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Les variétés résistantes à la conquête des consommateurs de vin

Les atouts environnementaux des variétés résistantes devraient jouer un rôle central dans leur développement commercial. La communication est un défi majeur dans un contexte où la création variétale suscite une certaine méfiance.

Le domaine Isle Saint Pierre a choisi de mettre en valeur sa gamme issue de variétés résistantes avec des étiquettes dessinées par un artiste local.
© C. Gerbod

Clé de la valorisation économique, le consommateur de vin est avant tout sensible au goût et au rapport qualité/prix. « Il faut avoir quelque chose de qualitatif qui permette de valoriser le produit. Si les variétés ne sont pas qualitatives, ni productives, elles ne vont pas se développer même si elles sont résistantes », pose Hernan Ojeda, ingénieur de recherche à l’Inrae, au sein de l’unité Viticulture, Qualité-Raisin de Pech Rouge à Gruissan.

Des résultats prometteurs sur le goût

Hernan Ojeda est pleinement rassuré par les essais menés par l’unité de Pech Rouge pour ce qui est du goût.  « Nous avons aujourd’hui des variétés Bouquet qualitatives proches du grenache, cabernet sauvignon, marselan ou fer servadou. On a constaté lors de dégustations que des metteurs en marché les trouvaient très qualitatives », se réjouit-il. « Il n’y a pas de goûts bizarres dans ces variétés Bouquet », ajoute-t-il en rappelant la mauvaise réputation des hybrides producteurs directs sur ce point. Il prévient toutefois « qu’il ne faut pas penser que ce sont exactement les mêmes variétés ». La marge est donc étroite puisque, selon lui, il est difficile de s’écarter du modèle vinifera en termes de goût, les consommateurs étant « habitués à un style ».

Les échos sont aussi favorables sur les variétés Resdur-Inrae même si, à ce jour, les dégustations mobilisent plutôt des professionnels. Pour aller au-devant de consommateurs, Philippe Cottereau, chef de projet à l’IFV, a proposé de déguster des vins issus des variétés floréal et artaban aux participants de l’évènement « Les vignerons sur le pont », organisé à l’été 2020 par l’IGP coteaux du pont du Gard. Le compte rendu conclut que les vins ont été jugés « très corrects, voire très bons pour certains dégustateurs » avec une petite préférence pour le vin blanc issu de floréal. Les dégustateurs ont annoncé être prêts à payer en moyenne autour de 7 € pour une bouteille de floreal et de 6 € pour une bouteille d’artaban. Des prix plutôt bien situés sachant que les prix des IGP présentéess variaient de 5 € à 12 €.

Bien communiquer les atouts environnementaux et sanitaires

Au-delà du goût, le projet européen Vinovert (2016-2019) a confirmé la nécessité d’une communication sur les vins issus de variétés résistantes orientée vers les performances environnementales et sanitaires. Un échantillon de 163 consommateurs a arbitré des choix entre quatre vins blancs 2016 du Languedoc-Roussillon dont un issu de variétés résistantes. Les chercheurs ont observé l’évolution du prix maximum que les consommateurs étaient prêts à payer par bouteille (le consentement à payer individuel ou CAP) au gré des informations délivrées progressivement sur les vins.

Le vin issu de variétés résistantes, moins bien placé au départ sur le sensoriel, a fini par se retrouver en tête alors que la diminution des traitements et l’absence de résidus de pesticides étaient mises en avant. Le vin bio a progressé mais un peu moins parce qu’il affichait des résidus de cuivre. Au final, le vin conventionnel premium a peu évolué mais le vin standard s’est retrouvé en fin de classement.

Avec sa cuvée Nu.Vo.Té issue de rouges résistants lancée en 2019, les Vignobles Foncalieu cherchent à atteindre la cible de consommateurs privilégiant « des vins sains, respectueux de l’environnement et de leur santé, tout en étant authentiques ».

D’abord issu d’artaban en 2019 puis d’artaban et de vidoc depuis 2020, ce vin de France remporte un grand succès, assure Gabriel Ruetsch, responsable agronome chez Foncalieu. Il observe que pour cette génération qui « s’affranchit des codes de leurs aînés », le cépage et l’appellation « ne sont pas les critères d’achat retenus ».

La cuvée a donc aussi opté pour un nom et une étiquette décalée dans l’idée de susciter la curiosité. En 2021, elle est certifiée bio et sa production atteint 15 000 bouteilles.

Expliquer pour désamorcer la crainte d’OGM

Reste qu’expliquer l’origine de ces variétés est délicat. « Mes vins à base de résistants sont certifiés bio depuis 2019. Pour le moment j’indique sur la contre étiquette le nom du cépage et j’explique qu’il est naturellement résistant aux maladies. Mais pour les gens, ça veut dire OGM », se désole Mickaël Reynal, vigneron au domaine de Revel dans le Tarn. Pour lui, il est urgent de trouver « un nom plus vendeur » avant que ces variétés ne se développent.

« Quand on explique que les variétés résistantes aux maladies nécessitent très peu de traitements phytosanitaires, on sent que l’on capte l’intérêt des consommateurs. En revanche dès qu’on parle de sélection variétale, ça leur fait peur. Les gens pensent immédiatement qu’il s’agit d’OGM », constate aussi Philippe Cottereau de l’IFV.

La façon d’en parler est donc bien un problème majeur à résoudre puisque sans adhésion des consommateurs, il sera peu motivant d’adopter ces variétés résistantes à la vigne. L’arrivée de ces variétés résistantes au sein des AOP, bientôt rendue possible par la réglementation européenne, rend cet enjeu de communication encore plus crucial.

Un positionnement commercial à trouver

De nouvelles variétés vont arriver en nombre d’ici cinq à dix ans. Elles vont devoir se faire une place sur un marché aujourd’hui structuré autour de quelques variétés phares et d’appellations. « Si l’on extrapole au marché réel, on peut penser que les vins issus de variétés résistantes iront avant tout concurrencer les vins de première et moyenne gamme, plutôt que les vins premium dont le consommateur aura davantage le souhait qu’ils conservent leurs cépages traditionnels », concluaient les chercheurs du projet Vinovert (2016-2019).

Pour Jean-Marc Touzard, directeur de recherche à l’Inrae, la question centrale est « d’arriver à développer à la fois des variétés résistantes à qualité régionale qui pourraient à long terme structurer les appellations régionales, et quelques variétés plus originales pouvant percer éventuellement sur le marché des vins de cépage ». Il imagine qu’en dehors de quelques marchés confidentiels, seuls quelques cépages seront retenus. Lesquels ? « Au-delà des qualités organoleptiques, des degrés, des noms choisis… ce seront aussi les récits associés et les acteurs qui en feront la promotion qui joueront ». En d’autres termes, la balle est aussi dans le camp des vignerons et metteurs en marché. Du côté des chercheurs, des réunions de consommateurs sont envisagées pour tester des cépages, des noms et des arguments.

Témoignage : Julien Henry, vigneron et propriétaire du domaine Isle Saint Pierre à Arles

« Les réactions peuvent être à l’opposé de ce que l’on imagine »

« Nous avons une vingtaine d’hectares plantés d’une quinzaine de variétés résistantes sur au total 250 ha de vignes. Nous poursuivons la tradition d’innovation de notre domaine familial. Nous avons souhaité planter au moins un demi-hectare de chaque variété pour pouvoir cultiver et vinifier de façon classique. Nous proposons 5 cuvées, 2 blancs, 2 rosés et 1 rouge. Nous les vendons en moyenne autour de 9 à 10 euros. Aujourd’hui, il y a les blancs, comme le soreli ou le souvigner gris sur lesquels on peut se lancer facilement. Nous faisons par exemple 400 à 500 hl par an de soreli. C’est plus compliqué avec les rouges.

Il y a besoin de beaucoup expliquer. Il faut apprendre au consommateur. Les réactions peuvent être à l’opposé de ce que l’on imagine. Il y a une incompréhension dès que l’on se met à parler de traitements. Les clients s’imaginent à 99 % qu’en bio on ne traite pas alors quand on leur dit qu’on traite moins mais que ce n’est pas du bio, ils ne comprennent pas.

Le nom est important. Soreli, fleurtaï, ça accroche, c’est plaisant. Bronner c’est moins charmant en France mais il faut voir à l’international. Les plus gros soucis que j’ai pu rencontrer c’est avec les noms qui reprennent un nom de variété connu comme merlot korus ou merlot kantus ou sauvignon kretos. Il y a tout de suite une réaction. Ça peut passer pour les gens qui n’y connaissent rien mais dès que les gens connaissent un peu et qu’on commence à expliquer, leur premier réflexe est de penser qu’on a modifié la variété et qu’il s’agit d’OGM, ce qui n’a pas du tout une bonne image. On est au début de quelque chose, on a encore tout à découvrir en plantation, culture, vinification. On ne peut vinifier qu’une fois par an. C’est l’avenir, mais c’est complexe. »

 

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