La neurobiologie végétale a déjà des applications concrètes en viticulture
Les start-up Vivent et Vegetal Signals proposent des kits avec électrodes permettant de recueillir les signaux indicateurs de stress sur les vignes.
Les start-up Vivent et Vegetal Signals proposent des kits avec électrodes permettant de recueillir les signaux indicateurs de stress sur les vignes.
Article réalisé avec Xavier Delbecque
L’Histoire a retenu Champollion comme le décrypteur des hiéroglyphes ; peut-être retiendra-t-elle Vivent et Vegetal Signals comme celles qui ont craqué le langage des vignes… Spécialisée dans l’électrophysiologie végétale, la start-up suisse Vivent travaille depuis dix ans au décryptage des signaux électriques émis par les plantes. Depuis 2021, elle propose un boîtier avec des électrodes pour la vigne, permettant de détecter le stress hydrique des ceps et d’ainsi piloter plus finement les travaux viticoles et/ou l’irrigation. Concrètement, l’entreprise loue au vigneron un boîtier de 20 x 10 x 10 cm, muni de petits panneaux solaires et relié à deux électrodes. Celui-ci, aidé par la firme, branche les électrodes sur deux ceps.
Les capteurs enregistrent alors les signaux électriques émis par ces deux plantes. Ces derniers sont envoyés sur le Cloud, où ils sont ensuite analysés par les algorithmes d’une intelligence artificielle. « Nous avons différents algorithmes permettant de savoir ce que signifient ces signaux et quelle est la source de stress », explique Marina Curran, responsable communication de Vivent. L’un des intérêts de cette technique est que les végétaux réagissent instantanément à un stress donné, ce qui permet d’agir très vite, avant même que l’on puisse voir la réponse physiologique.
Économies d’eau à la clé lors du pilotage de l’irrigation
Du côté français, l’entreprise Vegetal Signals (voir Réussir Vigne n° 280, janvier 2021) commercialise depuis quelques mois sa solution Hydroscore, qui couple la détection des signaux de stress hydrique avec une application mobile. « Une des problématiques majeures a été de passer du labo aux champs, car nous avions besoin d’une électronique assez légère pour être adaptée sur un capteur », relate Fabian Le Bourdiec, fondateur et directeur de la jeune société. Tout comme chez Vivent, les entrepreneurs ont passé plusieurs années à mesurer les signaux électriques circulant dans la plante, à les caractériser à l’aide du machine learning et à étalonner les modèles en comparant des résultats de chambre à pression.
Aujourd’hui, le vigneron reçoit en temps réel les informations de la vigne et peut visualiser le niveau de stress hydrique grâce à un code couleur simple. Chaque capteur intègre huit points de mesure, et fait une moyenne de huit souches. « Les essais de pilotage de l’irrigation à l’aide d’Hydroscore, menés dans le Gard avec l’IFV, sont probants, se réjouit le dirigeant. Ces informations permettent de sauter des tours d’eau. La modalité testée a atteint un niveau de contrainte hydrique satisfaisant et une bonne quantité de récolte avec seulement 35 mm d’arrosage, contre 155 pour le témoin piloté classiquement. »
Des SMS préviennent lorsqu’un problème survient
Mais l’exploitation des signaux électriques de la vigne ne s’arrête pas là. À terme, la start-up Vivent souhaite décrypter tous les signaux de stress émis par les plantes, que ce soient des carences minérales, des problèmes climatiques, ou des attaques de ravageurs. Avec pour ambition de limiter le recours aux produits phytosanitaires et d’augmenter les rendements. Pour l’instant, Vivent, plus avancée sur les cultures en serre, propose aux horticulteurs un package « General Stress Algorythm », permettant de détecter un problème, quel qu’il soit. « Le système envoie une alerte SMS au producteur, décrit Marina Curran. Il se rend alors dans la serre et vérifie par exemple que les fenêtres sont bien dans la position idoine, que la terre n’est pas trop sèche, ou encore qu’il n’y a pas d’attaque d’insecte. » La seconde offre est destinée au monitoring du stress hydrique : l’agriculteur reçoit un message lorsque la plante a soif. Des packages sont en cours de développement sur la détection des maladies (champignons notamment) et/ou des carences.
Un créneau sur lequel travaille également Vegetal Signals depuis 2019. « On teste en version bêta une solution de détection du mildiou », révèle Fabian Le Bourdiec. À partir du même signal électrique, les développeurs ont extrait une « signature », une particularité qui correspond à la réponse de la vigne. « Notre algorithme donne une probabilité d’infection chaque jour, détaille le dirigeant. Et avec le recul, on voit que cette probabilité devient supérieure à 80 % plusieurs jours avant l’apparition des symptômes. » La question principale maintenant est de savoir que faire de cette information, puisque les traitements sont généralement faits en prévention de la contamination et non de l’expression des symptômes…
Le troisième axe de recherche de la société française se situe sur la phase de maturation. Un réseau de quarante exploitations a permis de constater que le modèle de prévision est relativement précis. Et cela au moins sur quatre paramètres que sont les sucres, l’acidité, les anthocyanes et les polyphénols. « Ce qui n’est pas illogique puisque les flux ioniques, que l’on mesure, sont liés à l’activité photosynthétique », explique Fabian Le Bourdiec. Il espère que ce paramètre sera opérationnel et commercialisable dès l’an prochain.
Une technologie qui débute à quelques centaines d’euros par an
Ces technologies innovantes ont bien sûr un coût. Il faut compter chez Vivent environ 800 à 1 000 euros par mois au départ pour la location du boîtier et l’aide à l’analyse des données. « À partir du moment où le viticulteur est autonome, il n’a plus que la location du boîtier », souligne Marina Curran. Soit environ 200 euros par mois. « Mais si des vignerons souhaitent travailler sur les maladies, nous sommes partants pour des partenariats car nous avons encore besoin d’apprendre », ajoute la responsable communication. Chez Vegetal Signals, le système fonctionne aussi par abonnement et location du matériel. Le tarif s’élève à quelques centaines d’euros par an pour un seul paramètre. La société française, implantée à Bordeaux, se développe en Bourgogne, en Espagne, dans la vallée du Rhône, autour de la Méditerranée, et commence à travailler avec l’ICV, des coopératives et des chambres d’agriculture. Une centaine de capteurs sont déjà déployés chez des clients, et des distributeurs se disent intéressés. Il ne fait nul doute que vous devriez en entendre parler dans les années à venir…
Témoignage : Pierre Fontaine, propriétaire du Clos de Torméry, à Chignin en Savoie
« Écouter la vigne pour lui donner ce dont elle a besoin »
« Nous avons commencé à travailler avec Vivent fin mars. Nous sommes équipés de deux boîtiers avec panneaux solaires, connectés à quatre ceps. Nous avons inséré les électrodes dans les pieds. C’est assez simple même si les électrodes sont fragiles et qu’il faut parfois s’y reprendre à deux fois. Une fois qu’il est installé, le boîtier récolte des données et les envoie à l’entreprise en Suisse. Celle-ci nous transmet alors des rapports. L’interprétation est encore délicate, surtout lors des traitements de la vigne. Cela nécessite d’acquérir beaucoup de données. Le dispositif va rester en place au moins une année entière, sûrement deux.
Lire aussi : Le non-rognage de la vigne, qualitatif mais chronophage
Je suis en biodynamie et mon objectif est vraiment d’écouter la vigne, pour lui donner ce dont elle a besoin. J’aimerais qu’elle puisse nous dire si elle est malade avant même qu’on s’en aperçoive. On a déjà observé que la vigne réagit différemment avec de la pluie ou avec un arrosage ! J’aimerais aussi qu’elle puisse nous indiquer quand elle est atteinte de flavescence dorée, si le stress hydrique qu’elle subit est trop fort, si elle a besoin d’engrais, etc. Je m’intéresse également à l’impact des travaux sur la vigne. Quelles réactions provoquent chez elle un rognage ou un écimage ? On crée une blessure donc il y a sûrement un stress. J’aimerais comparer l’impact d’un enroulage ou d’un tressage et d’un rognage.
Je pense qu’à l’avenir, ce type d’équipement va nous permettre d’engranger de la data, qui nous aidera dans ce changement de paradigme qui fait que l’on va progressivement sortir des pesticides. »