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Reynald Abad, historien de la France d’Ancien Régime
Alimenter les Français, un devoir royal

Professeur d’histoire à l’université Paris Sorbonne, Reynald Abad est spécialiste de l’histoire de France d’Ancien Régime et s’est penché spécifiquement sur l’approvisionnement alimentaire de la ville de Paris aux XVIIe et XVIIIe siècles. Où l’on pressent comme un prélude à la situation de ce siècle.

Fld : Pourquoi vous êtes-vous intéressé à l’approvisionnement de Paris ?

Reynald Abad : J’avais de l’intérêt pour l’histoire économique des XVIIe et XVIIIe siècles. Et lorsqu’on débute une carrière de recherche, il faut trouver un sujet neuf. Or, si l’approvisionnement alimentaire de Paris avait été très étudié sous l’angle de la filière céréalière, il n’existait pas d’études comparables pour les autres secteurs. Comme j’avais la conviction que ces filières devaient avoir une importance plus grande qu’on ne l’avait pensé jusqu’alors, je me suis engagé dans cette enquête, d’autant que les sources documentaires existaient.

Fld : Quelles sont ces sources ?

R. A. : Il y a celles qui émanent directement du monde de la marchandise, en particulier des livres de comptes de marchands du secteur alimentaire. Mais il y a aussi les sources administratives au sens large – des archives de la réglementation à celles de la répression, en passant par celles de la fiscalité –, les descriptions et récits de voyage – pour Paris comme pour les provinces – les ouvrages de l’époque – des encyclopédies aux livres de cuisine. La difficulté principale réside dans le fait que les sources sont inégales selon les familles de denrées : elles s’amenuisent à mesure qu’on descend dans l’échelle commerciale, que les circuits sont plus courts, les acteurs plus modestes, les autorités moins présentes.

Fld : Qu’en est-il des fruits et légumes ?

R. A. : Les sources dans ce domaine sont nécessairement moins riches que pour les bestiaux. Il est clair, en particulier, que l’absence de fiscalité sur les fruits et légumes à l’entrée dans la capitale – contrairement à ce qui se pratiquait pour presque toutes les autres denrées – a eu un effet très préjudiciable pour l’historien : celui de le priver d’un enregistrement riche en informations. Mais il existe néanmoins une collection de sources qui permettent une reconstitution suggestive.

Fld : Cet approvisionnement était un enjeu fort pour la Monarchie, pour quelles raisons ?

R. A. :Dans l’imaginaire de la France d’Ancien Régime, le Roi est le garant ultime de l’alimentation des sujets. Un principe que les hommes d’Ancien Régime et les historiens ont résumé parfois par la formule du “roi nourricier”. Il y a un contrat tacite entre le roi et le peuple, spécialement le peuple de Paris. Ce pacte est fondé sur un échange : la garantie de l’alimentation des sujets contre la soumission à l’autorité. Par conséquent, les autorités ont une mission prioritaire à Paris : garantir l’approvisionnement des marchés et des boutiques en denrées de bonne qualité à bon marché. Cela est spécialement vrai pour le blé et la farine, conditions de possibilité du pain. Mais la police ne néglige pas tout à fait les fruits et légumes, qui, avec le pain, constituent la base de l’alimentation populaire.

Fld : Sous l’Ancien Régime, l’approvisionnement présente-t-il des spécificités qui existent encore aujourd’hui ?

R. A. : Oui, par exemple la diversité de l’offre et la segmentation du commerce. Certes, parce qu’il n’existe pas encore d’industrie agroalimentaire aux XVIIe et XVIIIe siècles, les produits offerts semblent moins nombreux, mais il existe une infinie variété de denrées brutes sur les marchés et dans les boutiques. Quant à la segmentation du commerce, elle est aussi forte, voire plus forte qu’aujourd’hui, où la grande distribution tend à masquer, aux yeux du consommateur, la variété des filières. Sous l’Ancien Régime, les denrées sont souvent constituées en filières autonomes, depuis les provinces jusqu’à Paris, parfois même pour des produits apparemment très proches, à l’image des veaux et des bœufs de boucherie, qui constituent deux branches distinctes.

Fld : Comment s’organise l’approvisionnement en fruits et légumes ?

R. A. :Pour faire simple, on peut considérer qu’il existe trois cercles d’approvisionnement, qui correspondent à trois types de commerce. Le premier recouvre les zones maraîchères et arboricoles ceinturant Paris, ainsi que les villages des environs : on y trouve des producteurs qui commercialisent eux-mêmes leurs denrées. Au plus près de la capitale, il s’agit souvent de produits haut de gamme, voire de luxe, notamment parce que le prix du foncier incite à se tourner vers des aliments très rémunérateurs, qui sont produits sur de très petites surfaces, à grand renfort de soins et d’engrais. Dans les villages environnants, on trouve des cultures légumières ou fruitières en plein champ, plus simples certes, mais dans une proportion inconnue dans le reste du royaume. Le deuxième cercle englobe les diverses provinces du royaume, qui, par endroits, cultivent des fruits et légumes à très grande échelle. Dans ce cas, il y a des intermédiaires, qu’on appelle “marchands forains” : ils sont généralement provinciaux, achètent auprès de producteurs ou sur les marchés, puis apportent leurs produits à Paris. Le troisième cercle englobe des provinces plus lointaines, voire des pays étrangers. C’est un commerce de correspondance : des acheteurs parisiens achètent directement sur les lieux en écrivant à des fournisseurs établis dans les grandes villes de commerce. Dans le cas des fruits et légumes, ce commerce concerne essentiellement les citrons et oranges, ainsi que les fruits séchés – prunes, abricots –, accessoirement des fruits préparés – olives confites – ou exotiques – noix de cajou, pistaches.

Fld : Proche de Paris, avez-vous des exemples de fruits et légumes dits de luxe ?

R. A. : Les productions les plus luxueuses, sous l’Ancien Régime, sont sans doute les fruits de Montreuil, à commencer par les pêches, mais aussi les fraises ou le raisin. Les cerises de Montmorency sont aussi en grande réputation. Les produits des “marais” des environs immédiats de Paris sont très recherchés également, mais leur qualité gustative est souvent critiquée, du fait d’un usage excessif des engrais : il est vrai que l’enjeu est surtout de produire des variétés de primeur ou des produits rares, afin de satisfaire une demande de luxe.

Fld : Précisément comment se pratiquait la vente à Paris ?

R. A. :Pour décrire le mode de vente, il faut partir du mode d’acheminement, selon que les fruits et légumes venaient par voie d’eau ou de terre. Le bassin de la Seine était alors très actif, à la différence d’aujourd’hui : une part notable des fruits et légumes arrivait par bateaux, avec vente sur les ports de Paris, souvent à même les bateaux, soit à des particuliers, soit aux professionnels, c’est-à-dire aux “maîtres fruitiers”. Ce qui arrivait par voie de terre était conduit aux halles de Paris, où l’on pratiquait aussi la vente au détail et en gros.

Fld : Vous avez participé au colloque organisé par le Cervia le 4 juin, quel a été votre rôle ?

R. A. :On m’a demandé de donner un bref aperçu historique sur la question de l’approvisionnement de Paris sous l’Ancien Régime. Dans les 20 mn qui m’ont été accordées, j’ai essayé de mettre en perspective quelques-uns des points essentiels, en particulier l’étendue de l’aire d’approvisionnement de la capitale.

Fld : L’aire d’approvisionnement ?

R. A. : Il s’agit de l’espace géographique dans lequel une ville s’approvisionne ordinairement. Dans le cas de Paris à la fin de l’Ancien Régime, la profondeur de cet espace était déjà considérable, puisque la capitale drainait des denrées de toutes les provinces du royaume sans exception. Au-delà de cet effet de drainage, l’intérêt est de mesurer la redistribution financière opérée dans le pays par la dépense alimentaire parisienne, mais aussi d’éclairer les mutations agricoles nées de l’approvisionnement de la capitale. En effet, une partie du monde de la production s’est transformée pour satisfaire, voire anticiper la demande parisienne. C’est spécialement vrai dans le secteur du luxe, où les producteurs ont parfaitement compris que la distinction aristocratique est fondée sur la consommation de denrées précoces, inédites ou exotiques. Un tel commerce est évidemment limité sur le plan social, mais il peut peser lourd sur le plan financier.

Fld : Existe-t-il des exemples de spécialisation provinciale dans le domaine des fruits et légumes ?

R. A. :Dans le cadre du deuxième cercle dont je viens de parler, la Normandie est un très gros pourvoyeur de pommes, de poires, de légumes secs (fèves, pois et lentilles). C’est le cas également de la Brie. De manière plus inattendue, l’Auvergne fournit aussi beaucoup de pommes, grâce à des vergers très productifs dans la plaine de Limagne.

Fld : Vous vous êtes focalisé sur Paris mais existe-t-il des comparaisons possibles avec d’autres villes et leur impact sur le Royaume voire ailleurs en Europe ?

R. A. : Dans le cas français, il n’en existe pas. De toute évidence aucune ville n’a une aire d’approvisionnement aussi étendue que Paris. Lorsqu’on dessine la carte d’approvisionnement de la capitale, on devine, en creux, celle de Lyon, qui semble bien plus réduite, même s’il faudrait une étude précise pour en être certain. Les comparaisons à l’échelle internationale suggèrent que seules les très grandes métropoles – au-delà de 500 000 habitants peut-être – ont un impact décisif. Dès lors, la comparaison naturelle pour cette époque, c’est Londres, qui draine effectivement des denrées de toutes les Iles britanniques, mais dans un espace finalement moins vaste que le Royaume de France.

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