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L’engraissement de veaux croisés prend corps

Face à la décapitalisation du cheptel bovin, les filières d’engraissement de veaux croisés se développent. Ces animaux répondent aux attentes de la restauration hors domicile et de la GMS.

Depuis dix ans, des filières d’engraissement de veaux croisés lait et viande se développent en France. « 20 % des veaux laitiers sont exportés, notamment en Espagne, avec des interrogations sur la pérennité de ce débouché en termes de bien-être animal et de décarbonation, explique Frédéric Guy, d’Idele, responsable du Cirbeef, Centre d’innovation et de recherche des bouviers. Par ailleurs, 25 % de la viande bovine consommée en France est importée, notamment pour la restauration hors domicile. L’idée, développée par les interprofessions lait et viande et les opérateurs, a été de répondre aux attentes de la RHD avec des veaux croisés issus du troupeau laitier, engraissés jusqu’à 16-18 mois pour 300 à 320 kgC et bien finis, fournissant une viande tendre, persillée et des portions adaptées et homogènes. »

Structurer les filières

La première initiative en 2003 a été le lancement par le Groupe Bigard de sa filière Herbo Pacte. Et le développement s’est accéléré depuis 2015, suite aux essais initiés par Interbev Bretagne et la chambre d’agriculture à la station de Mauron, dans le Morbihan, programme mené aujourd’hui par Idele au Cirbeef et soutenu par le Cniel. « En 2024, entre 40 000 et 60 000 bovins ont été produits dans ces filières », évalue Frédéric Guy d’après les données d’abattage. Le principal enjeu a été la structuration des filières, notamment la création d’ateliers de sevrage permettant de constituer des lots d’animaux homogènes prêts à engraisser. Le plus souvent, les veaux mâles ou femelles nés sur les élevages laitiers sont placés à deux à trois semaines chez des sevreurs, libres ou intégrés, qui assurent le sevrage et la préparation alimentaire et sanitaire (vaccinations, vermifuges…) à l’engraissement.

Les veaux sont ensuite engraissés de l’âge de 4 mois à 16 à 18 mois en général, parfois plus, par des éleveurs laitiers créant un atelier d’engraissement, souvent dans le cadre d’une restructuration, ou par des engraisseurs spécialisés allaitants. La production se fait sous contrat Egalim basé sur le coût de production et les prix du marché. En 2018, Interbev Bretagne a ainsi mis au point le protocole Ejen Du (bœuf noir en breton) de production de génisses limousin x Holstein abattues à 15,8 mois, 320 kgC, classées R-, avec 54 % de rendement carcasse. « L’idée est de valoriser localement des veaux laitiers nés et engraissés en Bretagne avec des aliments du territoire », explique Thierry Duval, président d’Interbev Bretagne. Plusieurs opérateurs (coopératives, négociants, industriels, fabricants d’aliments…) se sont saisis du protocole. « 5 000 à 5 500 bovins par an sont aujourd’hui produits selon le protocole Ejen Du par 60 à 70 éleveurs », évalue Pierre Simonet, directeur d’Interbev Bretagne.

Deux démarches chez Bigard

Le Groupe Bigard propose aujourd’hui deux démarches de veaux croisés qui s’adressent aux éleveurs laitiers (naisseurs-engraisseurs), aux engraisseurs spécialisés ou en diversification d’activité. Lancée en 2003, Herbo Pacte repose sur le croisement avec les races précoces Angus ou hereford facilitant une conduite herbagère. « Le but est de permettre aux éleveurs laitiers de valoriser des prairies non exploitées et de fournir la gamme des élaborés Charal avec des portions adaptées », explique Anne-Laure Vabre, responsable développement filière bovine du groupe Bigard. Les animaux (50 % mâles, 50 % femelles) sont engraissés à l’herbe, l’objectif étant un poids de 320 kgc à 25 mois.

Issue de l’expérience bretonne Ejen Du, le groupe a aussi initié en 2022 la démarche Opti Pacte de veaux croisés, des génisses et quelques bœufs, engraissés à l’auge et abattus à 16-18 mois pour 320 kgC. Les arrières fournissent des pièces calibrées pour la RHD notamment et les avants sont valorisés en produits élaborés. Les croisements sont surtout basés sur la race limousine, mais aussi les races charolaise, blanc bleu, inra95… « Notre objectif est de développer les deux filières qui sont aujourd’hui bien structurées, avec un maillage de naisseurs, naisseurs-engraisseurs et sevreurs, indique Anne-Laure Vabre. Le sourcing des veaux nourrissons est pour cela un enjeu majeur. Opti Pacte est surtout développée dans le Grand Ouest et progresse constamment. Herbo Pacte se développe bien aussi, dans l’ouest, les Hauts-de-France, le Grand Est et le sud. »

Répondre aux attentes de McDonald’s

En 2024, Moy Park Beef Orléans (Pilgrim’s Europe), fournisseur de McDonald’s, a signé un contrat avec la Cooperl sur une filière de génisses laitières croisées viande de 18 mois. « Le groupe contractualise depuis 2003 des jeunes bovins laitiers et allaitants et des génisses allaitantes, indique Salomé Rozier, responsable filière bovine et RSE de Moy Park Beef Orléans. En 2024, le groupe a choisi d’accompagner la Cooperl qui développait une filière de génisses croisées. Des génisses croisées répondent tout à fait au cahier des charges de McDonald’s qui recherche une viande à 20 % de matière grasse pour que ses steaks hachés restent juteux après cuisson. » Cinquante génisses par semaine, surtout croisées blanc bleu pour l’instant, ont été ainsi produites en 2024 par 48 éleveurs de la Cooperl, qui a son propre atelier de sevrage. Et l’objectif dès 2027 est de 6 000 génisses par an engraissées par 250 éleveurs. Une découpe spécifique a été élaborée, permettant à la Cooperl de valoriser en GMS et boucherie les cœurs de muscle, Moy Park Beef Orléans utilisant les autres parties des muscles. Les élevages doivent réaliser dès leur première année d’engagement un diagnostic Boviwell et un diagnostic Cap’2ER niveau 1. « La filière assure ainsi la rémunération des éleveurs et l’équilibre carcasse, souligne Salomé Rozier. Et elle répond aux attentes de McDonald’s en matière de qualité de viande et de durabilité de la filière. » Pour l’avenir, l’opérateur réfléchit donc à développer de telles filières de génisses croisées avec ses partenaires historiques.

Des débouchés aussi en grande distribution

Terrena, avec sa filière d’abattage Elivia et Denkavit, spécialiste des aliments d’allaitement, a lancé sa filière de veaux croisés Envol en 2021, soutenue par FranceAgriMer. « L’objectif est d’offrir un revenu complémentaire aux éleveurs laitiers, de relocaliser l’engraissement des veaux laitiers et de sécuriser l’approvisionnement de nos abattoirs », explique Daniel Manceau, responsable technique bovins à Terrena. Les veaux mâles ou femelles collectés en élevage sont confiés à Denkavit qui en assure le sevrage et la préparation sanitaire chez des producteurs de veaux de boucherie. Trois mois après, à 120 kg, les veaux sont envoyés chez des engraisseurs où ils sont élevés à l’auge. Les mâles sont abattus à 18 mois, 390 kgc, classés R =, les femelles à 18 mois, 340 kgc, classées R-. La production se fait sous contrat Egalim, avec un prix minimum. « Le prix de reprise est en moyenne de 5,30 à 5,60 €/kgc pour un mâle et de 5 à 5,40 €/kgc pour une femelle », indique Daniel Manceau. La valorisation se fait pour l’instant en GMS, notamment dans le cadre de la démarche Prim’herbe de Carrefour. 900 animaux seront ainsi produits en 2025, l’objectif d’ici à 2027 étant de 3 000 têtes par an. « Envol entre dans notre plan de création de 40 000 places d’engraissement, qui porte en majorité sur les races à viande, précise Daniel Manceau. Elle permet de diversifier le sourcing des ateliers d’engraissement. »

Entre 40 000 et 60 000 veaux croisés produits dans ces filières en 2024

D’autres opérateurs préparent des filières de veaux croisés

Au-delà des filières en place, d’autres opérateurs s’intéressent à la création de filières d’engraissement de veaux croisés. En Ille-et-Vilaine, la démarche Terres de Sources initiée par la Collectivité eau du bassin rennais et qui vise à protéger les zones de captage d’eau potable, travaille depuis deux ans sur une filière d’engraissement de veaux avec du pâturage, pour maintenir des prairies sur les zones de captage. Dans le Massif central, le groupe coopératif Altitude a, lui aussi, lancé une activité d’engraissement de veaux laitiers.

Frédéric Guy de l’Institut de l’élevage : « un engraissement à l’auge avec ou sans herbe »

 

<em class="placeholder">« Avec l’engraissement à l’auge, les marges brutes sont aussi bonnes que celles des engraisseurs spécialisés de jeunes bovins allaitants», assure Frédéric Guy.</em>
Frédéric Guy, responsable CIRBEEF chez Idele

« Les animaux engraissés sont plutôt les génisses, qui déposent du gras plus vite que les mâles, mais certaines filières engraissent aussi des bœufs. Les mâles castrés sont toutefois plutôt engraissés de façon traditionnelle jusqu’à 24-36 mois. Mais le Cirbeef va tester l’engraissement de mâles entiers croisés. Le système le plus courant est l’engraissement à l’auge, avec les fourrages, céréales, colza… de l’exploitation, avec ou sans herbe, avec en majorité le croisement limousin x Holstein, mais aussi l’utilisation d’autres races à viande ou mixtes (charolais, blanc bleu, Inra 95, normande, montbéliarde…).

 

Des filières proposent aussi une production intégrant du pâturage, avec alors l’utilisation majoritaire des races anglo-saxonnes Angus et hereford. Et le Cirbeef teste depuis trois ans, dans le cadre du programme Valoveau, la production de veaux croisés pâturant un quart à la moitié de leur vie. Cela permet de valoriser des pâturages inutilisés, mais avec un rallongement de la durée d’engraissement. Pour les éleveurs, ces filières permettent de sécuriser une partie de leur revenu. Avec l’engraissement à l’auge, les marges brutes sont aussi bonnes que celles des engraisseurs spécialisés de jeunes bovins allaitants. Et les simulations de Valoveau montrent qu’engraisser ses veaux croisés à l’herbe jusqu’à 17-18 mois améliore le résultat courant, avec des situations plus ou moins favorables.

En termes de travail, la période la plus délicate est celle assurée par les sevreurs. Pour les engraisseurs, le travail est plutôt plus facile qu’avec des jeunes bovins allaitants, d’autant plus qu’il s’agit souvent de femelles, que les animaux arrivent en lots, ont été conduits ensemble chez les sevreurs et ont une garantie sanitaire maximale. »

Encore du potentiel en volume pour ces filières

Face à la décapitalisation des cheptels allaitants et laitiers, les filières de veaux croisés semblent encore amenées à se développer. « Nous avons beaucoup de demandes d’éleveurs laitiers, des veaux croisés nécessitant une mise de fond beaucoup moins élevée que des broutards », indique Daniel Manceau de Terrena. Un facteur limitant pourrait toutefois être la décapitalisation du cheptel laitier. « Le développement est un peu plus difficile aujourd’hui du fait du manque de veaux laitiers, les flux d’expédition vers l’Espagne se poursuivant avec des prix attractifs », note Thierry Duval d’Interbev Bretagne. « Le volume de veaux croisés est celui qui se maintient le mieux, beaucoup d’éleveurs laitiers faisant aujourd’hui du sexage et du croisement », assure pour sa part Daniel Manceau. « 26 % des inséminations sur vaches laitières se font aujourd’hui en croisé », constate Frédéric Guy de l’Institut de l’élevage.

Rédaction Réussir

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