Les profondes mutations de la consommation de viande bovine
La chasse aux idées reçues. C’était un peu l’objet de la matinée de conférences proposée par Interbev lors du Sommet de l’élevage. Il fut question de consommation, de tendances, de comportements des consommateurs, de nutrition, de choses avérées contre allégations fantaisistes voire mensongères.
Peut-être contrairement à une idée reçue et largement partagée, la consommation de viande ne faiblit pas en France, bien au contraire. Mais l’arbre cache une forêt aux couleurs changeantes. Si la consommation globale augmente tendanciellement, c’est la composition de l’assiette qui varie avec à la fois une forte progression de la volaille, 3 % par an, un recul sensible des petits ruminants ovins et caprins, et une relative stabilité, ou courte érosion, de la viande porcine et bovine (respectivement - 0,2 et - 0,8 %) depuis 2008.
Des changements sont aussi à l’œuvre à l’intérieur du segment viande bovine. Ce sont le développement de la consommation hors domicile et celui de la consommation de préparations à base de viande hachée. Autrement dit, le morceau de bœuf, steak, entrecôte, coupé chez le boucher cède du terrain. Depuis 2008, la viande piécée a perdu 40 points au profit du haché — qu’il soit frais ou surgelé — ainsi que des préparations de viande hachée, qui ont gagné plus de 70 points « même si, lorsqu’on regarde en volume, ce dernier segment est encore quatre fois moins important en volume que le piécé », précisait Matthieu Repplinger, responsable de la section veau d’Interbev.
L’étude « Où va le bœuf » permet aussi de comprendre une partie de ces évolutions avec l’emprise de plus en plus sensible, de la restauration hors domicile sur le marché de la viande, changement d’habitudes obligent. Quand il représentait 20 % des débouchés en 2017, le secteur a vu sa part de marché atteindre 24 % en 2022, juste cinq ans plus tard. Dans le même temps, la part de marché du fast-food, à l’intérieur de ce segment, a aussi fortement progressé. Elle est passée de 24 % en 2012 à 34 % en 2023. De quoi accentuer le développement du haché quand on sait que le hamburger est la première recette choisie par les Français et qu’elle a progressé de 15 % entre 2023 et 2024… Mais en restauration, les pièces à griller tirent encore leur épingle du jeu.
Une sous-consommation des jeunes adultes
Ce qui change aussi beaucoup, ce sont les habitudes des nouvelles générations, avec une sous-consommation notable des jeunes adultes, la tranche 18-24 ans. Deux tiers de leur consommation de viande est faite sous forme d’ingrédients, c’est-à-dire dans des plats qui contiennent moins de 40 % de viande. De même, le temps consacré au repas ne cesse de reculer : 53 % des Français passent moins de 30 minutes à table contre seulement 38 % il y a 25 ans, et le snacking s’envole chez les plus jeunes. La moitié d’entre eux grignote plus de trois snacks par jour en France contre 64 % en Europe et 55 % aux États-Unis. Faut-il alors craindre un décrochage accentué des générations qui arrivent ? Matthieu Repplinger ne veut pas considérer ce creux comme une fatalité. « Nous n’avons pas d’éléments vraiment tangibles pour affirmer que c’est un effet générationnel. Ce peut aussi être lié à d’autres facteurs comme, tout simplement, le contexte économique de ce moment de la vie. Mais on voit aussi la classe d’âge suivante être plus consommatrice une fois installée dans la vie », fait-il remarquer.
Enfin, à ces tendances structurelles, il faut aussi ajouter les contraintes conjoncturelles, en particulier celle du porte-monnaie. Le budget est le principal frein cité pour 52 % des consommateurs, et jusqu’à 60 % pour les catégories socioprofessionnelles basses, devant le manque de temps pour cuisiner (27 %). Au final, si la viande reste associée à la notion de plaisir par les mangeurs, 81 % d’entre eux consomment de la viande de boucherie (bovine, ovine et porcine), et près des deux tiers des consommateurs sont sous la limite fixée par le plan national nutrition santé à 500 grammes de viande rouge cuite par semaine. Et 30 % sont même sous la barre des 100 grammes par semaine. Pourtant, la viande, et la viande bovine en particulier, a des atouts à faire valoir, notamment en termes nutritionnels, comme le rappelait la diététicienne Nicole Soulenq en précisant que les qualités des protéines issues des produits d’origine animale sont bien plus efficaces pour combler nos besoins physiologiques.
Mais ce qui préoccupe peut-être le plus, c’est que le recul de la production de viande bovine en France va bien plus vite que celui de la consommation. Quand le taux de couverture du marché français par les animaux français était de 90 % en 2022, il pourrait ne plus être que de 67 % dans 10 ans.
En volumes, le piécé représente encore quatre fois plus que le haché
Un quart de la viande consommée hors foyer
L’étude « Où va le bœuf » a bien montré la part croissante de la restauration hors domicile dans la consommation de viande bovine. La consommation totale est passée de 316 000 tonnes équivalent carcasse à 362 000 tonnes entre 2017 et 2022. Cette année-là, la viande piécée origine France représentait 7 % du volume contre 20 % pour la viande piécée importée. La viande transformée VBF 38 % et la viande transformée importée 35 % de la consommation du secteur. La restauration représente aujourd’hui un quart de la consommation de viande bovine en France, la distribution 38 %, les boucheries 11 %.
Des protéines bien plus efficaces pour combler nos besoins physiologiques
Dans 100 grammes de steak haché 5 %, on trouve 22 grammes de protéines. Quand il faut 165 grammes de tofu, 230 grammes de lentilles blondes, 2,3 kg de courgettes cuites ou six pots de yaourt nature pour arriver au même total… Sans compter que la biodisponibilité des éléments nutritifs est bien plus importante avec la viande (près de 92 % des acides aminés sont absorbés) et qu’elle favorise la satiété. Ou que c’est une source incomparable également de fer, de zinc et de vitamine B12.
Une étude récente menée à Clermont-Ferrand par l’ADIV est même venue confirmer, s’il le fallait, ces données en comparant quatre préparations avec des niveaux de viande différents. Étude qui conclut que pour couvrir « les mêmes besoins en quantité protéique, une diminution de l’apport en viande nécessite une augmentation très importante des calories et des quantités globales à ingérer. » Mais aussi que la qualité de l’apport protéique diminue avec la substitution de la viande, que le fer est bien moins absorbé par l’organisme et qu’enfin, en cas d’exclusion totale de la viande, la couverture en fer, zinc et de certains acides aminés « baisse significativement. »