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Et si les NGT ouvraient la voie à la brevetabilité des semences... Quel risque pour l’innovation variétale ?

Derrière l’avènement des variétés issues des nouvelles techniques génomiques (NGT, ou NBT), certains semenciers s’inquiètent de l’arrivée des brevets. Pour cause : la perte des avantages du système du certificat d’obtention végétale, une plus faible compétitivité des PME semencières, et in fine des risques pour l’innovation variétale et la diversité génétique. 

Remplissage d'un big bag de semences traitées par une entreprise de triage et de préparation de semences à façon.
Triage et préparation de semences lors d’une journée presse du Syndicat des trieurs à façon français (Staff).
© Gaétan Merminod

Début mai, les négociations en trilogue sur les nouvelles techniques génomiques (NGT, ou NBT) ont débuté à Bruxelles. Si la Commission européenne, le Parlement européen et les Etats membres se montrent plutôt favorables à l’ouverture au marché pour les plantes NGT de catégorie 1, considérées comme équivalentes aux plantes sélectionnées de manière conventionnelle, certains points divisent. C’est le cas de la question des brevets. L’idée, portée par les États membres et à laquelle s’est opposé le Parlement, est d’autoriser la brevetabilité des plantes NGT-1. 
 

Des PME semencières inquiètes de l’arrivée des brevets dans la législation NGT

En France, l’arrivée des brevets dans la législation NGT inquiète certaines petites et moyennes entreprises (PME) de la filière des semences. C’est le cas des entreprises du syndicat français des trieurs à façon et préparateurs de semences de ferme (Staff), qui affirmaient dans un communiqué début mai dire « oui aux NBT » mais « non aux brevets ». Une position depuis rejointe par l’Association européenne des semences mobiles (Emsa), dont le Staff est membre. 

Comprendre | Sélection variétale/mutagenèse : comprendre les NBT en 5 questions

« Nous, on défend le système actuel du certificat d’obtention végétale (COV) qui garantit l'innovation, puisqu'il y a l'exemption du sélectionneur », soutient Sylvain Ducroquet, vice-président du Staff et de l’Emsa, contacté par Réussir.fr. Le COV est un titre de propriété intellectuelle encadrant les variétés végétales. Il comprend une exemption pour que les agriculteurs puissent ressemer leur récolte, et une exemption pour la recherche variétale. « Cette exemption permet à n’importe quel sélectionneur de venir chercher l'innovation, refaire des croisements, et tout ça gratuitement, explique-t-il. C'est-à-dire qu'il va pouvoir piocher dans la ressource génétique des collègues semenciers français et européens pour créer des nouvelles variétés, ce qui est très stimulant pour l’innovation. » 

« Il y a des petits semenciers qui ne pourront pas payer »

À l’inverse, le brevet impose « un système fermé » ne permettant pas l’accès gratuit aux innovations, ce qui est un risque pour les PME semencières selon Sylvain Ducroquet : « Il va falloir demander aux semenciers de donner l'exemption, mais à quel prix ? Il y a des petits semenciers qui ne pourront pas payer », s’inquiète-t-il. « Et puis, il y a des gros semenciers qui vont se dire “non, nous, on garde l'innovation”. […] Mais les conséquences derrière, c'est qu'il y aura 4 ou 5 entreprises dans le monde qui vont produire ces innovations. On va être dépendants, ce qui est dangereux pour la sécurité alimentaire », craint le vice-président. 

Lire aussi | NGT : les trieurs à façon de semences de fermes s’élèvent contre les brevets

Que peut-on breveter selon l’Office européen des brevets ? 

Actuellement en Europe, l’Office européen des brevets (OEB) interdit de breveter une variété végétale. « Ce que l'on peut couvrir par un brevet, c'est une invention avec une réelle contribution technique », explique un ingénieur brevet contacté par Réussir.fr. « De telles inventions résultent notamment des méthodes de génie génétique qui permettent de modifier génétiquement les cellules des plantes, et de produire de nouvelles plantes à partir de ces cellules. » Dans les cas des plantes, ce qui peut être couvert par un brevet concerne leur modification (par exemple l’introduction d’un gène ou d’une séquence, ou un procédé de modification), à condition qu’il y ait un « gain » obtenu qui n’aurait pas pu se faire naturellement. 

Or les plantes NGT-1 sont justement considérées comme équivalentes aux variétés obtenues de façon conventionnelle, c’est même l’un des arguments mis en avant pour leur mise sur le marché. Une incertitude réside donc autour de ce critère, qui pourrait désavantager certains semenciers. Notamment, « si un semencier développe une variété pour laquelle il a un COV, mais qui inclut une mutation génétique couverte par un brevet déposé par une autre entreprise, il sera bloqué, il ne pourra pas utiliser sa variété », illustre l’ingénieur. D’autant plus que les brevets pourraient s’accumuler sur une seule plante, risquant de bloquer l’innovation variétale et la diversité génétique des semences qui en résulte.

Aussi, il pourrait y avoir dans la législation NGT le risque d’un monopole des grandes entreprises semencières. Car d’une part l’obtention d’un brevet « est coûteuse », rappelle l’ingénieur brevet, et est donc « indirectement réservé aux entreprises qui ont les moyens d’engager de tels frais ». D’autre part, en cas de litige comme des actions en contrefaçon, toutes les entreprises n’ont pas les moyens de faire valoir leurs droits ou d'aller au procès pour se défendre, souligne-t-il.

Les brevets, « c'est le meilleur moyen pour que demain, on soit en permanence à faire du juridique »

Une crainte partagée par le président d’une PME semencière, contacté par Réussir.fr, qui préfère témoigner anonymement. Il souligne les difficultés en cas de litige avec ces grandes entreprises : « Si demain, j'arrive à avoir le même gène dans mon pôle génétique sans avoir fait de croisement avec une de leurs variétés, ce sera à moi d'aller prouver que je l'avais bien dès le départ et de montrer comment j'ai fait. Et là, je vais perdre 2 ans, et je ne pourrai pas vendre ma variété », s’inquiète-t-il. « C'est le meilleur moyen pour que demain, on soit en permanence à faire du juridique », accuse le président. 

Lui aussi redoute donc l’arrivée des brevets avec les variétés NGT, qui pourraient pénaliser son entreprise et l’innovation variétale : « À moyen et long terme, il y aura une réduction de la diversité génétique, car une réduction de la diversité des acteurs, et en particulier des entreprises de ma taille. » Comme le Staff, le président de la PME semencière appelle à autoriser les plantes NGT-1 dans le cadre du COV. Car ces plantes « sont une solution de créer de la diversité génétique, de créer des choses que l’on n’arrive pas à obtenir rapidement », soutient le président. 

Relire (2014) | « L’innovation variétale est devenue un champ de mines » estime Christine Noiville

Des organisations semencières françaises pas si unanimes

Cependant cette position n’est pas unanime au sein de certaines organisations semencières françaises. Par exemple, le Collectif en faveur de l’innovation variétale - qui rassemble de nombreux acteurs des filières agricoles et alimentaires - se félicitait dans un communiqué le 17 mars de l’accord trouvé par les Vingt-Sept, sans se prononcer sur le sujet des brevets accordés aux plantes NGT-1. De leur côté les organisations et coopératives agricoles de l’UE (Copa-Cogeca) s’opposaient à l’utilisation de brevets pour les variétés de végétaux, après avoir salué une « décision historique » du Conseil de l’UE. La proposition sur les plantes NGT « accélérerait les demandes de brevets en cours et de nombreux nouveaux brevets sur les plantes seraient accordés, ce qui pourrait restreindre l'accès au matériel génétique et exercer un contrôle sur les végétaux et les produits à base de plantes, depuis l’obtention jusqu'aux consommateurs finaux », alertaient les organisations. 

Une étude sur les effets des brevets prévue par la Commission européenne

Le Copa et la Cogeca indiquaient aussi « prendre note » de l’étude sur les brevets que devra publier la Commission européenne, modalité inscrite dans le mandat du Conseil de l’UE. Celui-ci prévoit en effet que Bruxelles devra publier, un an après l’entrée en vigueur du règlement, une étude « relative à l'incidence des brevets sur l'innovation, la disponibilité des semences pour les agriculteurs et la compétitivité du secteur de l'obtention de végétaux de l'UE ». Un « accent » sera mis « sur la manière dont les obtenteurs peuvent avoir accès à des végétaux NGT brevetés », précise le Conseil. Cette étude s’appuiera notamment sur l’avis d’un groupe d’experts sur les brevets. En fonction des conclusions de l’étude, la Commission européenne devra indiquer les mesures de suivi nécessaires, ou publiera une proposition législative pour corriger les problèmes relevés. 

Semae alertait déjà des risques de l’arrivée des brevets avec les NGT

Dans un avis de janvier 2024, l’interprofession des semences et plants (Semae) alertait déjà sur les risques de l’arrivée des brevets sur les NGT, notamment pour la diversité génétique : « Avec le développement des NGT en Europe, la multiplication possible de caractères brevetés sur une même variété pourrait s’accompagner de restriction ou de blocage d’accès à la libre utilisation des ressources génétiques et pourrait aboutir à leur appauvrissement », prévenait l’interprofession, qui s’appuyait sur un rapport de son Comité des enjeux sociétaux. Semae rappelait son « attachement » au Certificat d’obtention végétale, et à « la non-brevetabilité des traits natifs », c’est-à-dire les traits naturellement présents dans les végétaux. L’interprofession appelait déjà à « préciser les modalités d’octroi des brevets » aux végétaux dans le cadre de l’Office européen des brevets (OEB), et cela « pour garantir un juste équilibre entre les deux systèmes de propriété intellectuelle ». 

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