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Chez Damien Crombez, dans l’Eure
« La crise du lait de 2009 m'a rendu très rigoureux »

Deux mois après son installation, Damien a subi de plein fouet la crise laitière de 2009. Depuis, la passion est restée intacte. Mais elle s’est teintée d’une forte dose de prudence.

Bosgouet, janvier 2009. Cette fois, c’est officiel, Damien Crombez s’installe à l’âge de 22 ans en EARL avec sa mère. Il remplace son père parti à la retraite. Un départ qui ne l’empêchera pas de donner un sérieux coup de main à son fils, notamment du côté des cultures. « Je me suis installé par passion pour l’élevage. J’aimerais bien faire des concours, mais je n’ai malheureusement pas le temps », remarque Damien.

À l’époque, la référence de l’exploitation était de 350 000 litres de lait pour une surface identique à celle d’aujourd’hui. « Le chiffre d’affaires était surtout fait par les céréales », se remémore Damien. Désormais, l’atelier lait représente environ 70 % du produit de l’exploitation. En tant que jeune installé, il a bénéficié d’une dotation de 60 000 litres de lait. Deux ans avant son installation, son père avait fait construire un nouveau bâtiment (120 logettes) avec mise aux normes. « Je m’installais dans de bonnes conditions. Je partais sur de bonnes bases même s’il y avait des annuités à rembourser. » Tout démarrait semble-t-il sous de bons auspices. Mais, deux mois plus tard, c’est la douche froide. « Nos avons touché 199 euros pour 1 000 litres de prix de base sur notre paye de lait de mars 2009. Tout le plan de trésorerie monté lors de mon projet d’installation devenait complètement caduc. Ça m’a marqué. »

« Je ne m’enflamme pas pour du matériel »

Avec du recul, Damien Crombez pense que la crise laitière a modelé sa façon de voir les choses. Elle lui a servi de fil conducteur dans sa stratégie de management de l’exploitation. « J’attache beaucoup d’importance au prix d’équilibre. J’essaie d’être rigoureux. Je ne m’enflamme pas pour du matériel. Je prends le temps de me renseigner et de comparer les prix des aliments, des doses de semences… sur internet ou en discutant avec mes voisins. Je fais très attention aux contrats que l’on me propose. Dans mon groupe, au BTPL, certains éleveurs achètent des minéraux jusqu’à 3 000 euros la tonne. Moi, je ne veux pas dépenser plus de 600 euros par tonne. Chaque système est différent. »

L'éleveur baisse un peu la garde pour les concentrés. « Je les achète en toute confiance à mon cousin qui travaille chez Agrial. » Mais, suite à une récente journée de remise de bilan organisée par le BTPL, Damien envisage désormais de remplacer le correcteur azoté par du tourteau de colza. " Cela serait une grande première pour moi. Il faut que je me renseigne sur le prix du tourteau de colza. Fin janvier, le prix de mon correcteur était de 370 euros la tonne parce que je n'ai pas de contrat. Certains éleveurs du groupe le payaient moins cher et d'autres plus cher. " 

Il valorise également les opportunités offertes par sa région. La proximité d’une usine de déshydratation est une aubaine. L'éleveur achète 50 à 60 tonnes de pulpes déshydratées par an.

De la pulpe déshydratée et des pommes de terre

La pulpe de betteraves surpressées entre dans la composition de la ration en cas de sécheresse ou de stocks insuffisants en ensilage de maïs. " J'en ai distribué 4 kilos par jour aux vaches l'année dernière. Je pense en remettre l'année prochaine parce qu'elle a un impact positif sur la production laitière. "

L’incorporation de la pulpe surpressée dans les méthaniseurs inquiète un peu Damien. « Il ne faudrait pas que cela contribue à augmenter leur prix. » Le risque existe, mais Sophie Flahaut, ingénieure BTPL, le relativise. « La présence de soufre liée à l’utilisation de sulfate de calcium pour améliorer le pressage de la pulpe, et augmenter ainsi sa teneur en matière sèche, limite son incorporation dans un méthaniseur. Par ailleurs, les sucreries ne vendent pas la pulpe moins chère pour la méthanisation. Elle reste par conséquent assez onéreuse par rapport à d’autres sources de sous-produits. »

Autre opportunité : cette année Damien envisage d'acheter environ 50 tonnes de pommes de terre à 20 euros la tonne. « Pour des raisons d’optimisation fiscale, j’ai gardé plus de vaches et je vais finir les réformes. Je vais incorporer de la pomme de terre dans leur ration. J’essayerai peut-être d’en distribuer aux vaches en production pour avoir un peu plus de taux. Mais c’est vraiment pour essayer. »

Côté ration, au printemps, en complément du pâturage (10 à 12 ha organisés en seize paddocks), Damien distribue 25 à 30 kg d’ensilage de maïs, 1,5 kg de correcteur et de la betterave fourragère jusqu'à épuisement des stocks en mai.

De juillet à septembre, la betterave fourragère et la pulpe sont remplacées par 8 kg d’ensilage d’herbe. Les fourrages sont complétés par 2,5 kg de correcteur azoté et autant d'aliments de production. En hiver, la ration de base se compose de 33 kg de maïs, 18 kg de betteraves, 8 kg de pulpe, 2,5 kg à 3 kg de correcteur et 2 kg de pulpes sèches. En raison de la baisse volontaire de la production à cette saison, l’éleveur ne distribue pas de concentré de production.

Un coût alimentaire de 103 euros pour 1 000 litres

Rigoureux sur les dépenses, attentif aux données du bilan mensuel d’Ecolait… Damien fait en sorte de maîtriser son coût alimentaire. Et il y parvient plutôt bien : 103 euros pour 1 000 litres, dont 62 euros pour 1 000 litres pour les concentrés et 41 euros pour 1 000 litres pour les fourrages en 2017-2018. « Le coût fourrager tient compte des charges de mécanisation, tient à préciser Sophie Flahaut. Pour l’ensilage de maïs, compte tenu du potentiel de rendements dans ce secteur (17 à 20 t MS/ha), nous prenons un coût forfaitaire de 77 euros par tonne de matière sèche. » Le coût de l’ensilage d’herbe est calculé sur la base de 100 euros la tonne de matière sèche.

Tirer sur la corde peut cependant s’avérer risqué. « J’ai voulu faire des économies en achetant un minéral sans vitamines. Mais c’était un mauvais calcul. Les vaches et génisses étaient moins en forme. J’ai eu plus de mal à détecter les chaleurs. J’ai rapidement rectifié le tir », souligne l’éleveur.

Pour faire un maximum du chiffre d’affaires avec le lait, Damien joue la carte de la saisonnalité et de la qualité (44,5 g/l de TB et 33,3 g/l de TP). « Je n’ai pas de problème avec les cellules. En revanche, il m’est arrivé d’en avoir avec les butyriques à cause de l'ensilage d'herbe et peut-être de la traite. L'hygiène de traite est peut-être insuffisante certains matins, quand je suis pressé de terminer pour aller m’occuper de mes trois enfants. Mais depuis que j’ai embauché Jérémy (salarié depuis le 1er août), c’est beaucoup mieux. Il est plus perfectionniste que moi au niveau de l’hygiène de traite », assure en souriant Damien.

Moins de 10 euros pour 1 000 litres de frais vétérinaires

« Les frais vétérinaires sont inférieurs à 12 euros pour 1 000 litres depuis quatre ans, sans s’accompagner d’un taux de mortalité élevé », résume Sophie Flahaut, du BTPL. La mortalité des veaux est restée en deçà de 10 % en 2018. Les deux tiers étaient des veaux mort-nés. Chez les vaches, ce taux a atteint 5,8 %. La moyenne sur dix ans est à 4 %. « L’hiver dernier, j’ai perdu deux vaches à causes de glissades. J’ai fait scarifier les bétons pour résoudre ce problème. »

Le troupeau n'a pas de problèmes particuliers de mammites et cellules (229 000 cellules/ml en moyenne avec un maximum à 291 000 cellules/ml). « Je taris plus de la moitié de mes vaches avec des obturateurs et sans mettre d’antibiotiques », remarque Damien.

Produire un maximum de lait d’août à octobre  

« Je cherche à produire un maximum de lait en été parce que Sodiaal nous pousse à le faire. D’août à octobre, nous pouvons produire tout le lait que nous voulons sans conséquence sur notre référence et il est entièrement payé en volume A. » Chez Sodiaal, 90 % de la référence est payée en volume A et 10 % en volume B. Cette incitation a une incidence sur la conduite de la reproduction. « Je fais en sorte d’avoir un maximum de vêlages à partir de juin-juillet. Je n’hésite pas à décaler l’insémination d’une génisse de deux mois pour la faire vêler en été », précise Damien. En revanche, l’éleveur n’a pas recours aux traitements de synchronisation des chaleurs. « J’utilise des hormones uniquement pour traiter des problèmes de fertilité, liés par exemple à un kyste ovarien détecté lors d’une échographie. »

Damien Crombez a investi dans le système d’aide à la détection des chaleurs Heatime, il y a un an. Avant, il utilisait le dispositif Kamar posé sur la croupe des animaux. « C’est vraiment un très bon outil. Il est plus fiable que le Kamar et en plus j’ai accès à des données sur la rumination et les cycles des animaux. Je l’utilise principalement sur les génisses. Mais il m’arrive de poser un collier sur des vaches que je ne vois pas en chaleurs. J’ai par exemple eu le cas d’une vache qui restait couchée dans sa logette et ruminait. Le lendemain matin, quand je suis revenu pour traire vers 5h30, elle était encore dans cette position. Mais comme le Heatime m’annonçait qu’il y avait 92 % de chances pour qu’elle soit en chaleurs, je l’ai inséminée. Et elle est pleine. » Damien apprécie également le coup de pouce fourni par l’équipement lorsqu’il part pour de l’entraide avec des voisins.

Pour quarante colliers et la base, il n’a investi que 2 000 euros sur les 10 000 euros facturés. « Evolution m’a repris un équipement que j’avais acheté à un voisin. J’ai également bénéficié d’une subvention départementale dédiée aux investissements en petit matériel d’élevage à hauteur de 40 % du montant. »

Un essai de croisement avec de l’Angus

La gestion du renouvellement est le prochain grand défi pour Damien. « Je garde beaucoup de génisses pour être certain d’en avoir assez pour produire un maximum de lait en été. Du coup, le taux de renouvellement est trop élevé (38 % en 2018). » Le problème est accentué par l’atonie du marché. « Je vends moins d'animaux que je ne pensais. Il y a encore deux ou trois ans, je vendais dix à quinze génisses amouillantes et autant de vaches. » Pour autant, le taux de réforme reste stable avec une moyenne à 25 % sur dix ans. L’augmentation de l’effectif du troupeau absorbe une partie de l’excédent de génisses. Mais cela ne sera plus le cas si la référence reste bloquée à 650 000 litres de lait.

Dans ce contexte, le recours aux inséminations avec de la semence sexée reste heureusement modéré : 15 % des inséminations lors de la dernière campagne. Le croisement avec des taureaux de race à viande est également utilisé. « En fin de période d’insémination, je fais un peu de croisement avec des taureaux Inra 95 et blancs bleus belges. J’ai acheté une quinzaine de doses de taureaux angus à Bovec par curiosité. Grâce à une promo, j'ai payé 15 euros la dose. »

L’heure de la traite approche. Damien descend l’escalier de son bureau pour rejoindre son salarié. Sur le côté, des bouteilles vides sont stockées dans des cartons. « Jérémy m’a incité à mettre du cidre en bouteille. On ne le faisait plus. C’est une très bonne idée. » C’est également Jérémy Vaquez qui l’a poussé à tondre la ligne de dos des veaux en hiver pour les protéger de l’excès d’humidité. " À la traite, on n'est pas toujours d'accord sur la qualité des mamelles. "  Quand deux passionnés d'élevage se rencontrent...

L’option robot de traite est à l’étude

" Sans l’arrivée de mon salarié, j’aurais certainement déjà investi dans un robot, souligne Damien Crombez. Je préfère investir dans du matériel qui fonctionne 24 h/24 plutôt que dans un tracteur qui ne tourne que 400 heures par an. Mais si je dois franchir le cap, je préfère attendre encore deux ans que le niveau de mes annuités baisse. »

Mais, avec 730 000 litres de lait produits par 77 vaches, le robot serait saturé. « Dans ce cas, on n’a pas le droit à l’erreur. » Une source de stress que l’éleveur écarte en espérant une évolution du côté de sa référence.

Éviter le stress du robot saturé

« Produire un million de litres de lait n’est pas un objectif. Je préférerais que le prix du lait soit meilleur et avoir moins de vaches à traire. Pour passer à la traite robotisée, il faudrait que ma référence atteigne au moins 900 000 litres. Je pourrais alors investir dans deux robots. Malheureusement, Sodiaal n’accorde pas de rallonge. J’ai demandé un volume supplémentaire suite à l’embauche de Jérémy, mais ça n’a pas été possible. » Damien craint également de déraper sur le coût alimentaire. Il n'est pas question pour lui d’abandonner le pâturage.

L’impact sur le plan humain pèse également dans la réflexion. « Je ne suis pas certains qu’avec un robot je serais mieux en termes de qualité de vie. Et un salarié fait d’autres tâches que traire. » Un autre facteur atténue son enthousiasme. « Mon beau-frère a mis en route un robot Lely A5 en décembre. Il fonctionne très bien. Nos deux familles doivent partir ensemble au ski. Avec Jérémy, je pars tranquille, mais dans notre secteur, les organismes de remplacement manquent de personnels formés pour faire face à l’implantation des robots. "

Avis d'expert : Sophie Flahaut, ingénieure BTPL

« Un système simple, efficace et très économe »

« Chez Damien, la simplicité rime avec efficacité. La marge brute (255€/ML) de l'atelier lait est très bonne. Le coût alimentaire est maîtrisé et ses frais d'élevage sont très réduits, le tout sans pénaliser les performances du troupeau. Pour y parvenir, il a notamment choisi une stratégie minimaliste du côté des achats. Jusqu’ici, il s’en sort très bien grâce à sa technicité. Mais il doit rester vigilant pour ne pas se priver de choses importantes, notamment du côté alimentation. Sa stratégie de mettre l'accent sur la production de lait d'été (sans limitation de volume sur les mois de août à octobre) lui permet de diluer ses charges de structure sans pénaliser ses charges opérationnelles puisqu'il profite de ses vêlages groupés. La productivité de la main-d’œuvre est très bonne (605 000 l/UMO). »

Chiffres clés

1 UMO (plus un salarié à temps plein depuis le 1er août 2018)
114 ha de SAU dont 43 ha de blé, 10 ha de betterave sucrière, 3 ha de betterave fourragère, 30 ha de maïs, 7 ha de colza et 20 ha de prairies dont la moitié en prairies permanentes.
77 Prim’Holstein à 8 400 kg (moyenne économique)
650 000 l de référence (90 % en A et 10 % en B)
2,2 UGB/ha de SFP
 

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