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Bernard Cardinaud
« Felcoop est une véritable école de démocratie »

Après presque quarante ans de direction à la Fédération des coopératives de fruits et légumes, Bernard Cardinaud revient sur les grands enjeux de la filière et tout particulièrement sur le rôle que joue Felcoop dans les grandes décisions, qu'elles soient nationales, voire européennes, à commencer par la réforme de l'OCM fruits et légumes de 1997.

FLD : Vous venez de quitter vos fonctions à la direction de Felcoop, quel était votre rôle ?

BERNARD CARDINAUD : Pendant presque quarante ans de direction à Felcoop j'ai eu un grand principe : être présent une fois par semaine dans une coopérative, voire plus. Le rôle du directeur à Felcoop est de sentir les choses et d'avoir de l'intuition. Il s'agit de bien repérer les besoins des adhérents, soit en direct, soit par les administrateurs. Il faut que l'on sache identifier les problèmes. Si plusieurs clignotants s'allument, alors on crée une commission. Et si le dossier est lourd, on le passe en conseil de Felcoop qui tranche. Felcoop, c'est une école de démocratie. Quel confort c'est, quand le conseil a pris une décision, pour ceux élus ou nommés qui portent le dossier !

FLD : Pourquoi avoir choisi les fruits et légumes et les coopératives ?

B. C. : Je suis entré à Felcoop en 1974. C'est le hasard des pages jaunes et le hasard de la vie. Je cherchais un travail ayant un lien avec ma double formation gestion et ingénieur horticole. Le premier dossier que nous avons traité à Felcoop a porté sur la mise en place de la taxe professionnelle dont les coopératives étaient exonérées en partie parce qu'il y avait des producteurs plus importants en taille que la plupart des coopératives. Alors, nous avons négocié en disant « pourquoi ceux qui se regroupent devraient payer alors que s'ils étaient seuls ils ne paieraient pas ? » et cela a fonctionné. Pour moi la coopérative n'est pas une finalité, c'est un moyen mis au service des producteurs, mais quel moyen ! Et puis surprise : trois ans après mon arrivée à Felcoop, j'ai été convoqué chez le directeur qui m'a proposé le poste de directeur. Je n'ai eu qu'une soirée pour réfléchir. A l'époque, je voulais retourner dans ma région natale : le Sud-Ouest. Je me suis dit : si cela marche, je reste, et si j'échoue je rentre. Et cela a marché et duré de mes 30 ans à mes 67 ans !

FLD : Quel est votre sentiment quant aux statuts des coopératives 40 ans après ?

B. C. : Ce statut est toujours d'une étonnante modernité. En se regroupant d'une manière démocratique, les producteurs peuvent garder leur pouvoir économique et, de plus, les coopératives ne sont pas OPéables.

FLD : Quels sont les grands dossiers qui ont marqué votre carrière ?

B. C. : L'un des moments les plus forts reste sans conteste la réforme de l'OCM fruits et légumes de 1997. On négociait au Copa-Cogeca, à la Commission européenne, au ministère de l'Agriculture et on allait voir sur le terrain auprès des coopératives si cela convenait bien. Et ce fil de la coopérative de base jusqu'à Bruxelles, c'est nous qui le tenions, sous l'autorité du président.

« La coopérative n'est pas une finalité, c'est un moyen mis au service des producteurs, mais quel moyen ! »

C'est un rôle passionnant. Le plaisir que j'ai eu dans mon métier c'est bien celui-là : après avoir identifié un problème, une fois que les instances politiques de la maison ont validé le dossier, aller le porter au ministère ou à Bruxelles pour obtenir gain de cause. A cette période, Jean-Michel Delannoy était notre délégué élu à Bruxelles. C'est aussi, en 1980, la sortie du rapport Murret Labarthe décidé sous Giscard d'Estaing et mis en place sous Mitterrand. Murret Labarthe, c'est l'un des fonctionnaires qui a permis de changer les choses. Grâce à ce rapport, on a pu mieux structurer les entreprises sur le plan commercial. On a obtenu deux grandes décisions, encourager le regroupement de l'offre avec l'aide dite “au franc le franc” pour mieux affronter les nouveaux marchés. Beaucoup de coopératives en ont bénéficié et sont encore là aujourd'hui. Et vous retrouvez aussi des expéditeurs. Et puis on a obtenu à chaque fois qu'une entreprise investissait qu'elle ait le droit de bénéficier d'un financement par Bruxelles. Le taux moyen était de 25 % et dans quelques régions au Sud c'était même 35 %. Cependant il y avait un bémol : le dossier mettait au minimum deux ans avant d'être financé par Bruxelles. A l'époque, vous imaginez bien qu'il y avait l'inflation (10 % par an). On avait donc obtenu, grâce au rapport Murret Labarthe, que l'Office (Oniflhor) dégage une somme énorme (je crois que c'était de l'ordre de 80 millions de francs). Avec cela, l'Office avançait l'argent et la coopérative remboursait dès qu'elle recevait les subsides de Bruxelles. C'est à cette époque que les coopératives de pommes notamment ont pu investir largement en chambres froides. A ce moment-là, il y a eu un fort courant de concentration de coopératives qui correspond à la croissance parallèle des grandes surfaces et la nécessité d'exporter. A partir de ce rapport, les coopératives se sont réellement rendu compte que Felcoop avait une utilité. Nous avons alors créé le groupe Fonds propres, un groupe que nous avons réactivé il y a quelques mois. La vie est un éternel recommencement ! Et dans les années 2000, il y a eu la prise de la présidence du CTIFL par Jean-Claude Lejob, qui était déjà président de Felcoop. Là, notre fédération a changé de braquet. Puis est venue la négociation de la convention collective. Vu le poids de la masse salariale dans une coopérative c'est un travail très subtil : il faut trouver un équilibre entre les demandes des salariés et la capacité contributive de la coopérative.

FLD : Quels ont été les grands changements avec l'apparition des programmes opérationnels ?

B. C. : Avec la réforme de l'OCM fruits et légumes de 1997, on est passé du tout conjoncturel à du tout structurel, d'ailleurs peut-être un peu trop brutalement. Tous les groupements de producteurs pouvaient en bénéficier. Un PO, c'est le plan de développement consolidé d'un groupe de producteurs et leur outil commercial. Or, qui dans la filière avait l'habitude de travailler et d'investir ensemble ? Ce sont les coopérateurs. C'est l'esprit même de la coopération. Il y a des produits ou des régions ayant une majorité de coopératives. C'est le cas de la Bretagne légumière ou encore de la pomme qui a fait des investissements lourds. La coopération à ce moment-là représentait 40 % et elle a déposé près de 80 % des programmes opérationnels ! Cela a vraiment consolidé les coopératives. Sur les 120 programmes opérationnels déposés par la France, Jean-Pierre Fournier, mon collègue, et moi, en avons déposé 80 ! A l'époque, c'était la révolution. Il fallait avoir un projet d'entreprise bien défini et être très rigoureux. Il faut aussi prendre en compte les contrôles nécessaires quant à l'utilisation des fonds européens. C'est peut-être la difficulté de cette OCM et sa fragilité : la superposition des contrôles.

FLD : Que pensez-vous de l'OCM fruits et légumes ?

B. C. : C'est une superbe organisation commune de marché structurante. C'est la seule avec l'OCM viticole qui a un lien avec le chiffre d'affaires pour aider les coopératives à conforter leur place sur le marché. Pour autant, il y a un excès. Dans chaque programme opérationnel, il faut des mesures agroenvironnementales (MAE) qui doivent être supérieures à la législation. A force de vouloir faire laver plus blanc que blanc, la Commission en arrive à oublier l'esprit même de l'OCM. A savoir, conforter la concentration de l'offre.

FLD : Cela a-t-il conforté l'organisation ?

B. C. : Il y a eu peut-être peu de création de nouvelles OP mais grâce à l'OCM beaucoup ont augmenté leurs tailles commerciales. Quant aux Amap, c'est une idée intéressante certes, qui permet aux citadins de reprendre contact avec le monde agricole, mais qui ne peut assurer un rôle de développement économique régional. Plus globalement, les Amap et circuits courts, ce n'est pas la panacée.

« A Felcoop, le directeur est plutôt un paratonnerre vu que j'ai exercé cette fonction durant près de 40 ans ! »

Ainsi en région parisienne, la production locale ne dépasse pas les 250 000 t alors que la consommation de fruits et légumes atteint les 750 000 t. Alors, comment fait-on ? A Felcoop, on a réalisé une étude sur le circuit court : beaucoup de coopératives en ont, ce sont les mêmes qui sont présentes à la grande exportation et, souvent, c'est cette exportation qui fait vivre le marché.

FLD : Le directeur est-il un fusible qui peut sauter n'importe quand ?

B. C. : J'en ai connu qui ont sauté en effet. Mais à Felcoop, on est plutôt un paratonnerre vu que j'ai exercé cette fonction durant près de 40 ans ! Je dirais plutôt que le directeur est l'interface. Si une décision doit être prise, on organise une réunion téléphonique et celle-ci est soumise à un vote démocratique. Personnellement je crois beaucoup aux relations humaines et au contact humain. Une téléconférence peut fonctionner si tout le monde se connaît bien. En revanche, si les participants ne se connaissent pas, cela ne donnera rien de bon. Je suis assez inquiet d'ailleurs de l'envahissement des écrans partout dans notre vie professionnelle. Rien ne vaut un bon groupe de travail. Longue vie aux coopératives et à Felcoop.

FELCOOP EXPRESS

Felcoop, membre de Coop de France, est un syndicat professionnel qui représente les coopératives dans les secteurs des fruits et légumes frais, de la IVe et Ve gammes, des fruits et légumes transformés, des pommes de terre et de l'horticulture. Ces 200 entreprises coopératives représentent 20 000 producteurs et salariés et réalisent 30 % du chiffre d'affaires de s fruits et légumes en France.

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