Les fûts mixtes en chêne et acacia donnent des vins plus frais et sont moins chers
Les barriques mixtes en chêne et acacia sortent de l’ombre. Elles sont plébiscitées par leurs utilisateurs pour leur apport aromatique, notamment sur les millésimes solaires.
Les barriques mixtes en chêne et acacia sortent de l’ombre. Elles sont plébiscitées par leurs utilisateurs pour leur apport aromatique, notamment sur les millésimes solaires.
Des vins « plus complexes », « plus frais », « plus équilibrés ». C’est en ces termes que les utilisateurs de barriques constituées pour partie de chêne et pour partie d’acacia décrivent leurs cuvées passées dans ces contenants. Pour Jérôme Fouailly, tonnelier et meilleur ouvrier de France à l’origine de la barrique Arlequin en acacia et en chêne, sur blancs, elle apporte des arômes d’ananas, fruits de la passion et litchis, pour un effet « peps en bouche », tandis que sur rouge, elle confère un côté plutôt mielleux au vin.
Emmanuel Couzi, œnologue à l’Union des vignerons des Côtes-du-Rhône, à Tulette, dans la Drôme, et utilisateur des barriques Arlequin depuis 2019, met aussi en avant « la tension, la verdeur et les arômes de fleurs blanches » procurés par ces barriques à ses vins blancs.
Des pourcentages d’acacia et de chêne variables
Après plusieurs essais et dégustations, il a opté pour des assemblages de 15 à 20 % d’acacia, pour 80 à 85 % de chêne pour la coque, les fonds des Arlequins étant toujours en chêne non torréfié. « On a testé 30 % d’acacia, mais cela donnait trop de rigidité au profil », témoigne-t-il. Près de 400 km plus haut, Vincent Guillemot, vigneron du Domaine Pierre Guillemot, à Savigny-lès-Beaune, en Côte-d’Or, a choisi des barriques Arlequin avec des assemblages 50-50 pour la coque.
Dans le Tarn, Clara Molinier, vigneronne au Mas d’Aurel, à Donnazac, a jeté son dévolu sur des barriques un peu différentes : elles disposent d’une coque en chêne et de fonds en acacia (légèrement chauffés), provenant de la tonnellerie Berger. Quant à Francis Lagarde, viticulteur bergeracois au Domaine de Mayat, à Fougueyrolles, il s’est tourné vers le même assemblage (coque en chêne et fonds en acacia) mais provenant des Barriques Jean Thoulouse. Quelle que soit la modalité, tous sont satisfaits de leur investissement, qui leur permet de booster leurs vins blancs et de leur conférer un supplément de fraîcheur.
Pour Vincent Guillemot, tout a démarré en 2017, par un essai sur du chardonnay, en savigny blanc. « Nous avons dégusté à l’aveugle avec des clients le même vin, du même millésime, élevé en 100 % chêne et en barrique Arlequin, rapporte-t-il. 90 % des clients ont préféré le lot élevé en barrique mixte. » Il était plus vif, avec des arômes floraux et moins de toasté et de gras provenant du chêne. « Les vins étaient plus équilibrés », résume le vigneron.
Fermentation et élevage sur lies
Dorénavant, il entonne ses blancs à 80 % dans des barriques Arlequin et à 20 % dans des 100 % chêne, afin d’apporter de la complexité aromatique. Il y réalise la fermentation alcoolique et un élevage sur lies sur une durée de douze mois.
Au Mas d’Aurel, tous les moûts blancs d’une même cuvée sont entonnés dans les barriques mixtes, dès qu’ils ont commencé leur FA. Ils y sont ensuite élevés sur lies fines durant huit mois, avec un bâtonnage hebdomadaire. Clara Molinier a mené ses essais sur mauzac en 2021 et sur loin de l’œil en 2022. Avec à chaque fois un résultat satisfaisant : « cela apporte des notes florales d’acacia et de la fraîcheur sans alourdir le vin, note-t-elle. Malgré le fait que je laisse la malo s’enclencher, on garde une bonne tension. On a en outre le gras et la rondeur en bouche ; c’est exactement ce que je recherchais. » Sur le millésime 2023, elle poursuit avec ce contenant, tant sur mauzac que sur loin de l’œil. « Les clients accrochent bien avec ces vins, qui ont des profils différents », souligne-t-elle.
Emmanuel Couzi continue également à employer ces contenants mixtes pour les blancs du Domaine de Galuval. Comme ses confrères, il réalise la FA de ses blancs en barrique. Mais une partie seulement du lot part en Arlequin, le reste allant en 100 % chêne. Chaque année, il choisit en outre quel cépage sera destiné à ces pièces atypiques. « Une année, cela pourra être la roussanne, si elle est assez alcooleuse », illustre-t-il. Une autre année, la clairette ou le grenache blanc se prêteront mieux à ce type d’élevage.
« Quand le moût descend en barrique, au sein d’un même lot, je décide ce qui va dans un fût en chêne ou dans un Arlequin, poursuit Emmanuel Couzi, afin d’apporter de la diversité. » Dix à douze mois plus tard, chaque barrique est dégustée individuellement. « Les excellentes intègrent la cuvée, informe l’œnologue, les autres vont ailleurs. Jusqu’à présent, aucune barrique Arlequin n’a jamais été recalée. » Il emploie environ 20 à 25 fûts pour cette cuvée, dont 4 à 5 Arlequin.
Francis Lagarde est lui aussi convaincu par ces barriques mixtes, qu’il emploie sur ses blancs et liquoreux à base de sauvignon, sémillon et muscadelle. Il travaille avec ces contenants depuis 2018 et y entonne ses vins en décembre, pour quatre à cinq mois d’élevage. « Cela apporte le vanillé du chêne et les arômes floraux de l’acacia, analyse-t-il ; les vins ne sont pas lourds, c’est fabuleux. »
Un intérêt écologique aussi puisque l’acacia est « mature » à 20 ans
Mais l’impact aromatique de ce contenant n’est pas son seul attrait. À l’origine, Vincent Guillemot s’y est intéressé pour des raisons… écologiques ! « Ma femme a des forêts dans l’Allier donc j’ai la chance de pouvoir m’y promener, contextualise-t-il. Et je me suis aperçu que pour qu’il soit de qualité, un chêne doit avoir 600 ans. Pour éviter de trop en couper, j’ai voulu faire ces essais avec de l’acacia, qui lui, met 20 ans à pousser. » Comme l’essai s’est avéré concluant et « vraiment intéressant gustativement », il a adopté les barriques Arlequin sur blanc, comme sur rouge.
Un bon impact sur rouge, notamment en année solaire
Car contrairement à Emmanuel Couzi qui est réservé sur l’intérêt de ces fûts sur rouge, ou à Clara Molinier qui ne souhaite pas faire ce type de vin en rouge, Vincent Guillemot emploie les barriques Arlequin sur ses pinots noirs. « Lors des deux guerres mondiales, et surtout lors de la seconde, il était compliqué d’avoir du chêne, informe le vigneron. Les tonneliers ont alors employé de l’acacia. Ces vins sont encore très bons, ce bois procurant de la fraîcheur. C’est très intéressant notamment sur les millésimes chauds, caniculaires. » Depuis 2018, Vincent Guillemot élève donc 10 % de ses pinots noirs en barrique Arlequin pour apporter une touche de complexité. « Cela confère une réelle différence », argue-t-il. Il y entonne le vin après vingt-cinq à trente jours de macération post-fermentaire, et pressurage.
« À cause du réchauffement climatique, on assiste à une réelle perte d’acidité des fruits, confirme Jérôme Fouailly. Des analyses sensorielles du BIVB (Bureau interprofessionnel des vins de Bourgogne) montrent que l’astringence rehausse l’acidité des vins. Cette astringence est amenée par l’acacia. » Un effet apprécié également dans le Rhône, où Emmanuel Couzi avoue aimer « pousser les maturités sur les blancs pour leur conférer de la puissance. Le recours à ces barriques permet de corriger un peu l’acidité ».
Des barriques moins chères que des 100 % chêne
Un autre atout de ces barriques mixtes réside dans leur originalité, « qui interpelle les acheteurs du bout du monde lors de la dégustation, pointe Emmanuel Couzi. On leur fait d’abord goûter du 100 % chêne, puis l’Arlequin. On sent bien la différence aromatique et de structuration ; le profil plus tendu. » Au domaine, ce contenant ne passe pas non plus inaperçu dans le chai, les douelles jaunes alternant avec celles couleur coquille d’œuf, à l’image des bonbons arlequin qui ont donné leur nom à cette barrique chez Jérôme Fouailly.
Enfin, l’intérêt économique de ces barriques est non négligeable. L’acacia étant moins onéreux que le chêne, ce type de contenant vaut environ 10 % moins cher que la même version chêne, avance Jérôme Fouailly. Une économie que confirme Vincent Guillemot. Chez Jean Thoulouse, l’écart est du même ordre, comme le corrobore Francis Lagarde. Et cerise sur le gâteau, ces pièces se revendent très bien sur le marché de l’occasion, notamment pour les producteurs de whisky, qui apprécient eux aussi le côté floral apporté par cette alliance de bois.