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Reportage
Quand l’agronomie mène à la méthanisation

En Île-de-France, Alexis Lepeu est président de la SAS Brie Biogaz, qui injecte du biométhane dans le réseau depuis 2017. Un projet de méthanisation initié par des questions agronomiques.

Le méthaniseur, ici au moment de la construction, compte trois cuves : digesteur, post-digesteur et stockage.
© T. Boccon-Gibod

« En absence de labour depuis vingt ans, nous avons beaucoup travaillé sur la fertilisation des sols avec des couverts en interculture. Assez naturellement, nous avons voulu récolter ces derniers pour les valoriser. » Producteur de grandes cultures sur 175 hectares à Chevry-Cossigny en Seine-et-Marne et président du GRCeta IDF, Alexis Lepeu pense à la méthanisation. D’autant qu’en parallèle, il constate une disponibilité importante en fumier équin dans le coin. Avec son associé fin 2011, il se lance dans l’aventure avec le cabinet aubois Artaim Conseil pour les accompagner. GRDF est contacté et le contrat-cadre est négocié. « On s’est rendu compte que l’équilibre financier était bon. L’utilisation du digestat nous intéressait aussi, dans un contexte de durcissement des tarifs en phosphore, potasse et azote », justifie Alexis Lepeu. L’option fumier équin n’est finalement pas retenue. Après des travaux commencés en août 2015, l’alimentation du méthaniseur a débuté le 23 décembre 2016 pour une production début 2017. Actuellement, 155 Nm3/h de méthane sont injectés, soit environ la consommation annuelle de 3 000 habitants en gaz.

Le projet est le sixième en injection à avoir vu le jour en France. Il a pris de l’ampleur pendant sa mise en œuvre. De deux agriculteurs, Alexis Lepeu et son associé, la SAS Brie Biogaz est passée à six producteurs, tous actionnaires. Ils sont liés par un pacte d’associés. « C’est essentiel de bien le penser », appuie l’agriculteur. La parcelle choisie pour la construction a été rachetée par la SAS Brie Biogaz à l’un des exploitants membres.

Faible distance pour le raccordement

La question de la cogénération ne s’est même pas posée. Outre que le projet prévoyait un approvisionnement en Cive et déchets végétaux, le raccordement au circuit de distribution de gaz était anecdotique : 1,5 mètre. Outre le raccordement à financer, ici minime, la location du poste d’injection, indépendante de la taille de l’installation, est incompressible (autour de 52 000 €/an HT, selon GRDF). Pour le constructeur, les associés font appel à HZI (Hitachi Zosen Inova).

Au total, le projet a coûté 4 millions d’euros, subventionné à hauteur de 787 000 euros par la région Île-de-France. Le reste provient d’autofinancement et l’immense majorité a été empruntée. « Après trois ans, nous envisageons de distribuer des dividendes », répond l’initiateur du projet, sur l’aspect économique. Avec son épouse, Alexis Lepeu s’occupe de la partie administrative. « L’arrivée d’un méthaniseur sur une ferme céréalière, c’est un séisme. La charge administrative est énorme, et elle est trop souvent sous-estimée. Le monde industriel a sa rigueur », compare-t-il.

Le méthaniseur est alimenté avec des Cive et des déchets de cultures. Pulpes de betteraves et poussières de céréales sont récupérées auprès des OS. « Pour la pulpe de betterave, on paye le surpressage et le transport, mais pas la matière », détaille Alexis Lepeu. Un accord a aussi été passé avec deux brasseries locales qui déposent leurs drêches. Là aussi, la matière n’est pas payante.

Un an et demi de stock d’approvisionnements

Alexis Lepeu réfléchit à incorporer des invendus de la grande distribution, en alertant sur le risque de spéculation de ces matières, qui les rendraient coûteuses. « Un déchet doit rester un déchet. L’agriculture ne doit pas brader le pouvoir épurateur de ses sols. » La SAS avoisine un an et demi de stock d’approvisionnements. « Il faut approcher les deux ans », vise l’agriculteur.

Orge et maïs ensilé, avoine, méteils, mélanges… Alexis Lepeu regarde dans toutes les directions pour ses Cive, d’été comme d’hiver, avec une grande vigilance sur la gestion de la réserve utile du sol. Il n’y a pas de seigle, qu’il juge difficile à maîtriser. « En outre, si le seigle ne passe pas en Cive, on ne peut pas le vendre. Il n’y a pas de marché. En orge on trouve toujours. Seigle ou triticale, dans des régions avec peu d’élevage, c’est compliqué ! » Outre un bon rendement, les agriculteurs cherchent des solutions apportant assez d’effet allélopathique pour aider à gérer les adventices.

À la SAS Brie Biogaz, les Cive produisent 6 000 t/an de biomasse, soit 200 hectares ensilés sur une base de 30 €/ha brut. Les Cive sont payées aux producteurs selon une grille comprenant un prix fixe, basé sur les coûts de production. Alexis Lepeu relève aussi l’intérêt du digestat : « d’un point de vue agronomique, la méthanisation s’intègre très bien sur une exploitation en grandes cultures ».

Il y a une ombre au tableau : quel avenir pour les Cive ? « On entend des discours comme quoi il faudrait cultiver les Cive sans intrants. C’est inquiétant, alerte Alexis Lepeu. Nous voulons qu’elles restent considérées comme une culture, pas comme une SIE. » Pour lui, l’intérêt en termes de bilan carbone est trop souvent oublié. « La vocation de nos unités de méthanisation, c’est de vendre de l’énergie mais aussi de capter du carbone. »

EN CHIFFRES

Six agriculteurs associés

- 700 ha pour les six associés
- 1/3 des parts de la SAS Brie Biogaz à Alexis Lepeu, à l’origine du projet, 1/3 à deux producteurs et le dernier 1/3 partagé entre les trois autres membres.
- Assolement sur 140 ha chez Alexis Lepeu : maïs et orge (grain et ensilé), blé, betterave, lin, féverole, colza
- Espèces de Cive : orge, maïs, avoine, méteil

Un salarié jugé essentiel

Un salarié a été embauché, sur une base 35 heures, avec des astreintes. « Le salarié est là du mardi au samedi. Il réceptionne les approvisionnements exogènes, explique Alexis Lepeu. C’est essentiel pour moi. Je ne partage pas la vision qui consiste à dire que deux heures par jour suffisent. Pour moi, il faut un opérateur. » Quand il n’est pas là, les membres de la SAS reçoivent les alertes, chacun ayant des astreintes. « Il faut un peu une mentalité d’éleveur », compare le céréalier.

Lionel Boursaud, cofondateur du cabinet Artaim conseil

« L’idée de départ, c’était la recherche de matière organique »

« Le projet est né de deux acteurs : Alexis Lepeu et Étienne Cousin, président du Ceta de Romilly, dans l’Aube. La réflexion, à la base, n’était pas économique : c’était la recherche de matière organique, qui donnait des résultats très probants agronomiquement. Or la faire venir dans des zones céréalières coûte trop cher. En parallèle, le contexte sur le prix du blé devenait moins bon. On sentait venir le besoin d’une autre activité rémunératrice, sans que l’agronomie en pâtisse. Cette réflexion a eu lieu à l’automne 2011, et en novembre les tarifs de rachat du biogaz sont sortis. Nous avons réfléchi à un business modèle. Les résultats étaient intéressants. Mais l’idée de départ, c’était l’agronomie. Pour la SAS Brie Biogaz, le plus compliqué a été de trouver un terrain, car c’est une zone périurbaine. Plus généralement, mon conseil, c’est de bien s’entourer, car la méthanisation est un sujet complexe. Et le point essentiel, c’est l’autonomie. La ou les fermes doivent pouvoir produire 90 % de la matière première, et pouvoir valoriser tout le digestat. Côté cultures, il faut être capable de remettre ses pratiques en cause. »

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