Agrandissement d'exploitation : comment s’assurer de la viabilité économique de son projet de reprise ?
Reprendre des terres à proximité de son exploitation pour s’agrandir peut être tentant. Mais les opportunités sont-elles toujours bonnes à saisir ? On fait le point avec des experts sur les aspects à prendre en compte pour bien décider.
Reprendre des terres à proximité de son exploitation pour s’agrandir peut être tentant. Mais les opportunités sont-elles toujours bonnes à saisir ? On fait le point avec des experts sur les aspects à prendre en compte pour bien décider.

La reprise d’une exploitation agricole et de ses terres peut répondre à plusieurs objectifs qui n’entrent pas toujours dans la stricte logique d’entreprise. « Quand les agriculteurs ont l’opportunité de reprendre du foncier, ils sont rarement prêts à renoncer, constate Cyril Durand, conseiller de gestion au Cerfrance Alliance Centre qui utilise souvent la métaphore du train qui passe en rase campagne. « On ne veut pas le rater, car on ne sait pas s’il repassera un jour », illustre-t-il. Quand il s’agit de petites reprises, l’impact sur la structure existante est moindre, mais si la reprise entraîne une hausse conséquente de la surface de l’exploitation, de nombreux points doivent être étudiés avant de se lancer. « L’agrandissement ne doit pas s’apparenter à une fuite en avant », avance le conseiller.
Adopter une posture de chef d’entreprise
Que ce soit dans les secteurs de grandes cultures, comme le Nord de la France, le Bassin parisien ou encore la Beauce, où le prix de l’hectare de terre peut parfois atteindre des niveaux très élevés, ou dans les zones à faible potentiel, il faudra étudier de près la rentabilité du projet de reprise. Pour Cyril Durand, il est nécessaire d’adopter une posture de chef d’entreprise pour se poser les bonnes questions : pourquoi est-ce que je m’agrandis ? Ai-je le temps et l’argent pour mettre en œuvre ce projet ? Quelle taille critique je souhaite atteindre ? Quel équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle ?….
Estimer le potentiel de l’exploitation à reprendre
La réalisation d’une étude économique est un préalable pour estimer la rentabilité de l’exploitation reprise. « Il ne faut pas y aller à tout prix et faire un calcul de retour sur investissement. S’il est bon, on peut y aller, mais s’il est mauvais, il ne faut pas forcément renoncer, considère Céline Sibout, ingénieure conseil agricole chez Fiteco. Il faut juste avoir conscience que pendant un laps de temps, ça ne sera pas rentable. » L’objectif sera alors de conserver les terres sur le long terme avec une logique patrimoniale.
Avant de se lancer dans une reprise de foncier, le repreneur doit se renseigner sur son potentiel économique et technique : rendements moyens réalisés, types de sols, possibilité d’irrigation, terres drainées… Tous ces éléments déterminent le prix de la reprise, mais aussi la rentabilité du projet. « Il est important de se renseigner sur la façon dont ont été menées les terres et de l’antériorité en termes d’amendement », ajoute Céline Sibout.
La reprise de terres est aussi l’occasion de mettre ses charges à plat et de chiffrer les économies d’échelle qui pourront être réalisées en s’agrandissant. L’idée est d’atteindre un seuil critique qui permettra d’amortir son matériel sur plus d’hectares. Vigilance toutefois, car au-delà de ce seuil critique, l’agrandissement peut entraîner un changement plus en profondeur de l’organisation de l’exploitation, nécessitant une réflexion sur le matériel à acquérir ou l’embauche d’un salarié. « Le projet de reprise ne doit pas se faire au détriment de la rentabilité de l’exploitation d’origine », prévient Céline Sibout. La réflexion ne sera pas exactement la même selon le profil du repreneur. Un exploitant déjà en place sur une structure viable pourra se permettre de prendre plus de risque en termes de rentabilité. Tandis qu’un jeune installé doit pouvoir tirer un revenu de cette nouvelle activité.
Dans l’élaboration du business plan, Cyril Durand propose à ses clients de simuler une année « crash », comme celle de 2016. Objectif : évaluer la trésorerie qu’il serait nécessaire de mettre de côté pour faire le dos rond en cas d’aléas. « L’entreprise doit être capitalisée en fonction de sa taille pour faire face aux difficultés », confirme Arnaud Viandier, responsable de marché agriculture Crédit mutuel du Centre.
Pour le financement, les banques exigent un prévisionnel détaillé des assolements, des rendements ou encore des charges d’intrants pour calculer le potentiel de marge brute. Les charges de structure sont aussi prises en compte pour estimer l’excédent brut d’exploitation (EBE) qui pourra être dégagé et voir s’il est cohérent avec l’EBE moyen du secteur donné. « Si l’EBE estimé est plus faible ou plus élevé, il faut pouvoir le justifier », avance Céline Sibout. Les banques vont aussi regarder les comptes de résultat des trois dernières années du cédant et du repreneur, quand il s’agit d’un agriculteur déjà installé. Au-delà du financement de la reprise, il faudra aussi prévoir les besoins de financement via un prêt court terme pour la première mise en culture des terres, notamment pour les jeunes agriculteurs.
La durée des emprunts est aussi à adapter. « Si les durées sont trop courtes, ça ne passera pas financièrement les premières années même si le projet est rentable, remarque Céline Sibout. Il faut réussir à allonger un peu les durées de reprises. »
Rationaliser le parc matériel
Dans le cas d’une reprise d’exploitation dans son intégralité, une réflexion est à mener sur la partie matériel, qui peut peser lourd financièrement. Après avoir fait la liste de tout le matériel à céder, repreneur et cédant doivent se mettre d’accord sur un prix. Si le repreneur est un exploitant déjà en place, une réflexion est à mener pour rationaliser le parc matériel en fonction de la surface future.
Attention à la dimension humaine
Tous ces aspects économiques ne doivent pas faire oublier l’essentiel : la dimension humaine des transmissions agricoles. « Le plus important dans les projets de reprise, c’est l’humain », affirme Mélodie Denéchère, conseillère indépendante, spécialiste du foncier. Elle insiste sur la nécessité de mettre toutes les parties prenantes autour de la table pour trouver des compromis entre le cédant, le repreneur et, dans certains cas, une myriade de propriétaires qui devront être d’accord pour voir s’installer un nouveau locataire sur leurs terres. La réussite de ce type de projets passe par un accompagnement solide pour anticiper tous les aspects réglementaires, fiscaux, sociaux ou humains.