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Export de bovins vivants : l’Algérie permet de maintenir la dynamique des prix

Marché difficile et risqué, l’export de broutards vers l’Algérie reste indispensable pour maintenir une dynamique des prix. Et, le besoin d’importer semble vouloir durer.

« Le seul paramètre qui me permettait d’avoir de la visibilité sur notre activité à venir, c’était le cours du pétrole, affirme Laurent Trémoulet, directeur de la Sepab (société du parc à bestiaux du port de Sète). Les cours ont chuté, pourtant, l’activité continue. Mon seul repère, je l’ai perdu. » Tous les exportateurs de broutards à destination de l’Algérie ont été surpris de la vitalité de la reprise des achats après le confinement faisant suite à l’arrivée du Covid-19. « C’est une reprise presque inespérée alors que les acheteurs algériens ne peuvent se déplacer en France pour agréer les animaux, que le prix du pétrole a chuté et que la dévaluation du dinar a renchéri le prix des animaux », se réjouissait début juin André Veyrac, éleveur dans l’Aveyron, gérant de la Sepab et vice-président de Bevimac. En cette période où l’offre était faible, il était même presque difficile de satisfaire la demande, reconnaissait-il. « J’ai été étonné que l’activité reparte aussi vite », acquiesçait Michel Fénéon, directeur commercial et administratif d’Eurofeder.

« Un réel besoin de bovins »

Selon l’Institut de l’élevage, l’an dernier, l’Algérie a importé 62 000 broutards (+ 65 %/2018) dont 60 000 en provenance de France. Un record. Cet intérêt pour les broutards français va-t-il se poursuivre ? Tous les clignotants ou presque sont au rouge et devraient à minima inciter à la prudence : prix des hydrocarbures, dévaluation, crises politique, sanitaire et économique, réserves de change en chute libre… Mais, il en est deux qui semblent toujours au vert : le besoin de consommer de la viande et l’éternelle dépendance de l’Algérie aux importations, tout particulièrement de biens alimentaires. Face au tarissement des devises que font rentrer le pétrole et le gaz, le nouveau gouvernement algérien freine drastiquement les importations. Mais, les besoins de base, comme l’alimentation, doivent être satisfaits pour maintenir une paix sociale fragile. « Il y a un réel besoin de bovins aussi bien des broutards pour l’engraissement que des génisses pour la production laitière. Ils veulent engraisser eux-mêmes plutôt que d’importer des animaux à abattre », explique Michel Fénéon. L’Algérie importe aussi des jeunes bovins prêts à abattre (27 000 en 2019, soit deux fois plus qu’en 2018), surtout au moment du ramadan, quand le besoin est plus fort. Ce marché est préempté par les Espagnols (25 000 JB).

« Une date de péremption sur le produit »

Cependant, tous les exportateurs reconnaissent que le marché algérien est de plus en plus complexe. « Un marché indispensable mais risqué », résume Benoît Albinet, directeur commercial de Deltagro export. « Ce marché a vraiment sa place. Il apporte une dynamique en matière de prix », ajoute Michel Fénéon. Mais, la modification du cahier des charges en début d’année, qui exclut désormais les animaux d’engraissement de plus de 450 kg et de plus de 14 mois, ne permet plus de valoriser les animaux lourds sur le marché algérien. Trouvant difficilement preneur en Italie, ils sont désormais pénalisés. « Ce cahier des charges crée une date de péremption sur le produit. Passé 14 mois, un broutard repoussé perd 200 euros. Les animaux de 14 à 18 mois ne peuvent plus aller en Algérie », regrette Benoît Albinet. Le certificat pour les bovins d’abattage exige en effet qu’ils aient plus de 18 mois. La concurrence algérienne sur des catégories d’animaux également destinées à l’Italie risque de mettre davantage de pression sur les prix. « C’est une erreur vis-à-vis des éleveurs, estime Michel Fénéon. En défendant un cahier des charges à 450 kg, on se tire une balle dans le pied. On s’enlève le marché pour une catégorie de bovins (500-550 kg) pour laquelle on n’a pas d’autre débouché. Il ne faut jamais se fermer des marchés. »

« Le prix du broutard a augmenté, pas celui de la viande »

Mais, côté algérien, il y avait aussi sans doute dans cette décision la volonté de payer moins cher les animaux et leur faire prendre davantage de kilos sur place. « Les engraisseurs algériens ont compris qu’il y avait plus de marge à faire avec un broutard de 400 kg qu’avec un mâle de 550 kg », affirme André Veyrac. « Le prix du broutard a augmenté alors que le prix de la viande n’a pas beaucoup bougé, explique Michel Dedenon, consultant et fin connaisseur de l’agriculture algérienne. Les engraisseurs préfèrent donc acheter des broutards plus légers pour qu’ils soient moins chers quitte à les engraisser plus longtemps ou faire des carcasses moins lourdes. De plus, pour obtenir le crédit documentaire [NDLR : la garantie de paiement établi entre une banque algérienne et une banque française], les importateurs doivent avoir déposé à la banque 120 % du montant qu’ils demandent. Je pense qu’on en a fini avec les bonnes années sur le marché du broutard parce que l’augmentation du cheptel laitier va approvisionner de plus en plus les ateliers d’engraissement. » En outre, la législation sur les lazarets [lieu de quarantaine] a changé il y a un an. Désormais, ils doivent être situés à moins de 50 km du port de débarquement des animaux, au lieu de 100 km précédemment. "Les importateurs qui n’étaient plus dans les clous ont dû louer de nouveaux lazarets plus proches du port et les prix flambent", explique Michel Dedenon.

« Faire un bateau, c’est une aventure »

Les exportateurs sont unanimes aussi à souligner la complexité administrative et sanitaire de ce marché qui ne cesse de s’alourdir. Si l’administration algérienne est réputée tatillonne, son homologue française n’est pas en reste pour alourdir les procédures (lire ci-contre). « Faire un bateau, c’est chaque fois une aventure parce qu’il y a toujours des imprévus. Mais, c’est notre métier, on sait faire », assure Michel Fénéon. Il y a aussi le risque financier, non sur le paiement des animaux, qui est garanti par le crédit documentaire établi de banque à banque, mais sur les frais mis en œuvre pour des broutards qui parfois ne peuvent embarquer. Le crédit documentaire d’un client peut ne pas arriver à temps. Tant que l’exportateur ne les a pas reçus, pas question que les animaux prennent la mer. Les frais engagés (quarantaine, coût du bateau réparti sur moins d’animaux s’il n’est rempli qu’à moitié ou aux deux tiers) sont perdus. Affréter un navire bétailler de 1 000 têtes pour l’Algérie coûte de l’ordre de 60 000 euros. Sans compter une éventuelle dévalorisation des bovins qui seront bradés sur une autre destination (notamment pour les génisses laitières). Et, semble-t-il, cela est déjà arrivé à tous les exportateurs. « Personne n’imagine la complexité et les risques que l’on prend sur les marchés des pays tiers », alerte Benoît Albinet.

Avis d’expert - Michel Fénéon, directeur commercial et administratif d’Eurofeder

« Il faut arrêter avec ces exigences insensées »

« Depuis un an ou deux, l’administration française refuse de nous délivrer les certificats sanitaires lorsque les températures dépassent 30 °C. Cela peut ralentir les exportations pendant tout l’été. Nous n’avons pas attendu leur avis pour faire rouler de nuit les camions à destination de Sète. Par contre, l’Espagne, qui est soumise aux mêmes règles européennes que la France, peut continuer à exporter durant tout l’été. Si elle était soumise aux mêmes contraintes que nous, elle arrêterait d’exporter de mai à septembre, voire octobre. C’est une distorsion de concurrence. L’administration française est de plus en plus exigeante et ne va jamais dans le sens d’un assouplissement alors que l’administration espagnole accompagne ses exportateurs pour que les choses se passent du mieux possible. De plus, nous sommes soumis à des interprétations différentes des textes pour l’attribution des certificats sanitaires selon les départements. Les DDPP ont peur des animalistes alors que les animaux n’ont jamais été aussi bien transportés qu’aujourd’hui. Nous sommes des professionnels, il ne nous viendrait jamais à l’idée vis-à-vis de nos clients de ne pas leur expédier les animaux dans les meilleures conditions. Les exigences de l’administration deviennent intenables. Nous ne demandons pas à faire n’importe quoi mais du pragmatisme. Il faut arrêter de subir la pression des animalistes. Les images qu’ils montrent ne concernent pas des bovins français et Alger n’est qu’à un jour et demi de Sète. Nos éleveurs ont besoin de ces marchés. »

Si le prix de la viande bovine reste élevé, condition nécessaire au maintien des importations de broutards, elle subit la pression de la viande de volaille qui prend des parts de marché.

La viande bovine concurrencée par la volaille

« La viande bovine est énormément consommée en Algérie. Mais, ces dernières années, il y a eu un boom de la viande de volaille qui est plus appropriée en termes de prix pour la majorité des consommateurs algériens. Elle prend beaucoup de parts de marché sur la viande bovine qui souffre », explique Emir Belbedjaoui, vétérinaire et agriculteur dans l’est algérien. Il cultive 250 ha de blé et 100 ha de méteil récoltés en enrubannage. Quand la conjoncture est favorable, il engraisse des broutards importés. Ce printemps, au vu de la crise sanitaire, il a préféré s’abstenir et vendre le fourrage. Autant la production laitière s’est fortement développée ces dernières années, autant l’expansion de l’engraissement est freinée par une conjoncture peu favorable et par des pratiques d’engraissement peu optimisées et des rations qui coûtent cher. « Autant l’élevage laitier s’est professionnalisé par l’intermédiaire de grosses laiteries, avec la création d’élevages de plusieurs centaines de vaches, autant dans l’engraissement, les choses ont beaucoup moins évolué », constate Michel Dedenon, consultant.

La filière se professionnalise mais pas très rapidement

La fabrication d’aliment se développe beaucoup, en lien avec l’aviculture, tout comme la production fourragère (ensilage de maïs) dans le sud algérien au profit de la production laitière. L’Algérie cherche à réduire sa dépendance aux importations massives de poudre de lait. La viande bovine étant substituable par d’autres protéines, elle ne fait pas l’objet des mêmes efforts. Beaucoup d’élevages sont encore de taille modeste (50 à 100 têtes). Mais, quelques ateliers plus importants font leur apparition ici ou là avec l’appui d’usines d’aliments. « Le marché et la filière sont en train de se professionnaliser comme la filière italienne s’est construite à son époque », veut croire André Veyrac, président de Célia. Et de citer un de leur plus gros client qui possède une importante usine d’aliment pour alimenter une activité avicole et un atelier de taurillons. Il fait aussi du commerce de broutards. « Leurs techniques d’alimentation animales, élaborées par des nutritionnistes, n’ont rien à envier à ce que nous faisons en France », dit-il. « Il y a une évolution mais pas très rapide », résume Emir Belbedjaoui.

Un marché pour des cornettes ?

En revanche, souligne Michel Fénéon d’Eurofeder, les clients algériens « sont de plus en plus professionnels dans la qualité de la demande ». « Ils sont très précis dans les races », complète André Veyrac. Actuellement l’Aubrac a le vent en poupe. Dans les élevages, ses broutards sont appréciés pour leur robustesse, leurs aplombs solides, leur bonne résistance aux fortes amplitudes de températures associés à des niveaux de croissance corrects. « Le Charolais est moins apprécié par les bouchers et les consommateurs parce que la viande est plus claire et supporte moins d’être mise en vitrine, décrypte Michel Dedenon. Ils se rabattent sur les Aubrac et les croisés. Le Charolais est plutôt destiné aux engraisseurs qui ont des contrats avec les collectivités. » « La viande charolaise est plus fragile que celle des autres races », confirme Emir Belbedjaoui. Le Limousin trouve aussi sa place. Ce printemps, un bateau est parti de Sète avec des broutardes de races allaitantes (Charolaises et Limousines). Pour l’instant, elles sont taxées au même tarif que les génisses laitières (12 %), mais cela pourrait évoluer. « Le marché des cornettes peut se développer », veut croire Laurent Trémoulet, directeur de la Sepab. « Ils veulent faire des essais, mais ça risque d’être un feu de paille car ils se rendront compte qu’en réalité, elles coûtent presque aussi cher que les mâles », craint Francis Jacquier, d’Eurofeder.

L’engraissement est peu rentable

Le prix de la viande en Algérie ne laisse pas entrevoir les difficultés de la filière d’engraissement. Début juillet, il serait de 5,5 €/kg carcasse alors qu’il a pu monter jusqu’à 6,5 à 7,5 €/kg selon Emir Belbedjaoui. Des conversions en euros établies sur la base du change au marché noir (1 €/200 dinars algériens), qui reflète mieux la réalité que le taux officiel (1 €/145 DA). Mais, le prix d’achat du broutard est extrêmement élevé. Un mâle importé revient à 2 000 euros rendus dans l’atelier d’engraissement. Outre les frais d’importation, il subit des taxes de 40 %. Une fois engraissé, le jeune bovin sera vendu entre 2 500 et 3 000 euros selon la conjoncture. Le coût de l’alimentation (ration sèche à base de céréales), pas toujours optimisé, peut aller de 250 à 500 euros par tête. Le prix de l’aliment est de l’ordre de 200-215 €/t. La marge sur coût alimentaire sera dans le meilleur des cas de 500 euros. Mais, souvent plutôt 200 à 250 euros. Ce qui laisse peut de marge pour investir.

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