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L’Uruguay, royaume de l’exportation de bœuf

Faux petit poucet à côté de l’Argentine et du Brésil, l’Uruguay est un véritable champion de l’exportation de bœuf. Il leur fait même la leçon avec son système de traçabilité individuelle et le niveau des prix du bétail, les plus élevés du Mercosur. Enquête à Colonia et à Rosario.

Nichée entre ces deux géants que sont l’Argentine et le Brésil, la petite République orientale de l’Uruguay est tout sauf une naine du marché mondial du bœuf. La qualité et l’étendue de ses prairies, ainsi que son climat tempéré, sont propices à l’élevage allaitant extensif, avec des coûts bas, tandis que sa stabilité économique et son accès direct à l’océan favorisent les exportations de viande. Dans ce pays, les éleveurs travaillent souvent à cheval. L’élevage bovin y est une activité fondamentale sur les plans économique et culturel car elle est constitutive du sentiment d’appartenance nationale. Tout ça fait de l’Uruguay un cador sur le marché international du bœuf avec 520 000 tonnes exportées en 2022, selon l’institut national uruguayen des viandes.

La filière uruguayenne passe de facto pour la meilleure élève au sein du Mercosur au niveau sanitaire (statut de pays libre de fièvre aphteuse avec vaccination), traçabilité (individuelle et exhaustive depuis 2007), impact socio-environnemental (déforestation quasi nulle), prix du bétail, nombre de débouchés à l’export (60 dont l’UE comptant pour 1), attractivité des investissements étrangers… ; jusqu’à la loi sur les sols, l’Uruguay est un exemple de politique publique appliquée dans une région où l’État brille souvent par son absence.

L’Uruguay est bien plus que la vitrine du Mercosur. C’est tout simplement le pays le plus « branché » élevage bovin viande du monde avec un ratio cheptel bovin/population humaine de 12 millions de têtes de bétail pour 3,5 millions d’habitants. Presque quatre pour un, quand même.

L’accès à la mer facilite la logistique

« La filière s’est naturellement développée à l’export, raconte l’abatteur Eduardo Urgal, directeur de la société Ontilcor. L’accès à la mer par le port de Montevideo est notre gros atout logistique et en interne, les distances sont courtes (tout sauf un détail à l’heure d’évaluer l’impact environnemental et le bien-être animal, NDLR). Et puis, poursuit Eduardo, notre climat nous permet d’élever à l’herbe des bovins de race britannique dont la viande est prisée sur le marché mondial, surtout depuis que nous sommes sortis de l’ombre de l’origine argentine, au niveau image, en captant des valeurs identiques, voire supérieures », assure-t-il.

La comparaison avec l’Argentine est inévitable. À maints égards, c’est le jour et la nuit : lorsque, à Buenos Aires, le bœuf reste bon marché du fait de lourdes taxes à l’export et d’autres types de restrictions à la douane, à Montevideo, il y a longtemps que c’est devenu un bien de luxe… Les gouvernements successifs de l’Uruguay assument leur décision de ne pas brader le principal bien exporté par le pays au nom d’une supposée défense du pouvoir d’achat des consommateurs locaux, comme c’est le cas en Argentine. Ainsi, les éleveurs et les industriels uruguayens profitent des meilleurs prix du bœuf offerts dans le monde. Avec soixante destinations, ils ont de quoi faire !

Les multinationales de la viande l’ont vite compris, qu’elles soient brésiliennes (Marfrig, Minerva, JBS) ou chinoises (Foresun), elles qui s’y sont toutes installées. Une famille basque française aurait même ouvert son abattoir à Montevideo, il y a peu. « Une clinique », paraît-il.

Une traçabilité remarquable

Si, en Uruguay, le bétail vaut plus cher qu’au Brésil et en Argentine, ce n’est pas seulement parce que l’activité d’exportation de bœuf tire les prix vers le haut : d’abord, les coûts sont plus élevés eux aussi, et puis, les prix du bétail sont transparents grâce à un système de « boîtes noires » à l’abattage qui enregistrent toutes les opérations de pesage. Ce système est piloté par l’Institut national de la viande qui retransmet ces infos aux éleveurs en temps réel.

De plus, autre détail qui ne l’est pas, « tous les animaux abattus dans les abattoirs de l’Uruguay sont nés sur notre territoire », affirme Eduardo Urgal. Selon lui, donc, il n’y aurait pas de trafic d’animaux provenant du Brésil, du Paraguay ou de l’Argentine dont la viande finirait dans les chambres froides du port de Montevideo. Une telle activité à l’export profite aux éleveurs du pays, certes… Mais ils peuvent aussi en faire les frais.

Par exemple, en septembre dernier, l’engraisseur Daniel Cutinella, qui finit 600 bovins par an (en deux cycles) sur son feed-lot posé sur un mamelon de terre ferme, à 8 kilomètres de Colonia, a dérouillé : « l’an dernier, le prix du lourd a été record en Uruguay, autour de 5,5 US$/kg carcasse. Mais soudainement, la Chine a suspendu ses achats. Le prix a plongé à 3,20 US$. Je me suis fait surprendre : sur ce cycle-là, j’ai perdu de l’argent », avoue-t-il. Forcément, c’est plus compliqué que ça.

L’abatteur Eduardo Urgal pondère l’explication de l’engraisseur lésé : « nous connaissons une forte volatilité des prix depuis la pandémie de Covid, mais ces soubresauts obéissent à plusieurs facteurs, sur le marché et au niveau climatique », dit-il. Ce fâcheux épisode illustre cependant le fait que l’insertion optimale de l’Uruguay sur le marché mondial constitue à la fois sa force et sa faiblesse.

La Chine aspire de tout

À présent, autant pour l’Uruguay que pour le Brésil et l’Argentine, le débouché chinois représente plus de la moitié de leur chiffre d’affaires annuel à la douane… alors que ce marché n’existait pas dix ans plus tôt ! lorsque tout passait par Hong Kong et le Vietnam, ces plaques commerciales dites « grises » gardaient l’apanage du commerce des abats.

À présent, « les Chinois achètent toutes les catégories et tous les morceaux, chose très convenante pour les abatteurs », note le jeune négociant en bestiaux, Martín Carbajal (lire plus loin). À titre de comparaison, il rappelle que les Européens limitent leurs achats de bœuf uruguayen aux morceaux nobles de la partie arrière, du frais destiné à l’hôtellerie et à la restauration.

« Les abatteurs basés en Uruguay recherchent surtout des carcasses de 270-290 kg et exigent un minimum de 240 kg », informe l’engraisseur Daniel Cutinella.

Dans ses enclos, il obtient un GMQ de 1,5 kg sur un cycle de 90 jours au cours duquel il applique trois régimes plus ou moins fibreux, au rythme de deux rations par jour, en laissant toujours dans l’auge un minimum de 1 à 3 % de restes « pour que même les animaux soumis du groupe puissent manger », indique-t-il.

Le jour de notre visite, le 19 avril dernier, le prix du lourd sur la place de Montevideo était de 4,2 US$/kg carcasse, c’est-à-dire 2,25 US$ le kilo vif, soit environ 1 200 euros pour un bouvillon de 480 kg.

Daniel, qui a perdu beaucoup d’argent en septembre dernier, s’est rattrapé trois mois plus tard en acquérant des bovins légers au rabais (1,80 US$/kg vif) tout en ajustant sa charge animale après la très grave sécheresse essuyée cet été austral en Amérique du Sud.

Un autre éleveur du district de Colonia, Álvaro Lezca, achète des veaux de 150 kg aux élevages laitiers du coin - des croisés hollandais britanniques, choix génétique fait pour faciliter les vêlages car ils naissent petits -, qu’il engraisse à l’herbe jusqu’à 380 kg et finit aux grains autour de 500 kg. Son cycle de repousse et de finition dure deux ans.

Depuis peu, Álvaro constitue son propre cheptel allaitant, à ce jour formé par 30 mères Angus rousses. « Je souhaite renouveler mes troupes moi-même avec un cheptel mieux adapté aux besoins de mes clients », explique-t-il.

Les éleveurs uruguayens ne perçoivent pas d’aides publiques, mais ils subissent peu le poids des normes réglementaires.

Chiffres clés

16,64 M d’ha de SAU, soit 90 % de la superficie totale du pays
14,3 M d’ha de surfaces en prairie
11,9 M de têtes de bovin
59,32 Md de dollars PIB de l’Uruguay en 2021
6,9 % du secteur agricole dans ce PIB
4,7 % de l’élevage bovin dans ce PIB
Sources : ministère de l’Agriculture de l’Uruguay, Banque Mondiale, Agrositio

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