Transmission : « Avec un associé en plus, nous avons une meilleure organisation du travail en Vendée »
La SCEA Les Brandes, en Vendée, tourne désormais avec un associé en plus. Des charges bien maîtrisées, quinze vaches supplémentaires et une conjoncture favorable ont permis de maintenir les niveaux de rémunération tout en travaillant plus confortablement.
La SCEA Les Brandes, en Vendée, tourne désormais avec un associé en plus. Des charges bien maîtrisées, quinze vaches supplémentaires et une conjoncture favorable ont permis de maintenir les niveaux de rémunération tout en travaillant plus confortablement.


Thierry Fruchard, l’un des associés de la SCEA Les Brandes, a 61 ans. Il part à la retraite fin août 2025. Dès 2020, avec son frère Fabrice et Francis Berthome, le troisième associé, ils se posent la question de son remplacement. L’exploitation tourne alors à trois, avec des apprentis ou des stagiaires. « Nous avons discuté avec le comptable. Nous avions des annuités à ras des pâquerettes : le dernier investissement datait de 2012. C’était le bâtiment canards. Nous avions donc le choix d’investir dans du matériel ou bien d’embaucher une personne supplémentaire », relate Francis Berthome. La seconde option est retenue. « On pouvait le faire financièrement, il ne fallait pas grand-chose pour que ça passe à quatre », corrobore Fabrice Fruchard.
Fiche élevage
SCEA Les Brandes
•4 UMO
•171 UGB lait
•180 ha de SAU dont 141 ha de SFP
•1 atelier canards de chair
Johan est arrivé salarié
Johan Guibert, 38 ans aujourd’hui, était à l’époque à la recherche d’une exploitation sur laquelle s’associer. « Je m’étais installé sur la ferme familiale mais je suis parti pour raison personnelle. Je voulais trouver une ferme laitière, en salle de traite avec du pâturage », expose-t-il. S’il est inscrit au RDI, c’est le contrôleur laitier qui lui parle de la SCEA Les Brandes. « Je suis venu une première fois en novembre 2020, pour une demi-journée, puis plusieurs journées complètes. Le courant est bien passé. J’ai bien aimé l’œil des éleveurs sur le troupeau de vaches laitières. » En face, les associés historiques valident aussi. « J’ai eu un peu peur au début que nous n’ayons pas les mêmes façons de faire, parce que nous n’étions pas de la même génération. Mais nous nous sommes bien trouvés, avec la même approche de l’élevage. Ça s’est fait naturellement », décrit Thierry Fruchard.
Le CDD de Johan Guibert est signé en septembre 2021. L’idée, avec le contrat de travail à durée déterminée, est de tester la compatibilité entre les quatre hommes. Johan, alors salarié, travaille en binôme avec Thierry Fruchard sur l’atelier vaches laitières, qui passe de 100 à 115 têtes. Francis Berthome gère l’alimentation des veaux et des génisses. Fabrice Fruchard est responsable de l’atelier canards de chair et des cultures. Tous se relaient pour traire. « J’ai transmis ce que je savais de la ferme. Johan connaissait la technique, mais je lui ai donné les astuces propres à l’exploitation, comme les caractéristiques des parcelles », illustre Thierry Fruchard.

Conjoncture favorable, maîtrise des charges
En 2023, les désormais quatre associés font le choix de se tirer quatre salaires quasi égaux : 2 200 euros pour les trois historiques, 2 000 euros pour le nouvel arrivant. Entre 2021 et 2024, le produit lait est passé de 338 000 euros pour 921 000 litres de lait vendus à 464 000 euros pour 942 000 litres. Et ce « grâce à un meilleur prix du lait et de meilleurs fourrages », analysent les associés. La conjoncture favorable s’est aussi fait ressentir sur les vaches de réforme, dont le prix de vente est passé de 1 118 euros en 2021 à 1 666 euros en 2024. Une bonne maîtrise des charges en parallèle a contribué au maintien du niveau de rémunération avec pourtant un salaire de plus.
Une bonne répartition des tâches
En parallèle, le futur retraité diminue son temps de travail et passe à 85 %. « Le fait d’être quatre nous a aussi permis de passer de trois à cinq semaines de vacances, soit vingt semaines par an où il manque quelqu’un. Nous travaillons désormais un week-end sur quatre au lieu d’un sur trois. » La semaine démarre par une réunion d’équipe le lundi matin après la traite. « Nous faisons le point sur l’organisation, les sujets divers. Se voir n’est pas une perte de temps, rapporte Johan. Tout le monde est au courant de ce qu’il doit faire. » Les éleveurs communiquent aussi sur une conversation SMS commune. La société possède une adresse mail à laquelle chacun a accès.
La journée type commence à 6 h. Les éleveurs se croisent chaque jour en fin de première partie de matinée, à la laiterie, et consacrent une dizaine de minutes pour échanger. Puis chacun prend son petit déjeuner de son côté et vaque à ses activités. La fin de journée arrive autour de 18 h 45-19 h. Les tâches administratives sont partagées : Fabrice fait la comptabilité, Thierry paie les factures, Francis déclare les animaux et Johan s’occupe de la PAC et du plan de fumure.
Chacun constate que la nouvelle organisation du travail permet de prendre plus de temps pour réaliser ses tâches. « À quatre, nous avons une super maîtrise sanitaire, constate Francis. Par exemple, les veaux naissent en meilleur état de santé car nous avons une meilleure préparation au vêlage. Nous avons le temps de bien laver les seaux, de désinfecter les cases. Et je sonde les veaux quand il faut car j’ai le temps de le faire. » Résultat : 0,8 % de pertes de vaches et 2,4 % de pertes de veaux en 2024, quand les normes du GDS s’établissent à 4 % et 11 %.

Il poursuit : « Au lieu d’appeler un réparateur et de payer des frais de déplacement, nous pouvons réparer nous-mêmes ». « Je fais plus de travaux d’entretien, je peux bricoler dans la salle de traite, je consacre du temps au parage des vaches. On ne prend plus de retard nulle part, enchaîne Thierry Fruchard. Nous avons mis en place du pâturage tournant dynamique avec un nouveau paddock matin et soir. Seul, je n’avais pas le temps de changer les fils deux fois par jour. »
À la recherche du nouveau quatrième
Le prochain projet est l’agrandissement du bâtiment des vaches laitières afin qu’il y ait une place par vache aux cornadis. « Le bâtiment nous bride. Il n’y a que 85 places, rapporte Johan. Ça crée de la compétition, ce n’est pas top pour les jeunes. L’aire paillée est trop petite, on passe beaucoup de temps à curer. »

Les éleveurs, qui ont trouvé leur rythme de croisière à quatre, cherchent un futur associé pour remplacer Thierry. Une façon aussi de commencer à anticiper les départs à la retraite de Fabrice et Francis, d’ici une dizaine d’années. « Nous cherchons quelqu’un qui aime traire, aime le travail en équipe, qui a les mêmes objectifs que nous, décrit Johan. Si nous ne trouvons pas, nous embaucherons un salarié. Mais j’aime bien l’idée de partager les responsabilités. » En attendant, une apprentie, qui travaille déjà à la ferme, sera reprise l’an prochain.
« Nous ne voulons pas ruiner un jeune qui s’installe »

« Pour préparer mon installation et d’éventuelles suivantes, nous avons, sur conseil de notre centre de gestion, diminué de manière importante le capital social du Gaec. Cette diminution du capital social a été transformée en compte associé crédité sur les comptes de chaque associé du Gaec. Nous avons ensuite modifié le Gaec en SCEA pour des raisons fiscales et sociales », détaille Johan, qui a fait officiellement son entrée dans la société en 2023, à hauteur de 25 % des parts sociales, soit « une reprise de 27 500 euros ». « Nous ne voulons pas ruiner un jeune qui s’installe, poursuit Francis Berthome. L’emprunt est fait par la société pour rembourser le capital du sortant. La charge est là, mais elle est répartie sur tout le monde. » Ils ont signé un règlement intérieur où ils ont écrit notamment les responsabilités de chacun et les modalités de départ. Ils ont ajouté un pacte d’associés « qui établit les modalités de paiement des comptes associés en cas de sortie d’un associé, selon la raison : retraite, sortie volontaire, problème de santé, décès ».
Tableau : La rentabilité à la SCEA Les Brandes - Résultats économiques du 01/09/2023 au 31/08/2024
Le produit lait est optimisé grâce à l’AOP beurre Charentes-Poitou. Le coût élevé en concentrés (+ 15 €/1 000 l par rapport au cas-type(1)) est lié à l’utilisation de tourteau de colza (plus cher en 2024 que le tourteau de soja) et au respect du cahier des charges qui exige qu’une partie des concentrés achetés soit certifiée produite sur le territoire de l’AOP, mais il est compensé par la prime AOP de 30 €/1 000 l.
Les frais d’élevage sont un peu supérieurs à ceux du cas-type, à cause, surtout, d’achats de litière importants pour l’aire paillée du bâtiment vaches laitières. L’automne 2023, trop humide, a privé les éleveurs de 50 % de leur surface de céréales.
En 2022, les annuités s’élevaient à 9 300 euros. Elles sont passées à 28 000 euros en 2023 et 66 000 euros en 2024 car il a fallu remplacer deux tracteurs.
Les capitaux propres sont importants car les exploitants ont tout amorti. Tout leur appartient et cela contribue au fait qu’ils peuvent dégager quatre salaires.
Le produit viande est supérieur au cas-type grâce à la présence de normandes dans le troupeau, à un peu d’engraissement au pâturage et à peu de pertes de vaches laitières.
Avis d'expert : Laurent Gaboriau, chargé de mission production laitière à la chambre d’agriculture des Pays de la Loire
« L’âge au premier vêlage, à 26 mois, est une belle performance avec une majorité de normandes »

« Quand Johan Guibert s’est installé, il avait la volonté de produire plus du lait. Les éleveurs ont donc augmenté la quantité de concentrés à 276 g/l, avec cependant une efficacité moindre par rapport au groupe. Cela peut être dû à l’effet race normande. Malgré cela, les éleveurs ne poussent pas trop leurs animaux et ont de bons résultats sanitaires. L’âge au premier vêlage, à 26 mois, est une belle performance, surtout dans un troupeau avec une majorité de normandes qui n’est pas une race précoce. Un autre point technique sur lequel ils sont bons est le coût de distribution, qui s’élève à 16 euros pour 1 000 litres. Ils ont du matériel simple – une désileuse traînée, qui fait recycleuse et un tracteur pour chaque site.
Les éleveurs ont groupé les vêlages, dont la moitié se passent entre juillet et septembre, afin de faciliter leurs conditions de travail, d’être disponibles au moment des travaux des champs au printemps et de ne pas avoir de surveillance vêlage toute l’année. Ils ont choisi des vêlages d’été aussi pour ne pas prendre de risque sur la production laitière. Les vaches arrivent au pâturage – entre février et avril – en fin de lactation et la pousse de l’herbe booste leur production. Elles démarrent leur lactation avec la repousse d’automne. »