone est augmenté, ce qui doit pouvoir entrer en compte dans le bilan carbone de l’élevage. Enfin, l’agroforesterie est une forme de diversification même s’il faut la penser à l’échelle d’une ou deux générations. Le « capital bois » est transmissible.
Du cas par cas selon la parcelle et les objectifs de l’éleveur
L’objectif est de concilier au mieux les deux cultures — prairie et arbres. « Chaque projet est personnalisé selon les caractéristiques de la parcelle et les objectifs de l’éleveur », précise Samuel Legrais. En fonction de la nature du sol, du sens de travail et des particularités de pente, du type de mécanisation qui souhaite être mis en œuvre, sont définis la position et l’écartement entre les lignes d’arbres. Celui-ci varie entre 25 et 40 mètres en général. Sur le pourtour de la parcelle, une bande de quinze mètres de large n’est pas plantée pour faciliter la circulation du matériel. Les essences sont choisies en fonction du terroir et des objectifs de l’éleveur pour la valorisation du bois. « Les éleveurs peuvent conduire les arbres en haut jet, dans l’objectif de produire du bois d’œuvre à échéance de trente à cinquante ans, ou bien en têtard pour produire du bois énergie ou pour la litière des animaux, avec une taille tous les cinq à quinze ans. » La conduite en têtard est parfois nécessaire, selon l’orientation de la parcelle, pour favoriser la restitution de lumière à la prairie. Elle peut aussi toujours être appliquée en rattrapage pour les arbres dont le développement irrégulier ne permettra pas d’aboutir à du bois d’œuvre.
Des aides de l’Europe et la région
L’agroforesterie intraparcellaire est admissible aux paiements directs de la PAC. La parcelle peut être intégrée dans les SIE (surface d’intérêt écologique). En région Pays de la Loire, des aides sont proposées pour les agriculteurs pour l’installation et le suivi de parcelles agroforestières dans le cadre du plan de développement rural, sur un cofinancement de l’Europe et de la région. Ces aides peuvent représenter jusqu’à 80 % du montant de l’investissement. Ces aides portent sur le travail du sol, les arbres, les clôtures, le paillage, et le filet de protection, ainsi que la main-d’œuvre de l’éleveur. À voir quelles conditions seront appliquées à l’agroforesterie dans la nouvelle PAC.
D’autres financements via des fonds privés existent aussi.
En savoir plus
L’Association française arbres champêtres et agroforesterie (Afac-Agroforesteries), créée en 2007, fédère l’ensemble des acteurs de l’arbre champêtre en France – associations, collectivités territoriales, équipes de recherche, organismes professionnels agricoles et environnementaux, bureaux d’études, opérateurs de terrain – engagés dans la préservation, la plantation et la gestion des haies, des arbres champêtres et des systèmes agroforestiers sous toutes leurs formes.
« Je vise le confort des animaux et un effet drainant »
Rémy Richard, éleveur de 80 Limousines à Armaillé dans le Maine-et-Loire, exploite 62 hectares de prairies. En 2013 et 2014, il a investi dans l’agroforesterie sur dix hectares de prairie multiespèce. Il a choisi pour ceci la parcelle attenante aux bâtiments, où sortent en particulier les vaches avec leurs veaux nouveau-nés durant leurs premières semaines au printemps et à l’automne. « Je recherche ici le confort pour les animaux apportés par les arbres. » Une autre parcelle plus grande a aussi été choisie parce qu’elle est humide, en recherchant cette fois un effet drainant.
« Je suis à quelques années de la retraite, donc la valorisation du bois ne sera pas de mon fait. Mais nous conduisons les arbres dans le but de faire le plus de bois d’œuvre possible, et on s’adaptera en fonction de leur évolution. Je trouve bien intéressant aussi en système herbager de pouvoir être autonome en bois de litière, ou produire du bois de chauffage. » Rémy Richard a aussi été motivé dans ce projet par l’intérêt de l’agroforesterie pour le paysage – d’autant plus qu’il désapprouve qu’un parc éolien va être construit dans la ligne d’horizon d’une de ces parcelles – et la plus-value patrimoniale.
Les parcelles choisies sont uniquement pâturées. Les lignes d’arbre sont protégées par une double clôture, constituée de deux fils électrifiés (à 0,60 m et 1,20 m en décroché) et chaque arbre est protégé par un filet. Aucun dégât n’a été constaté de la part des chevreuils ou des lièvres, ni d’ailleurs de la part des Limousines. La clôture ainsi placée leur permet de brouter toute la ligne de plantation, il n’y a pas d’entretien à faire. Il faut prévoir environ 5 % de plants à regarnir la première année.
« Je faisais déjà du pâturage tournant, mais plus ou moins bien selon les années. Avec les clôtures en couloir le long des lignes d’arbres, j’ai bien rationalisé la conduite du pâturage dynamique, et la productivité de ces parcelles a bien augmenté. Une des parcelles est orientée est-ouest. Il y aura toujours de l’ombre de report sur les couloirs et je pense avoir de quoi pâturer en été quand d’autres parcelles seront grillées. »
« Un plus pour la biodiversité et le confort »
Érik Hulsman est installé à Bouillé-Ménard en bio sur 111 hectares, dont 83 en prairies. Il élève 40 Limousines et vend des bœufs de 30 mois, dont une partie est achetée au sevrage, et des femelles de réforme. « L’intérêt des arbres pour moi est leur contribution au bien-être de mes animaux, en les protégeant de la chaleur et du vent, et à la biodiversité. Deux ans après la plantation, j’observe déjà l’effet sur la faune sauvage. L’objectif est de produire du bois d’œuvre, mais le pilotage se fait à vue, rien n’est figé. »
Sur une parcelle de 7,5 hectares en forme de trapèze, qui est essentiellement pâturée, l’éleveur et son conseiller en agroforesterie ont imaginé une organisation permettant de faire des paddocks mesurant tous un demi-hectare, avec des écartements entre les lignes d’arbres multiples de 6 mètres, pour pouvoir passer facilement le matériel de récolte. L’écartement entre les lignes varie donc d’un endroit de la parcelle à l’autre. De chaque côté des lignes d’arbres a été posée une clôture d’un fil, high tensile, à 0,80 m de haut. Elles sont écartées de 1,8 à 2 m. Un couloir de 6 m de large en transversal dans le milieu dessert les différents paddocks, rendant ainsi la circulation des animaux très simple. « Je n’ai qu’à avancer le fil tous les jours. Si on a un excédent à faucher, il faut juste enlever les fils en bout de ligne. » Une zone sans arbre de 15 mètres de large a été ménagée sur le pourtour de la parcelle pour les manœuvres. Les lignes sont orientées nord sud, ce qui est idéal pour que la lumière parvenant au sol pour la prairie soit homogène. Aucun dégât n’a été observé sur les plantations. La taille des arbres représente une journée de travail par an, fin juillet.