Broutards : les ventes vers l’Italie et l’Espagne entre euphorie et fragilité
Les prix élevés que connaissent les broutards avaient été jusqu’ici absorbés sans trop de peine sur les deux principaux débouchés, Italie et Espagne. La question que tout le monde se pose aujourd’hui est de savoir si un plafond a été atteint.
Les prix élevés que connaissent les broutards avaient été jusqu’ici absorbés sans trop de peine sur les deux principaux débouchés, Italie et Espagne. La question que tout le monde se pose aujourd’hui est de savoir si un plafond a été atteint.

« À 5,50 on s’est demandé si on allait aller à 6, à 6 on s’est demandé si on allait atteindre 6,50 et ainsi de suite », sourit un négociant qui ne souhaite pas être cité. Cette hausse importante est la conséquence d’un double facteur, le premier structurel, la décapitalisation du cheptel français, le deuxième conjoncturel, le passage des maladies vectorielles, FCO et MHE dans les élevages.
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Alors comment nos deux principaux clients ont absorbé cette flambée des prix ? Plutôt bien de l’avis de tous les exportateurs sollicités par Réussir Bovins viande. « La première des raisons c’est qu’ils n’ont pas forcément le choix », poursuit le même négociant avant d’ajouter « c’est quand même nous qui avons encore, le potentiel de production le plus important de la zone… Même si les Italiens et les Espagnols ont essayé d’engraisser les veaux qui naissent chez eux, il n’y en a pas assez, donc ils sont contraints de venir quand même chez nous. »
Une contrainte renforcée par les cours locaux « chez eux les prix des babys ont aussi progressé, nous avons les animaux les plus chers d’Europe, mais les cours ont suivi en Italie et en Espagne », ajoute Michel Fénéon président de la commission import-export de la fédération française des commerçants en bestiaux (FFCB).
Un coût absorbé par le prix de la viande
En Espagne comme en Italie, l’augmentation du prix des broutards a été absorbée par celle du prix de la viande du détail. De quoi maintenir un marché dynamique ces derniers mois dont beaucoup se demandaient quand il allait se retourner. Tous les opérateurs contactés confirment cette adaptation au fil des mois comme Éric Sazy, négociant dans le Sud-Ouest. « Le prix de la viande a augmenté en Espagne et les prix ont tenu, même si nous sommes probablement proches du plafond », estime-t-il.
Opérant aussi dans le Sud-Ouest, Jean-Michel Labourdette ne dit pas autre chose : « Jusqu’en juillet les Espagnols n’avaient pas eu de mal à suivre les prix moyennant quelques petites adaptations. Sur leur marché intérieur, les babys se vendent entre 7 et 7,30 euros, quand ici, on est à 6,80. »
Et ce d’autant que les engraisseurs espagnols avaient la capacité à suivre… « Ils ont fait une très bonne année 2024 avec des animaux qu’ils ont acheté bien moins cher, un prix de l’aliment en baisse et un marché dynamique. En 2025, on peut dire qu’ils sont revenus à des marges normales », estime-t-il encore. Une analyse confirmée par Yves Jehanno, responsable commercial export de Feder : « ils vendent près de 7,50 euros le kilo de carcasse des animaux qu’ils ont acheté à moins de 5 euros… »
Vers un atterrissage douloureux ?
Malgré une euphorie et une fluidité certaine, l’équilibre restait fragile : « Tant que le marché des veaux était fermé à cause des contraintes de prises de sang liées aux passages de MHE et de FCO les augmentations de prix sont passées, mais dès que ces contraintes ont été allégées, on a vu le marché des broutards ralentir un peu », témoigne encore Yves Jehanno « et nous pouvons nourrir des craintes pour la fin de l’année ou l’année prochaine parce que pour valoriser des animaux achetés à 6,20 ou 6,30 il faudra qu’ils vendent à plus de 8 euros le kilo de carcasse… Est-ce que le marché va accepter cette hausse ? La question que tout le monde se pose aujourd’hui, c’est de savoir jusqu’où le consommateur acceptera de payer ? L’atterrissage risque d’être douloureux. »
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Si les augmentations sont passées, c’est quand même au prix de quelques ajustements, pas tant sur le format des animaux que sur leur nombre. « On a vu des clients ne prendre que 80 veaux au lieu de 100, pas parce que la demande fléchissait, mais plutôt pour des questions de trésorerie. Ce n’est pas la même chose financièrement d’acheter 100 broutards à 1 000 euros que 80 à 1 500 ! », explique Jean-Michel Labourdette. Un recul en volume en partie compensé par les obligations vaccinales et l’alourdissement des animaux qui en a découlé, selon Yves Jehanno.
Pour autant, si la DNC est le grain de sable qui vient faire dérailler un beau convoi, tous les négociants consultés s’accordent pour dire que le marché était au plafond. « On a même vu les ventes des Espagnols vers l’Afrique du Nord ralentir sensiblement en juin », révèle Jean-Michel Labourdette. Éric Sazy dresse le même constat, « on est au bout, on ne pourra pas aller plus haut, les animaux que nous sortons sont homogènes, les races sont toutes plus ou moins au même prix. »
L’épée de Damoclès de la DNC
Avec la survenue de la dermatose nodulaire contagieuse (DNC), le contexte a changé du tout au tout en quelques jours au mois de juillet. Jean-Michel Labourdette en témoignait le 22 juillet au téléphone : « Jusqu’à il y a quinze jours, mes clients espagnols suivaient les prix, mais depuis, les engraisseurs sont sous une double menace. Celle des autorités espagnoles qui, si elles ne semblaient pas vouloir interdire les flux venant de France, promettaient un dépeuplement total des ateliers si un cas était détecté. Celle des pays où ils exportent, comme le Maroc qui a femé ses frontières… Avec ce contexte, les prix ont perdu 200 euros en quelques heures pratiquement alors que la demande est là. » Mais l’épée de Damoclès était bien réelle et pesante.
Des spéculations se faisaient toutefois jour dans les travées des marchés, « il se dit que les Italiens de Lombardie et d’une partie de la Vénétie, qui sont bloqués depuis plusieurs semaines par la DNC vont avoir faim quand ils pourront de nouveau acheter des animaux. Ce peut être un élément propre à renverser la tendance », rapportait-il.