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Et si on montait le son ?

Booster les défenses immunitaires de la vigne, éradiquer les micro-organismes, ou encore, extraire les polyphénols du raisin. Telles sont les perspectives ouvertes par l’utilisation des ondes sonores.

Après le bœuf de Kobé, élevé à la musique classique, les vignes et le vin seront-ils également « élevés » aux ondes sonores ? C’est en tout cas le leitmotiv de l’entreprise tant controversée, Genodics. Cette dernière propose de diffuser des séquences de protéodies (« mélodies de protéine, obtenue à partir des notes de musiques, dont la fréquence reprend celle des acides aminés de la protéine »), permettant d’activer ou d’inhiber certaines protéines des organismes vivants.

Un boîtier disposé dans les vignes (un tous les 3 à 10 hectares, selon le profil du terrain) émet des séquences d’ondes sonores à raison de deux fois par jour et de huit minutes par diffusion, durant toute la période végétative de la vigne. Avec, à la clé, « une stimulation des défenses de la vigne, et moins de maladies », promet Genodics. Selon le « codage », les maladies visées peuvent être l’esca, l’excoriose, le court-noué, le mildiou ou encore l’oïdium. Ou tout simplement, l’objectif peut être d’améliorer la résistance de la vigne aux conditions difficiles (stress hydrique, gel, etc.).

Par ailleurs, cette technique peut également être employée au chai, pour stimuler les levures lors de la FA, les bactéries durant la malo, inhiber les bretts, ou encore booster la formation du voile du vin jaune. L’entreprise Swing It s’est elle aussi lancée sur le créneau de la stimulation fermentaire sonore, mais en diffusant de la musique (classique, jazz, etc.) à l’intérieur des cuves.

Pas d’étude scientifique sur la génodique

Mais cette technique de stimulation sonore fonctionne-t-elle réellement ? C’est là que l’affaire se corse. Aucune étude scientifique n’existant actuellement sur le sujet, il est très difficile d’y voir clair. Les utilisateurs ayant sauté le pas sont convaincus, à l’instar de Jean et Marc Médeville, du château Fayau, à Cadillac, qui emploient cette technique pour lutter contre l’esca, le mildiou et l’oïdium, et pour doper leurs fermentations. « À la vigne, nous sommes plus ou moins convaincus, explique ainsi le premier. Nous avons moins d’esca depuis deux-trois ans, et les vignes proches des boîtes ont moins de mildiou et d’oïdium. En vinification, c’est dur de savoir ce qui joue car il y a beaucoup de variables. Mais l’an dernier, nos malos patinaient et trois jours après avoir mis la musique, elles étaient finies. »

Au château Pape Clément, l’effet semble également être au rendez-vous. « Dans l’ensemble, les résultats sont satisfaisants, indique Arnaud Delaherche, le responsable recherche et développement. On arrive d’une part à limiter la présence de l’esca, et d’autre part, à récolter des raisins sur les pieds atteints. Cela évite d’avoir à faire du curetage. » Même satisfaction chez les vignerons de Buzet, où le chargé de missions innovation vignoble, Sébastien Labails, constate moins d’esca sur les vignes disposant du procédé Genodics. « En 2015, nous avons installé les boîtiers sur quatre hectares de cabernet sauvignon ayant une mortalité liée à l’esca de 7 % par an. Avec Genodics, nous sommes tombés à 2 %. Puis à 2,5 % en 2016, et surtout à 1,8 % cette année, alors que nous assistons à une explosion partout ailleurs. » Mais étant donné que les ondes se propagent, il est très difficile d’avoir un témoin, et donc de réaliser des expérimentations objectives sur le sujet.

Les protéodies et la musique ne sont pas les seules ondes sonores revêtant un intérêt pour notre filière ; les ultrasons semblent promis à un bel avenir en œnologie. Ils pourraient notamment se substituer, à plus ou moins longue échéance, à la thermovinification, à la macération à froid, ou encore, à la flash pasteurisation. C’est tout du moins ce qui semble s’esquisser, au vu des premiers résultats du projet européen Ultrawine. Porté par l’entreprise ibérique Agrovin, il consiste à tester l’extraction des composés phénoliques, par l’application d’ultrasons à basse fréquence et forte puissance. Et les résultats sont au rendez-vous.

« Le procédé permet d’extraire rapidement les composés polyphénoliques des raisins, tout en respectant ses arômes variétaux », indique Ricardo Jurado Fuentes, du département des innovations technologiques d’Agrovin. Au lieu de durer sept jours, la macération s’écoule ainsi en quarante-huit heures, pour un même résultat qualitatif. Par ailleurs, « en comparaison avec une vinification traditionnelle, ce procédé permet une économie de temps et d’énergie très élevée », poursuit Ricardo Jurado Fuentes.

Une bonne préservation des arômes variétaux

Pour ce faire, Agrovin a mis au point un procédé rodé. L’utilisateur encuve les raisins égrappés et foulés dans une cuve de stockage, à l’intérieur de laquelle « Ulyses » injecte de l’air ou de l’azote sous pression depuis le bas, afin d’homogénéiser le tout. Une pompe envoie ensuite les raisins dans la machine à ultrasons, dénommée Perseo Aguss. Celle-ci émet des ultrasons à une puissance de 50 kW, à une fréquence de 15 à 45 kHz, et « traite » la vendange à un débit de dix dix tonnes par heure. Pour ce faire, les ondes créent un champ de cavitation, qui optimise la libération des composés phénoliques de la peau des baies.

En sortie de machine, les raisins sont orientés vers une seconde cuve, où ils effectueront leur macération durant 24 à 36 heures. Durant tout ce processus, « l’élévation de la température est inférieure à 3 °C », souligne Ricardo Jurado Fuentes, ce qui explique la bonne préservation des composés aromatiques, et l’absence d’hydroxyméthylfurfural. De plus, « la clarification est meilleure et les arômes se conservent mieux durant la fermentation », poursuit-il.

Cette technologie, qui peut s’appliquer aussi bien aux rouges qu’aux blancs, n’est pour le moment pas autorisée en Europe. Agrovin travaille à sa validation par l’OIV. « En 2018, nous présenterons des résultats afin de passer en phase 5 », indique Ricardo Jurado Fuentes. Si tout se passe bien, on peut espérer une commercialisation en 2019 ou 2020.

Une autre application des ultrasons pourrait être la stabilisation du vin. Car si les ondes sonores permettent d’éliminer les micro-organismes du bois (voir sous-papier), pourquoi ne le feraient-elles pas également dans le vin ? « Il y a des perspectives conséquentes dans la stabilisation du vin par les ultrasons haute puissance, reconnaît Rémy Ghidossi. Des essais menés aux États-Unis et en Australie ont mis en exergue des résultats très probants sur l’abaissement des populations de levures et de bactéries. » Ce qui ne serait pas étonnant, cette technologie étant déjà employée dans l’agroalimentaire.

L’entreprise allemande Hielscher propose ainsi cette application, parmi de nombreuses autres, telles que l’activation de réactions enzymatiques ou l’inhibition d’enzymes, l’accélération de la fermentation, l’homogénéisation ou encore le dégazage. Il n’est donc pas ubuesque d’imaginer l’arrivée de certaines en œnologie. Sur le Vinitech 2016, l’entreprise Kelzind, fondée par Olivier Zébic, proposait d’ailleurs plusieurs machines à ultrasons, visant diverses applications : l’extraction, le dégazage, ou encore l’activation de fermentations languissantes. Mais elle a depuis été placée en liquidation judiciaire…

voir plus loin

Un gain de temps lors du vieillissement

Des chercheurs de l’université de Cadix, en Espagne, ont développé un système à base d’ultrasons et de copeaux, pour accélérer le vieillissement des boissons spiritueuses ou distillées, afin de gagner du temps. Ils envoient l’alcool dans un tube empli de copeaux, où ils appliquent les ultrasons. Les premiers résultats semblent prometteurs.

Dans le domaine du vin, le projet européen Ultrafinewine planche sur la même thématique. Il semblerait que l’application d’ultrasons à 15 W/l, durant moins de 15 minutes donne de bons résultats. Mais une méthode de précontrôle paraît nécessaire pour évaluer l’adéquation du vin avec ce type de traitement.

Des ultrasons pour assainir les contenants vinaires

Du côté des contenants vinaires, les travaux vont également bon train. À commencer par ceux concernant l’élimination du tartre et des micro-organismes des barriques. Tant l’ISVV qu’Inter Rhône ont mené des essais probants sur le sujet. Dans les deux cas, les chercheurs ont appliqué des ultrasons haute puissance sur des barriques contenants de l’eau. Un sonotrode génère un champ de cavitation (c’est-à-dire des bulles) dans l’eau, qui extrait le tartre, « même dans les microporosités du bois », insiste Rémy Ghidossi, de l’ISVV. De même, le procédé éradique les Brettanomyces viables et cultivables et les bactéries lactiques. En revanche, il ne vient pas à bout des « micro-organismes restés dans le bois sous forme de survie », prévient Nicolas Richard, du service technique d’Inter Rhône. Et ce, comme les autres procédés existants. Autre atout de cette méthode : « elle abîme moins les arômes du bois que d’autres techniques, comme l’eau chaude ou le méchage », poursuit Rémy Ghidossi. Plusieurs prestataires proposent actuellement de détartrer et désinfecter les fûts par ultrasons, comme Dyogena et Barsonic.

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