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Mieux utiliser la viande du cheptel laitier

La viande « laitière » assure une part conséquente de la consommation française de viande bovine. Elle trouverait d’autant mieux sa place si les réformes étaient correctement finies.

D’après les statistiques de la BDNI, il y avait en France un total de 3,914 millions de vaches allaitantes et 3,714 millions de vaches laitières au 1er janvier dernier. Même si la viande de ces dernières est souvent considérée comme un « sous-produit » du lait, elle contribue pour une part importante à la production et à la consommation française de viande bovine d’autant que les taux de renouvellement sont en moyenne plus élevés dans les cheptels laitiers qu’allaitants. « En 2018, 34 % des gros bovins abattus sur le territoire français étaient de type laitier. Cette proportion passait à 48 % pour les vaches de réforme et était encore plus importante pour les 1,2 million de veaux de boucherie, lesquels étaient la même année à 85 % des laitiers », expliquait Germain Milet, agroéconomiste à l’Institut de l’élevage à l’occasion d’une table ronde organisée lors de la dernière assemblée générale d’Elvéa France.

Des laitières bien trop maigres

Si les disponibilités en réformes laitières sont importantes, la qualité de leurs carcasses n’évolue pas dans la bonne direction. Elles sont peu ou pas finies et tendent à l’être de moins en moins. Une étude publiée fin 2016 par FranceAgriMer et l’Institut de l’élevage avait compilé pour 2013 les données d’abattage de Normabev et de la base de données nationale de l’identification. Elle avait établi un état des lieux de l’engraissement des vaches de réforme laitières. Si on s’en tient à la seule note d’engraissement, plus d’une vache sur trois était alors abattue maigre (note 1 ou 2). Ce chiffre était de 35 % en Holstein, grimpait à 48 % en Montbéliarde mais n’était que de 21 % en Normande. Cette même étude avait chiffré, race par race le gain de poids carcasse et de conformation entre une vache abattue maigre (classée 1 ou 2) et une carcasse correctement finie (classée 3). La différence était de 70 kg en Holstein, 65 kg en Montbéliarde et 78 kg en Normande. Côté conformation, une bonne finition permettait de gagner une demi-classe en Holstein et deux tiers de classe pour les deux races mixtes. Et d’en déduire que si à l’échelle du pays, toutes les réformes laitières avaient été abattues correctement finies — ce qui est évidemment impossible — cela aurait permis de couvrir pour l’année prise en compte (2013) un peu plus de 20 % du déficit national en viande de gros bovin.

Cinq ans après cette enquête, la situation s’est détériorée. En 2018, les données de Normabev font état de 89 % des réformes Holstein notées « P » en conformation contre 81 % en 2012. La tendance est similaire pour les Montbéliardes et les Normandes, traduisant une nouvelle dégradation des niveaux de finition. Ces évolutions s’expliqueraient par la spécialisation accrue de bien des élevages laitiers. La suppression des quotas en 2015 aurait eu un impact sur la gestion du coproduit viande. La volonté est d’abord de se spécialiser sur le lait et de consacrer à cette production et à l’élevage des génisses l’essentiel des fourrages et bâtiments disponibles. Qui plus est dans bien des régions, les sécheresses récurrentes incitent à réserver les précieux fourrages pour produire du lait et non de la viande.

Traites la veille, abattues le lendemain

« Le reproche que je fais aux producteurs laitiers est qu’une forte proportion de leurs réformes étaient encore traites la veille de leur départ pour l’abattoir », soulignait Gilbert Delmond, éleveur de Limousines en Corrèze et vice-président d’Elvea France. Et de souligner que si les réformes laitières étaient mieux finies, leur viande n’en serait que meilleure, limitant de ce fait le risque d’avoir des consommateurs déçus.

Qu’il soit de type laitier ou allaitant, une part croissante des muscles des bovins sont orientés vers le créneau des viandes hachées et transformées. D’après les données de l’enquête « Où va le bœuf ? » réalisée l’an dernier par l’Institut de l’élevage, 72 % des muscles de vaches laitières ont été destinés à ce créneau en 2017. Un pourcentage qui n’est qu’une moyenne. Longtemps, les muscles destinés au haché étaient majoritairement ceux des avants. Désormais ceux des arrières sont eux aussi de plus en plus concernés. Ils le sont d’autant plus qu’ils proviennent d’animaux non finis.

« En France, la consommation de viande bovine en 2017 c’était 43 % de viande brute et 57 % de viande transformée. Il est possible que l’on assiste dans les années à venir à une poursuite de ces évolutions, soulignait Fabien Cornen, directeur des achats vifs pour SVA. Pour schématiser, le Français mange en semaine essentiellement de la viande hachée ou de la viande 'ingrédient' par exemple dans un plat de bolognaise et le week-end, c’est davantage le rôti ou la côte de bœuf. » Ces évolutions sont surtout très rapides. La part des viandes transformées était estimée à 37 % en 2008, 42 % en 2014 et donc 57 % en 2017. « Pour autant, l’anatomie des animaux est restée la même ! », soulignait Fabien Cornen.

 

 

Se substituer à la viande importée

Face à ces évolutions, les carcasses issues du cheptel laitier auraient leur place pour réduire un tant soit peu la part des viandes importées. La dimension de leurs muscles correspond aux attentes de la restauration hors domicile. Mais avoir des réformes mieux finies est une priorité. « C’est tout particulièrement vrai avec les Montbéliardes dont le potentiel 'viande' est clairement sous valorisé en particulier en Franche-Comté où les exploitations sont très herbagères. Mais il faut des animaux parfaitement taris qui restent au moins deux mois à l’engrais », soulignait Philippe Auger, président d’Elvea France et éleveur en Haute-Saône. « Une laitière tarie, puis bien finie est un produit de qualité. Il est facile de chiffrer ce que coûtent deux à trois mois de finition. Si on veut faire passer ce coût sur le seul piécé on peut y arriver, mais sur le haché cela paraît plus compliqué », ajoutait Stéphane Peultier, président de l’Apal.

« À la FNPL, nous avons évoqué la possibilité de mettre en place des ateliers spécifiques pour finir des laitières. Par exemple, chez des éleveurs qui souhaitent cesser de traire. Notre idée n’est pas de 'concurrencer' la viande issue du cheptel allaitant mais de redorer l’image de la viande 'laitière' avec des animaux véritablement finis donc plus satisfaisants sur le plan qualitatif », expliquait Marie-Andrée Luherne, productrice de lait dans le Morbihan et secrétaire générale adjointe de la FNPL.

Une autre possibilité pour développer la production de viande rouge « laitière » serait d’utiliser des veaux croisés pour produire génisses et bouvillons bien finis, abattus à des poids volontairement modestes (280 à 320 kg de carcasse). L’idée serait de viser le créneau de la RHF où la viande importée semble difficile à déloger dans la mesure où les carcasses de laitières sont trop maigres et celles issues de cheptels allaitants sont souvent analysées comme trop lourdes pour se positionner sur ces marchés pour les muscles piécés. Des itinéraires techniques novateurs sont actuellement testés à la ferme de Mauron, une station expérimentale basée dans le Morbihan et fraîchement reprise par l’Institut de l’élevage dans cet objectif (lire Réussir Bovins viande n° 264, octobre 2018 p 36 à 38).

« L’idée serait de développer des ateliers complémentaires. En particulier pour des éleveurs qui arrêtent le lait mais qui ont bâtiments et surfaces fourragères, précisait expliquait Marie-Andrée Luherne. Cela permettrait le maintien d’un atelier 'bovin' sur leurs exploitations et éviterait la tendance à la 'végétalisation' des territoires." Les représentants des deux entreprises d’abattage (SVA et le groupe Bigard) présents dans l’assemblée ont confirmé qu’ils suivaient ce type de projet avec attention. Reste à chiffrer précisément pour les éleveurs quel peut être l’intérêt économique de ce type de production.

Les importations françaises de viande bovine sont très majoritairement le fait de viande issue de réformes laitières provenant des autres pays de l’Union européenne.

Priorité à la viande « laitière » côté importation

 

Le déficit français en viande bovine est essentiellement comblé par des importations muscles ou de carcasses de vaches laitières provenant d’autres pays de l’Union européenne (Pays-Bas, Allemagne, Irlande…). La France a importé 284 000 tec en 2017 et 77 % de ce tonnage (218 000 tec) concernait de la viande de laitières de réformes. Un chiffre pratiquement équivalent aux disponibilités françaises pour cette catégorie (voir graphique). Mais les tonnages importés seraient repartis à la hausse. 2017 avait été marquée par d’abondantes disponibilités en laitières de réformes. Ce serait beaucoup moins vrai cette année.

Ces viandes importées sont pour une large part destinées au secteur de la restauration hors foyer et dans une moindre mesure à la grande distribution et à la boucherie traditionnelle. Quand ils sont destinés à la RHF et qu’ils ne sont pas destinés terminer dans un hachoir, les muscles de laitières sont prisés dans la mesure où ce secteur a des exigences précises pour le grammage des portions et leur épaisseur. Les muscles de petite dimension issus de carcasses avoisinant 300 kilos correspondent bien aux attentes en particulier pour les muscles de l’aloyau.

Quasi-monopole espagnol

Les mises en marché de veaux laitiers ont progressé ces dernières années. Cette évolution n’est pas liée à un nombre croissant de vaches laitières. Cela résulte d’abord du recul de la production de JB et de bœufs laitiers et dans une moindre mesure de veaux de boucherie. C’est une des conséquences de la spécialisation laitière depuis la fin des quotas. Les producteurs misent sur le lait et produisent de moins en moins de bœufs et de JB à partir des mâles qui naissent sur leurs exploitations. Vendus à trois semaines, la plupart des veaux sont exportés en Espagne où ils sont destinés à une production de génisses et taurillons légers. Les Espagnols ont importé 118 000 veaux français en 2014. Ce chiffre est passé à 247 000 en 2018. « Le quasi-monopole de l’Espagne explique les prix dérisoires de ces animaux dans la mesure où les exportateurs n’ont guère d’autres alternatives. Les engraisseurs espagnols sont parfaitement au fait de ces évolutions du marché ! », soulignait Germain Milet.

 

Toujours plus d’allaitantes passent au hachoir

Une part croissante des muscles de vaches allaitantes sont destinés à satisfaire la demande en viande hachée. En 2017, ce débouché aurait concerné 36 % des muscles issus de vaches allaitantes. Mais comme la viande hachée reste un produit basique, vendu sans grande segmentation ni différence de prix au kilo selon qu’il est issu de muscles laitiers ou allaitants, le prix au kilo carcasse des allaitantes tend à être de plus en plus proche du prix au kilo des laitières dans la mesure où une proportion croissante de leurs muscles sont destinés à terminer dans un hachoir.

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