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"On a simplifié la conduite de nos 135 aubracs"

Associés dans le cadre d’un Gaec entre époux, Laure et Pierre Soulier élèvent 135 mères Aubrac dans l’Allier. Priorité a été donnée aux investissements dans le foncier et les bâtiments.

Début août, sous l’effet conjugué de la sécheresse puis de la canicule, le feuillage des chênes grille dans les haies de l’Allier. Tandis que leurs lots d’Aubrac sont par force rassemblés autour des râteliers, Laure et Pierre Soulier confessent une certaine lassitude. Aggravé par les perspectives du Ceta, ce second été sec et torride met à l’épreuve leur moral comme leur cheptel. En moins de quinze ans et en partant de pas grand-chose, ils ont pourtant réussi à mettre en place une belle structure : 135 mères sur 190 hectares qu’ils conduisent seuls tout en ayant depuis un an développé une activité de vente directe pour mieux valoriser une partie de leurs femelles finies.

Un petit retour en arrière s’impose. « Je me suis installé deux fois à quelques années d’intervalle ! Une première fois en 1998 en Lozère, mon département d’origine », explique Pierre Soulier. Mais dans ce département à forte pression foncière, il n’est pas facile de constituer une belle structure d’exploitation. Connaissant l’Allier pour y avoir effectué des stages, le jeune éleveur s’était renseigné dans les années qui ont suivi son installation pour acheter quelques hectares. L’idée était — comme le font bien d’autres éleveurs du sud du Massif central — de mettre quelques bêtes en estive. Cela aurait conforté la dimension son élevage, alors composé d’une quarantaine d’Aubrac majoritairement conduites en croisement, en maintenant le siège de l’exploitation en Lozère. Mais l’opportunité d’acheter une centaine d’hectares d’un seul tenant à Chezy, à l’est de Moulins en pleine Sologne bourbonnaise l’a incité à déménager. Au printemps 2006, il a posé ses valises dans l’Allier. « J’ai repris foncier, matériel et troupeau sur une ferme où il y avait beaucoup de choses à remettre en service. J’ai commencé par le parcellaire et la construction d’une première stabulation en 2007 en utilisant dans un premier temps les vieux bâtiments entravés peu fonctionnels. Et comme la maison était inhabitable, j’ai vécu dans une cabane de chantier pendant deux ans ! Sa rénovation n’a été achevée qu’en 2008. » Les Charolaises achetées ont ensuite peu à peu cédé la place aux Aubrac, ramenées de Lozère ou issues d’achats.

Structures d’un seul bloc

« L’avantage de l’Allier, c’est l’existence de belles structures d’exploitations. On trouve des fermes d’un seul bloc avec des grandes parcelles, sans contrainte de relief et avec un climat moins rude qu’en Lozère. » Et de reconnaître qu’il lui a fallu apprendre à composer avec les particularités des terres de la Sologne bourbonnaise. « Nos parcelles sont des argilo-sableux hydromorphes sur nappe d’argile. Gorgés d’eau en hiver, ils se transforment en brique en été. Impossible d’hiverner des bêtes dehors. Et quand rien n’est drainé comme chez nous, épandre du lisier en hiver est inenvisageable. Cela a joué dans notre choix d’opter pour des litières 100 % paillées. Nous aussi sommes devenus 'dépendants' à la paille. On fait 700 bottes par an achetées en andain dans le voisinage. Cela permet des économies d’engrais. »

Mais les sacrifices du début, où les heures de travail n’ont pas été comptées, en valaient la peine. Après la reprise en 2012 d’une nouvelle ferme d’une petite centaine d’hectares à une quinzaine de kilomètres du siège et la poursuite des investissements dans les bâtiments, Laure et Pierre Soulier sont à la tête d’une jolie structure, majoritairement détenue en propriété avec 135 vêlages par an en système naisseur engraisseur et un taux d’endettement forcément important. La dernière étape a été en 2016, la construction d’un bâtiment d’engraissement de 150 places couplé à l’installation de Laure qui a quitté son emploi de salariée dans une collectivité pour créer dans la foulée un Gaec entre époux et consacrer aussi davantage de temps à Eliott et William, leurs deux jeunes enfants.

Simplifier la conduite

Le fort accroissement du cheptel s’est conjugué à l’arrêt du croisement. Plusieurs raisons sont évoquées. La plus grande facilité de conduite est à prendre en compte. Mais Pierre Soulier met d’abord en avant un écart de prix insuffisamment incitatif entre Aubrac et croisés. « Il faudrait au moins 30 centimes d’euro d’écart au kilo vif. » Avec 100 % de monte naturelle pour simplifier la gestion de la reproduction qui a lieu essentiellement en pâture, les deux associés soulignent la difficulté à trouver de bons Charolais facilement utilisables en croisement. Enfin, l’émergence du débouché algérien, friand d’Aubrac lourd quand les aléas sanitaires ne contribuent pas à fermer les frontières est un autre argument de poids.

Toujours dans cet objectif de simplifier et de limiter les coûts de production, aucun broutard n’est complémenté sous la mère. « On fait des lots de 20 à 25 vaches suitées de façon à gérer au mieux les accouplements et le pâturage tournant. » En année climatique « normale », les croissances sont satisfaisantes. Les premiers broutards sont sevrés puis vaccinés FCO en septembre. « La mise en service de notre bâtiment d’engraissement facilite ce travail avec de meilleures performances techniques. On cherche ensuite à les alourdir au maximum de ce qui est accepté par les Algériens, soit jusqu’à 600 kilos pour des lots vendus cette année au deuxième trimestre." L’objectif n’est pas la recherche à n’importe quel prix du GMQ maximum. Leur alimentation est basée sur du bon foin à volonté et 4 à 5 kg de ration par jour. "Pour ces mâles comme pour les vaches finies, on travaille en partenariat avec Unicor, l’OP avec laquelle j’avais l’habitude de travailler en Lozère. » L’an dernier le lot de mâles a été vendu à un poids moyen de 511 kg réglé 2,62 € du kilo vif. Poids et prix légèrement supérieurs cette année.

Les vêlages, on aime ça

La période des vêlages est forcément un enjeu. « Mais avec des bâtiments fonctionnels, ce n’est pas un souci. On aime cette période à laquelle on consacre pratiquement 100 % de notre temps au cœur de l’hiver complété dans une moindre mesure par l’entretien du parcellaire." La principale stabulation des suitées fait pratiquement 2 500 m2. Elle se compose de quatre grandes cases (21 x 16 m) permettant de loger chacune 28 vaches avec deux couloirs d’alimentation perpendiculaires à sa longueur. Neuf ans après sa construction en 2007, ce bâtiment a été élargi de 5,6 mètres sur sa longueur. « On a ainsi positionné 16 cases de vêlage (4x3,75 m) le long d’un couloir de circulation de 1,8 m de large à l’arrière des cases des mères. C’est très pratique. Même quand on a quatre ou cinq naissances par jour, cela permet d’avoir toujours de la place pour isoler les prêtes à vêler puis les laisser seules avec leur veau jusqu’à trois jours après vêlage. »

Initialement, Pierre Soulier était soucieux d’avoir des mises bas centrées sur une courte période, du 15 décembre à début mars. « Notre objectif reste que tout soit terminé à la mise à l’herbe. » Une partie des mises bas a cependant eu tendance à se décaler sur mars avril. Les performances de reproduction demeurent satisfaisantes (98 % de productivité numérique et 132 veaux sevrés l’an dernier pour 135 vêlages), mais se sont dégradées. Les canicules à répétition et une alimentation basée sur des fourrages « secs » une trop grande partie de l’année sont suspectés d’être en partie responsables de ces évolutions. Depuis deux ans les bovins ne bénéficient plus des trois mois de pâturage d’arrière-saison dans de bonnes conditions. « On a aussi du mal à se séparer de certaines bonnes vaches qui se sont décalées de quelques semaines." Côté commercial, ces vêlages de début de printemps ne sont pas un handicap. Ils ont permis cette année de proposer des broutards lourds semis finis en fin de printemps quand le marché algérien était attractif. L’absence d’herbe en été est en revanche clairement pénalisante pour les croissances.

L’alimentation hivernale repose sur le foin complété par un peu d’enrubannage. Une centaine d’hectares sont consacrés à la fauche.

Simplifier le système fourrager

« Quand le temps s’y prête tout est fait en trois semaines », explique Pierre Soulier. Tous les concentrés sont achetés. Cultiver des céréales ne fait pas partie des objectifs. « Cela signifierait drainer. Donc investir pratiquement 2 000 €/ha pour espérer franchir le cap des 40 quintaux/ha. C’est-à-dire racheter pratiquement une seconde fois le foncier pour une amélioration du rendement qui resterait modeste !" Il n’en est pas question compte tenu du contexte tendu du moment. "Drainer c’est aussi rentrer dans une conduite plus intensive dont nous ne voulons pas. Et faire des céréales amputerait d’autant les surfaces en herbe alors qu’avec ces années sèches on est déjà trop juste sur ce volet."
L’ensilage de maïs n’est pas davantage envisagé. Ensiler, c’est davantage de temps passé sur le tracteur, davantage de matériel et de gasoil pour le distribuer. Et cette option est là encore peu compatible avec des sols hydromorphes non drainés. Les surfaces labourables se résument donc à 25 hectares de prairies temporaires sur les meilleures parcelles avec semis de méteil enrubanné avant de renouveler les prairies. Ne pas avoir de cultures permet aussi d’avoir une période creuse entre la fin de l’été et la rentrée en bâtiments. Période consacrée à la taille des haies et au fumier épandu à raison de 2000 tonnes par an sur une bonne partie de la SAU. C’est là que réside le principal volet d’amélioration du parcellaire.

F. A.

Diversifier dans la vente directe

L’installation de Laure en 2006 correspond à la volonté de développer la vente directe. Elle a concerné 15 animaux ces 12 derniers mois en retenant les génisses non conservées pour le renouvellement. Finies tout doucement, elles sont abattues entre 18 et 28 mois pour des carcasses de 300 à 380 kilos découpées par un prestataire. « Avec de l’Aubrac même à cet âge, la viande est bien rouge. On est parti sur ce type d’animaux car on voulait une qualité de viande la plus régulière possible. À cet âge, si les animaux sont finis sans être bousculés il n’y a pas de mauvaises surprises côté tendreté." Un travail de prospection a ensuite été mené sur Moulins et son agglomération avec livraison à domicile des colis. « On a de bons retours. Proposer de l’Aubrac est un plus. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, alors que l’Allier est un des premiers départements pour l’importance du cheptel allaitant, la demande pour la viande en caissette ne semble pas saturée. Mais il faut être en phase avec les attentes de la clientèle. Dans le contexte morose du moment, avoir un client satisfait et s’entendre dire que notre produit est bon et apprécié, cela n’a pas de prix », souligne Laure Soulier.

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