Aller au contenu principal

Quand la physique se met au service du vigneron

Romain Guillaument est docteur en mécanique des fluides numériques, et a fondé Celsius, un bureau d’études en physique spécialement destiné aux acteurs de la filière vin. Selon lui, cette science est omniprésente de la plantation jusqu’à la mise en bouteille. Voici quelques-unes des applications qu’il propose.

Modéliser le microclimat des vignes et la dérive des phytos

Et si la physique des fluides nous permettait de prédire les zones sur lesquelles le gel va s’abattre ? À en croire Romain Guillaument, elle peut nous y aider. « En réalisant une simulation numérique du climat, il est possible de dégager des scénarios de risque », assure-t-il. Lorsque le scientifique étudie une parcelle, il récupère tout d’abord la topographie des lieux, afin de créer une carte en trois dimensions. Il récolte également toutes les données climatiques historiquement connues, et calcule les déplacements préférentiels des masses d’air en fonction du relief. Ainsi, il définit les zones où le risque de gel est le plus élevé. Malheureusement, si l’on peut établir une cartographie générale du risque, il n’est pas encore possible de caractériser le phénomène et son évolution en direct. « Nous ne pouvons pas travailler en instantanée, car la modélisation demande plusieurs heures de calcul », explique-t-il. De telles informations sont toutefois intéressantes pour choisir les parcelles à assurer ou non contre le gel.

Et ce qui est réalisable pour le froid, l’est aussi pour le chaud. « Nous pouvons modéliser les zones qui seront plus exposées au chargement ou déchargement de température, en fonction de l’ensoleillement, mais aussi du rayonnement des bâtiments adjacents », détaille le physicien. Des informations qui permettent notamment d’anticiper l’échaudage.

Un autre phénomène facile à prévoir est celui de la dérive phytosanitaire. « Le comportement des particules dans l’air est documenté depuis longtemps, rapporte Romain Guillaument. On peut donc prévoir où les embruns de pesticides vont partir. » Grâce à la topographie, à la densité de feuillage et aux vents dominants, il réalise des scénarios de déplacement et de dissémination du nuage de gouttelettes. Ainsi, le vigneron connaît la direction que va majoritairement prendre la dérive de ses produits, et quels seront les lieux alentour les plus exposés. Il peut alors cibler au mieux les endroits à protéger, tels que les cours d’eau ou les habitations. « Une haie de grands arbres crée des turbulences qui diluent les molécules dans l’atmosphère, relève le scientifique. Mais encore faut-il savoir où les implanter. »

Anticiper les mouvements thermiques au chai

La physique peut aussi être employée pour réaliser une étude thermique, lors de la conception ou de l’organisation du chai. Cela permet de lutter contre les pertes énergétiques, de réaliser des économies et de réduire son bilan carbone. « L’idée est de voir comment la chaleur ou le froid entrent et se propagent dans le chai », explique Romain Guillaument. En travaillant avec l’architecte dès la conception, il est ainsi possible de raisonner les entrées d’air et les déperditions. Ce qui permet de prédire l’ambiance thermique, afin de mieux la maîtriser, et de choisir l’emplacement des cuves. Celles qui ont une forte inertie, par exemple, sont à positionner de préférence dans les zones les plus stables face au changement de température. Il en va de même dans les chais existants. « Je déconseille les cuves en inox, matériau très conducteur, dans un chai mal climatisé », illustre le scientifique.

La modélisation des flux d’air permet également de prévoir l’impact sur les mouvements de convection du vin à l’intérieur des cuves. Et cela en fonction de critères précis. Il est possible par exemple de simuler d’effet d’une activité œnotouristique. « Si l’on sait que la cave est ouverte pour un nombre précis de visites et un temps donné, on peut en déduire les conséquences sur son atmosphère intérieure, et les répercussions que cela implique sur le vin », poursuit le physicien, qui s’adapte littéralement au cahier des charges du vigneron.

Déterminer la forme idoine de sa cuve

Bien que le phénomène ne soit pas perceptible à l’œil nu, le vin stocké en cuve est en perpétuel mouvement. « Le moteur de ces déplacements est la gravité, explique Romain Guillaument. Et l’accélérateur, c’est le gradient de température et la forme du contenant. » Le scientifique a observé que sur une cuve de trois ou quatre mètres de haut, le gradient de température entre le haut et le bas peut aller jusqu’à deux degrés. Une différence qui crée donc une agitation, qui peut elle-même déboucher sur des modifications chimiques et influencer le goût du vin.

Ces mouvements de liquide dans une cuve sont soumis à plusieurs facteurs tels que le volume, la forme, le rayon de courbure, la température ou le pH. Mais ils dépendent également de la nature du matériau. Ainsi, pour une même cuve ovoïde, les simulations du physicien montrent une somme des déplacements de 17 centimètres par jour si elle est en bois, de 52 centimètres lorsqu’elle est en béton et de 69 centimètres en inox. Grâce à la physique des fluides, Romain Guillaument est capable de simuler le comportement du vin en fonction de toutes ces informations, et de prévoir ses mouvements au sein de la cuve. Il peut ainsi conseiller sur la forme et le matériau à privilégier. Le scientifique prévient toutefois : « Il n’existe pas de cuve idéale. Avant de recommander le design d’une cuve, je discute avec le vigneron ou l’œnologue. Je lui demande comment il veut travailler son vin, et m’adapte au profil aromatique désiré. Je ne suis pas là pour uniformiser les vins ! » En effet, une forme de cuve qui brasse beaucoup les vins fera pénétrer beaucoup plus d’oxygène dans les contenants en béton ou en bois, ce qui peut être bénéfique ou délétère selon le cas. De même, le contact avec les lies ne se fera pas de la même façon. D’après les premières observations du physicien, la forme de l’amphore maximise les mouvements de convection, alors que l’elliptique les minimise. La cuve ovoïde se trouve quant à elle entre les deux. « Nous pourrions même aller plus loin, et regarder comment le vin circule dans une bouteille. Ou encore observer ce qu’il se passe lors de l’embouteillage, pour essayer de l’optimiser… », conclut Romain Guillaument. Les tarifs pour de telles études dépendent de la complexité du projet, mais peuvent aller de 2 000 euros pour des calculs simples, à 15 000 euros pour la création complète d’une cuve. Elles sont par ailleurs déductibles à 30 % grâce au crédit d’impôt recherche (CIR).

 
témoignage

"L’étude de la physique aura des répercussions concrètes"

"J’ai travaillé avec Celsius sur une forme de cuve pour un client. J’avais imaginé un contenant bien précis de 70 hectolitres, de forme tronconique inversée, pour avoir une bonne surface de contact et favoriser l’extraction, et dans laquelle le chapeau se casse seul lors des remontages. Lorsque l’on a modélisé les mouvements grâce à la physique des fluides, on s’est rendu compte que la pente était trop importante et qu’il fallait la réduire de 4 % pour obtenir l’effet attendu. Je pense que cela nous permettra de gagner du temps à la cave et d’optimiser la richesse polyphénolique. À mon sens, les applications de la physique en viticulture et en œnologie ont beaucoup d’avenir. Que ce soit pour jouer sur la richesse en sucre en modélisant l’orientation des rangs ou pour déterminer la localisation et puissance idéale d’une éolienne antigel. Ou encore pour avoir une meilleure appréhension de la filtration afin d’être plus économes et plus performants. Au chai, on sépare actuellement les études sur la thermie des cuves et celle des bâtiments : je suis persuadée qu’il y a nombre de climatisations inopérantes ou inutiles ! Nous pourrions réaliser des économies d’énergie. Il faut toutefois que notre filière s’intéresse à cette nouvelle façon de penser et s’approprie ces outils."

Les plus lus

Le Skiterre se compose de deux grands skis qui assurent le contrôle de la profondeur et de la position de la lame.
« Le Skiterre, un outil intercep simple et productif »
Vignerons en Anjou, Nicolas et Christophe Moron se sont équipés d’un outil de travail du sol intercep Skiterre.
Vigneron plantant une nouvelle parcelle avec des pieds de Pinot noir dans la vallee de la Marne en AOC Champagne.Droit de plantation.
Quand FranceAgriMer exaspère les viticulteurs

FranceAgriMer joue un rôle essentiel dans l’attribution des aides. Face aux dossiers chronophages, aux contrôles…

Pellenc - Un robot à chenilles dans les vignes

Pellenc dévoile un robot à chenilles pour les vignes, le RX-20.

Le Dyna-Drive est un outil de travail du sol auto-animé réalisant un mulchage en superficie.
« Le Bomford Dyna-Drive est un outil interrang entre le rolofaca et le rotavator »

Jérôme O’Kelly utilise depuis quatre ans un outil de travail du sol auto-animé.

Le Biogel d’AquaGreen Protect est pulvérisé sur la vigne sous forme de mousse. En séchant, cette dernière protégerait la vigne du gel.
Lutte contre le gel de la vigne : deux nouveaux produits un peu givrés

Deux firmes viennent de lancer des produits visant à lutter contre le gel de la vigne via la création d’une gangue protectrice…

Chargement d'un camion citerne de la coopérative viticole CRVC (Coopérative régionale des vins de Champagne) enlèvement d'une cuvée chez un vigneron adhérent durant les ...
Vin en vrac acheté à prix abusivement bas : que peut changer la condamnation de deux négociants bordelais

En pleine crise viticole, un jugement se basant en partie sur un article issu de la loi Egalim vient de condamner deux…

Publicité
Titre
Je m'abonne
Body
A partir de 100€/an
Liste à puce
Accédez à tous les articles du site Vigne
Consultez les revues Réussir Vigne au format numérique sur tous les supports
Ne manquez aucune information grâce aux newsletters des filières viticole et vinicole