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Fromagerie
Diriger l’écologie microbienne dans les fromages au lait cru

L’orientation des flores microbiennes dans le lait et dans les fromages commence bien en amont de la fromagerie. Approche globale et prévention des risques sont nécessaires pour concilier sécurité sanitaire et typicité.

La journée technique Profession Fromager du 23 juin s’interrogeait sur l’écologie microbienne dirigée en filière lait cru. La spécificité des fromages au lait cru est en effet liée à la microflore du lait cru, en interaction avec les environnements de fromagerie, d’affinage et les pratiques associées. Mais les exigences sanitaires et les réglementations concourent à l’appauvrissement des laits en microflores utiles. Malgré cela, des accidents sanitaires persistent et continuent de menacer les filières au lait cru, montrant les limites de l’approche ultrahygiéniste.

Prévenir les risques en amont pour limiter le nettoyage et la désinfection

« Diriger l’écologie microbienne signifie diriger les pratiques, au-delà des pratiques de nettoyage et désinfection, pour des écosystèmes microbiens riches en microflores d’intérêt faisant barrière et limitant les flores indésirables », explique Cécile Laithier, chef de service qualité du lait à l’Institut de l’élevage. Si ce concept d’écologie microbienne dirigé n’est pas nouveau dans la recherche, il devient plus aisé à étudier avec les nouveaux outils d’analyse basés sur la métagénomique. L’enjeu est maintenant son développement sur le terrain. Au-delà d’une approche curative en cas de présence de germes pathogènes, l’objet est de développer une approche globale en termes de prévention intégrant le double objectif de conciliation de qualité sanitaire et de préservation des microflores utiles. Cette approche revient aux fondamentaux et au respect d’un certain bon sens : les pratiques culturales, l’alimentation des animaux, leur santé, des bâtiments adaptés… Il s’agit de prévenir les risques le plus en amont possible plutôt que recourir à des pratiques de nettoyage voire de désinfections drastiques au moment de la traite. La cohérence globale du système du sol au lait ainsi que l’alimentation sont des éléments clés pour la maîtrise sanitaire. ​En préservant les bonnes flores, on concourt aussi à occuper le terrain face aux flores pathogènes.

Aller en amont, à la source des problèmes

Lancé en 2011, le programme FloracQ visait justement à aider les éleveurs à produire des laits qui conservent une flore utile intéressante pour la transformation fromagère sans mettre en péril la qualité sanitaire. « L’une des grandes vertus de ce programme est de tisser des liens plus forts entre producteurs et transformateurs, apprécie Françoise Monsallier, l’animatrice de FloracQ. Il a permis de traiter la problématique très en amont en travaillant sur la qualité de l’alimentation, du logement, la santé des animaux, faire en sorte que ceux-ci arrivent sains et propres à la salle de traite pour ne pas avoir à désinfecter. »

Productrice de fromage laguiole AOP au lait cru, la coopérative Jeune montagne a adapté cette démarche Floracq en se basant sur un diagnostic lait cru et des prérequis à respecter. « Lorsque les bases sont là, on peut aller vers une hygiène plus raisonnée, explique Christian Miquel de la coopérative. On peut par exemple nettoyer les trayons avec de la laine de bois plutôt qu’avec des lavettes ou des lingettes qui enlèvent de la microflore utile. Aujourd’hui, nos laits ne sont pas nécessairement plus riches, mais plus équilibrés, avec moins de germes d’altération et nous avons stoppé la perte de flore. »

Même démarche en Franche-Comté où, depuis 2018, le programme Unilac accompagne la mise en place de bonnes pratiques pour concilier typicité sensorielle et sécurité sanitaire. Il consiste à organiser une visite annuelle chez les producteurs de lait, avec un cycle de quatre types d’interventions réparties sur quatre années : diagnostic préventif sanitaire (pour éviter des réservoirs de pathogènes), Floracq (pour préserver les réservoirs de flore utile), diagnostic d’hygiène préventive (pour appliquer les bonnes pratiques d’hygiène) et contrôle au LactoCorder (pour bien utiliser et bien nettoyer l’installation de traite). C’est une démarche volontaire qui concerne aujourd’hui 450 producteurs. « La philosophie, c’est d’aller à la source des problèmes, très en amont », apprécie Jean-Marie Ducret, technicien qualité du lait au Centre technique des fromages comtois.

De la prairie jusqu’à la traite

La micobiologie des fromages se construit très en amont du lait cru. Ainsi, une étude du Comité interprofessionnel de gestion du comté a montré l’impact de la fertilisation des prairies sur les microflores du lait. Il existe ainsi un continuum entre le sol, l’herbe, les trayons et, au final, le lait.

Si l’eau n’est pas un vecteur en microflores utiles, la maîtrise de sa qualité est essentielle, d’autant plus en filière lait cru. Philippe Roussel de l’Institut de l’élevage indique ainsi que « certaines eaux sont à risques en continu ou par intermittence, selon les saisons par exemple ». L’eau peut véhiculer des bactéries, en particulier d’origine fécale tels que Listeria monocytogenes et E.coli, plus rarement et de façon momentanée des salmonelles, plus rarement encore des staphylocoques. Un ensemble de bonnes pratiques (hauteur des abreuvoirs..) permet de la maîtriser. Dans certains cas, des traitements spécifiques sont à appliquer.

Sabrina Raynaud de l’Institut de l’élevage a rappelé les points clés que sont les bâtiments et la gestion des litières avec les pratiques associées pour maîtriser la propreté des animaux et leur environnement avant la traite, car même une hygiène drastique ne pourra pas compenser les erreurs commises en amont. Des travaux sont en cours notamment en élevages caprins pour la gestion des Escherichia coli producteurs de Shiga-toxines (Stec).

La maîtrise des excrétions par ingestion de probiotiques et le pilotage du microbiote intestinal constitue par ailleurs un champ de recherche très important sur le portage microbien des pathogènes. Dominique Verneau de la laiterie H. Triballat (Rians) a ainsi insisté sur la gestion des litières avec la mise en œuvre de deux protocoles chez les producteurs de sa laiterie : utilisation d’adjuvants dans les granulés pour éviter la prolifération des Stecs dans l’intestin des chèvres et un programme avec un groupe de nutritionnistes pour limiter les stress alimentaires chez la chèvre. « Nous collectons le lait de 400 producteurs et transformons la moitié des volumes en lait cru. La problématique des Stecs est devenue majeure en filière caprine : nous avons connu en 2018 des taux hebdomadaires de laits contaminés dépassant 50 % ! »

Payer la présence de germes utiles

La traite a aussi son importance. « L’enjeu est de ne pas casser les flux microbiens, de préserver les biofilms intéressants, de ne pas inhiber la biodiversité que l’on est parvenu à préserver », explique Jean-Marie Ducret du Centre technique des fromages comtois. Le point clé est une bonne conception des installations et du matériel de traite pour éviter des procédures trop drastiques qui cherchent à compenser des défaillances liées à la conception.

Pour la maîtrise en aval, il convient de surveiller les laits à la fois sur les aspects sanitaires et leur fromageabilité. Fanny Tenenhaus-Aziza, chef de projet Sécurité sanitaire et technologie au Cniel, a présenté les stratégies d’échantillonnage pour analyser les produits. « Certains fromagers ont la tentation de prélever plus, mais le plus pertinent est surtout de mettre en place un suivi des indicateurs d’hygiène (e. coli, staphs, Pseudomonas…) sur le modèle des cartes de contrôle, et d’être très attentif aux dérives dans le respect des bonnes pratiques d’hygiène. » Pour Sébastien Roustel, technologue chez CHR Hansen, « les fromagers disposent de plusieurs leviers, comme les températures de report, les pratiques d’ensemencement, de maturation ou la vitesse d’acidification pour travailler de façon sûre tout en laissant les microflores natives s’exprimer ».

Pour impulser vraiment le changement et obtenir des laits plus riches, Bruno Mathieu, responsable sanitaire et R & D de l’ODG reblochon, indique l’opportunité d’établir une liste de germes utiles dans le cadre du paiement à la qualité. « Nous avons mené cette expérience de mise en place de méthodes électives de microflores d’interêt fromager chez certains producteurs et ils sont passés de 10 000 germes totaux à 100 000 ». Les tests organoleptiques ont également montré des différences.

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