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Les multiples formes du chlore libre pour désinfecter l’eau de boisson des volailles

Eau de Javel, DCCNa, électrolyse, ces produits et cette méthode misent sur le même agent chimique — le chlore libre — qui reste à ce jour le meilleur désinfectant de l’eau en élevage.

La chloration est depuis des décennies le mode de désinfection de choix pour l’eau destinée à la consommation humaine et animale. En élevage, elle est principalement effectuée par l’ajout d’eau de Javel produite industriellement par électrolyse chimique. L’hypochlorite de sodium qu’elle contient est conservé en milieu très basique pour rester stable. Plus l’eau de Javel est concentrée et plus la température est élevée, plus elle se dégradera rapidement (de l’ordre de 10 % par mois pour une température de 40 °C). Avant d’être injectée, l’eau de Javel doit être plus ou moins prédiluée en fonction de son degré chlorométrique (un degré équivaut à 3,17 g/l de chlore actif) et l’eau acidifiée afin que l’acide hypochloreux prédomine. Cette formulation reste la solution de désinfection la plus fiable et la plus économique, mais elle s’est néanmoins diversifiée. Depuis une dizaine d’années, le secteur de l’élevage utilise des galets à dissoudre dans le bac de traitement. Il s’agit du dichloroisocyanurate de sodium ou DCCNa, employé couramment pour désinfecter les piscines de particuliers. Dans l’eau, le DCCNa se décompose progressivement en cyanurate de sodium et en acide hypochloreux en fonction de la demande en chlore. Plus l’acide hypochloreux est consommé par la désinfection, plus le DCCNa se décompose. L’acide cyanurique produit protège aussi le chlore de l’action destructrice des UV, ce qui peut être utile avec un abreuvement exposé à la lumière. La vétérinaire Anouk Dronneau juge cette forme de chlore très intéressante. « Même avec des eaux ferrugineuses, pour lesquelles il faut un temps de contact minimum de 30 minutes avec la dose usuelle (4 g/l), nos tests sur E. coli, avec le produit Hydrosept (formulé avec des agents séquestrants), montrent une quasi-stabilité du chlore libre sur 20 heures. » « C’est un produit très facile à utiliser et sans danger pour le manipulateur, constate Nicolas Cimetière. Utiliser du DCCNa a les mêmes avantages et inconvénients que l’eau de Javel. »

Fabriqué à la demande avec l’électrolyse

Plutôt que d’acheter des produits à diluer (eau de Javel) ou à dissoudre (DCCNa), des sociétés proposent de fabriquer l’acide hypochloreux sur site à partir d’un produit peu onéreux et sans danger, le sel (chlorure de sodium). Il s’agit du procédé d’électrochloration des ions chlorures naturellement présents dans l’eau ou ajoutés. Pour Didier Hauchard, enseignant à l’ENSC de Rennes et expert en électrolyse, « l’électrochloration sur site a au moins deux avantages. Elle fabrique à la demande quasi exclusivement de l’acide hypochloreux. D’autre part, les concentrations en chlore libre sont plutôt faibles (moins d’un gramme par litre), alors que l’eau de Javel titre à au moins 100 g/l. » Là encore, la maîtrise du pH est indispensable pour que le chlore libre soit sous la forme d’acide hypochloreux. « La plupart des électrolyseurs savent réguler le pH », estime le chimiste. Deux méthodes sont proposées, l’une dite « déportée », l’autre « en ligne ».

Sur le plan technique, hormis le prétraitement de l’eau brute, l’eau de javel et le DCCNa nécessitent deux installations avec bac et pompe doseuse, une pour l’acide et l’autre pour le désinfectant. Elles sont moins onéreuses à l’achat qu’une installation avec électrolyseur. En revanche, l’électrolyse ne consomme que du sel, en faible quantité, bon marché et facile à stocker contrairement aux produits désinfectants. En revanche, les électrodes finissent par s’user en fonction de la qualité de leur revêtement (couche semi-conductrice d’oxydes métalliques sur support conducteur) et « s’encrassent », malgré les inversions de polarisation et les lavages acides. Elles doivent être changées à une fréquence variant de six mois à quelques années. Des problèmes de corrosion dans le circuit d’eau ont aussi été constatés, notamment avec la technologie déportée. Pour Didier Hauchard, ce n’est guère surprenant. « La corrosion est principalement due à un pH relativement acide et l’apport d’ions chlorures n’excédant pas le gramme par litre, affirme-t-il. Contrairement à ce que certains avancent, cette corrosion n’est pas due à d’autres espèces chimiques oxydantes. »

Deux façons d’électrolyser l’eau de boisson

L’électrochloration en élevage a commencé au début des années 2000 avec la production séparée du désinfectant concentré, relayée dix ans plus tard par une fabrication du chlore libre voulu.

Avec l’électrolyse « déportée », on fait passer une eau fortement salée (parfois adoucie et démétallisée pour réduire l’encrassement) à travers une cellule d’électrolyse ayant deux électrodes (cathode et anode) disposées dans deux compartiments séparés par une paroi poreuse aux ions. Le courant électrique génère des réactions chimiques d’oxydoréduction, avec la formation d’acide hypochloreux (200 à 600 mg/l de solution) dans le compartiment de l’anode qui produit l’anolyte, un liquide à pH relativement acide (environ 6). La solution de la cathode (catholyte) est à pH basique et peut servir de dégraissant. L’anolyte stocké temporairement est ensuite injecté dans le circuit d’eau via une pompe doseuse. Certains fabricants ont promotionné un « anolyte neutre », résultant du mélange des deux liquides. Pour Didier Hauchard, « le terme neutralité n’a pas de sens. Il faut rechercher la zone de pH propice à l’acide hypochloreux, c’est-à-dire un pH inférieur à 7. »
Avec l’électrolyse « en ligne », toute l’eau de boisson traverse la cellule d’électrolyse mono compartimentée (dépourvue de membrane), avec ses deux électrodes disposées en peigne (alternance d’anodes et de cathodes peu espacées). Le chlore libre est formé au fur et à mesure de la demande en eau par les animaux. La quantité de chlore libre produite est de l’ordre de 0,1 à 10 mg/l d’eau. La production dépend de la disponibilité en ions chlorures, d’où l’ajout de sel par pompe doseuse (de 0,1 à 0,2 g/l d’eau). « Ce n’est pas cette faible quantité qui va sursaler l’eau », estime le chimiste. Pour fabriquer plus, on peut accroître le courant, mais on risque de provoquer l’oxydation de l’eau et de former d’autres espèces chimiques. Le champ électrique produit entre les électrodes pourrait avoir un effet antibactérien, « mais c’est encore très peu documenté. »

L’utilisation des électrolyseurs en question

Loïc Fulbert, du Groupement de défense sanitaire de Mayenne, a constaté que certains circuits d’abreuvement désinfectés à l’eau électrochlorée pouvaient être corrodés sans que cela soit imputable à une usure mécanique. Le spécialiste hygiène du GDS 53 est préoccupé par le niveau très élevé de chlore résiduel et de potentiel redox mesurés dans certains élevages. « On arrive à 7-8 milligrammes par litre (mg/l.) de chlore actif, voire plus de 10, alors qu’avec de l’eau de Javel on préconise de ne pas dépasser 0,5 à 1 mg/l. J’ai parfois l’impression que l’électrolyse est considérée comme la solution qui permet de régler facilement tous les problèmes de qualité d’eau sans avoir une démarche globale. » La vétérinaire Anouk Dronneau abonde dans ce sens. « Nous avons pu constater des lésions de contact sur des œsophages d’oiseaux à durée de vie longue que nous avons attribués à de l’eau traitée par électrolyse. » Elle s’interroge sur le dosage en désinfectant, mais aussi sur la régularité de sa fabrication, sur sa composition chimique, sur l’impact du sel non consommé, sur le contrôle du dosage en bout de ligne. Enfin, pour traiter (antibiotiques, vaccins, vitamines), elle estime qu’il faut pouvoir arrêter l’électrolyseur. Ce n’est pas toujours possible quand il y a plusieurs productions ou plusieurs ateliers approvisionnés à partir d’une seule unité.

Le potentiel redox, un « faux ami »

Depuis plusieurs années, le potentiel redox — avec des valeurs de 750 millivolts et plus — est souvent invoqué pour justifier pourquoi tel ou tel procédé commercial de désinfection est efficace. Pour Didier Hauchard et Nicolas Cimetière de l’ENSC, « cela n’a pas de sens si on ne connaît pas le pH de l’eau et les espèces chimiques présentes. Le seul avantage est qu’il est facile à mesurer. » Par définition, le potentiel redox mesure la différence de potentiel entre une électrode (inattaquable chimiquement) plongée dans l’eau traitée et une électrode de référence au potentiel connu. Cette mesure est liée aux espèces chimiques présentes en majorité, mais c’est une mesure qui reste globale, et non forcément représentative de la concentration résiduelle en désinfectant. De plus, sa valeur dépend de la température (à quelques dizaines de mV près), de la concentration en chlorures (avec une variation non linéaire), du taux de fer, de l’encrassement et de la composition de l’électrode de référence (jusqu’à 450 mV d’écart)… La seule certitude est que « plus le redox est élevé, plus on peut potentiellement engendrer des réactions d’oxydation. Par contre, mesurer un potentiel bas ne veut pas dire qu’il n’y a pas assez de désinfectants. En résumé, c’est intéressant mais loin d’être suffisant. »

 

 
Certaines installations de traitements de l’eau de boisson disposent d’une mesure automatisée du potentiel redox, mais c’est peu fréquent. © A. Puybasset

 

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