Bien-être animal en élevage bovin en Argentine : aucune contrainte, sauf pour l’engraissement
Dans un contexte à maints égards hors norme européenne, la filière du bœuf en Argentine fait valoir pour le bien-être animal les atouts de ses systèmes herbagers sans stabulation. Une certification privée est proposée pour les feed-lots, la repousse et l’engraissement à l’herbe. Reportage à Buenos Aires.
Dans un contexte à maints égards hors norme européenne, la filière du bœuf en Argentine fait valoir pour le bien-être animal les atouts de ses systèmes herbagers sans stabulation. Une certification privée est proposée pour les feed-lots, la repousse et l’engraissement à l’herbe. Reportage à Buenos Aires.
En Argentine, les vaches et leur veau sont logés dehors toute l’année. C’est comme ça depuis deux siècles. La descendance des taureaux Angus importés d’Écosse au milieu du XIXe siècle s’est bien adaptée au climat tempéré de ces plaines bénies en herbe que sont les Pampas. Un système rudimentaire low cost – de l’herbe, un moulin, des clôtures et une maisonnette pour le péon – permet d’y produire du bœuf de qualité mondialement reconnue. Comment reprocher aux Argentins de travailler sans stabulation ? Quel fou leur imposerait d’en construire une ?
La question, aussi étrange soit-elle, se pose. Certaines « clauses miroirs » sont réclamées à l’unisson, en France, dans le cadre d’un éventuel accord de libre-échange avec le Mercosur. L’équivalence souhaitée, en Amérique du Sud, des normes de production de bœuf en vigueur en Europe fait l’objet de vifs débats au-delà des frontières de l’Hexagone. Or si, en France, les dimensions du logis des bovins sont imposées par la loi au mètre carré près, c’est chose impensable de l’autre côté de l’Atlantique ! Et puis, les distances entre la ferme et l’abattoir, en Argentine et au Brésil, font facilement 1 000 km ; de plus, les marchés du foncier rural et du négoce de bétail y sont complètement dérégulés ; les éleveurs ne touchent aucune subvention ; etc. ; et si, en Europe, les contraintes environnementales portées par la société civile font l’objet de contrôles réguliers avec pénalités à la clef, ce n’est pas du tout le cas en Amérique du Sud.
La campagne sud-américaine offre une image inversée de l’Européenne. Rien n’y est pareil. Le droit rural comparé y paraît déplacé, voire absurde. Les éleveurs argentins ne veulent rien savoir d’une transposition de la réglementation européenne sur leur sol. Vu leur loi du bien-être animal, on les comprend. L’expert attitré de l’Institut national de technologie agricole (Inta), Leandro Langman, nous reçoit au centre de recherche de Castelar, près de Buenos Aires. « L’autorité sanitaire argentine (le Senasa) est l’organisme compétent en la matière. Elle a créé une commission nationale du bien-être animal, dont un comité spécial bovins viande. »
Une loi bien-être animal en élevage en 2019
« La première loi argentine contre la maltraitance animale remonte à 1954. L’étourdissement à la massue a été interdit dans les abattoirs en 1970. Récemment, on a interdit l’usage d’objets pointus dans la manipulation du troupeau. Enfin, notre loi du bien-être animal de 2019 en a stipulé les conditions de base : l’absence de faim et de soif, d’inconfort, de douleur, de blessures ou maladies, de peur, et l’expression de comportements propres à l’espèce », raconte-t-il. « Mais cette loi n’impose rien de concret, ni au niveau des pratiques, ni au niveau des équipements, reconnaît le jeune chercheur. Aucune fourchette de valeurs n’est indiquée », souligne-t-il.
En Argentine, les vaches étant élevées à l’air libre, leur cadre de vie naturel, inutile de les loger, considère la loi. En cas de coup de chaud, il leur faut de l’ombre et par grand froid, un abri avec une paroi latérale, dit-elle. « Mais rien n’est obligatoire. On peut mieux faire », admet Leandro Langman. Le vétérinaire et conseiller d’éleveurs Fernando Ferrari, du syndicat des Confédérations rurales, confirme : « Nous ne sommes pas contrôlés [sur le volet du bien-être animal] », dit-il. « Mais on a fait beaucoup de progrès. On n’utilise plus de chiens, ni de chevaux dans la salle de tri. Les fanions ont remplacé les lances des gauchos. L’alimentation des bêtes est plus riche et toutes reçoivent un traitement antiparasitaire », énumère-t-il.
Pour rappel, en Argentine, les systèmes d’élevage et de repousse sont 100 % herbagers. L’engraissement est plus souvent réalisé en enclos, à base de rations de maïs et soja, dans des parcs d’enclos. Ces feed-lots font l’objet d’une réglementation spécifique définie à l’échelon local ou régional. « Les patrons des feed-lots doivent présenter aux autorités locales une étude d’impact environnemental pour obtenir leur certificat. La gestion des eaux usées et la prise en charge des animaux morts font partie de leurs devoirs. C’est le cas depuis 2017 dans la province de Córdoba », nous informent Fernando Storni et Solange Preuss, de l’association argentine des engraisseurs(1).
Une évaluation du bien-être animal en feed-lot
Celle-ci a créé un protocole d’évaluation du bien-être animal en feed-lot, fort de 28 critères. Il est unique au monde, selon eux. Dans la foulée, trois protocoles similaires ont été créés pour les systèmes de repousse à l’herbe, ceux d’engraissement herbagers semi-intensifs et extensifs, qui seront offerts aux engraisseurs dès cette année pour qu’ils puissent identifier leurs forces et points faibles dans le domaine du bien-être animal.
Cette initiative du privé argentin débouche sur des certifications privées potentiellement valables dans l’UE, comme celle, en projet, de l’espagnole Welfare Animal qui préparerait ces jours-ci sa version sud-américaine. Celle-ci aurait pour prérequis une équivalence a minima et adaptée des règles européennes, apprend-on en off.
De façon plus anecdotique, on teste en Argentine divers accessoires dans les feed-lots, comme des balais-brosses de voirie publique recyclés auxquels les vaches peuvent se frotter. « Elles font la queue », rapporte amusé Leandro Langman. On teste aussi des espaces de pâturage annexe aux enclos des feed-lots », dit-il.
« Vis-à-vis des conditions de transport, les cloisons dans les camions, le certificat d’aptitude du conducteur et un sol antidérapant sont obligatoires depuis 2022. La durée de transport reste en suspens », admet-il.. Le temps de jeûne maximal entre la ferme et l’arrivée à l’abattoir est stipulé : c’est 24 heures. Et si la viande des animaux est destinée au marché européen, c’est 12 heures. « Les abattoirs de l’Argentine qui fournissent l’UE en respectent la réglementation. Un responsable du bien-être animal est présent et on utilise un pistolet à tige perforante une fois l’animal immobilisé », assure le jeune scientifique de l’Inta.
Daniel Gardenal, transporteur de bétail : «L’état du camion doit être parfait»
En Argentine, Daniel Gardenal est le patron d’une flotte de 30 camions équipés pour transport de bétail. Il parle aussi du haut de ses 40 ans de métier. « Le soin des animaux transportés dépend de l’état du camion, qui doit être parfait, et de l’aptitude du chauffeur, qui doit savoir freiner et arrêter le véhicule en douceur. Nos clients sont exigeants, surtout les abattoirs qui exportent du bœuf en Europe. Ils me mettent la pression pour les livrer en 12 heures. La loi argentine, en revanche, n’impose aucune limite de durée ni de distance des trajets. Notre règle interne est de faire une pause toutes les heures et demie. » Les camions ont une capacité de 35 bovins, et de 60 à 65 bovins pour ceux à étage. À chaque niveau, des cloisons divisent quatre compartiments. Parmi les nouveaux équipements, des rouleaux ont été installés aux montants des portes arrière du camion pour faciliter l’entrée et la sortie du bétail ; et le matériau dont est fait la cage extérieure du camion est désormais en fibre de verre plastifiée au lieu de la tôle d’antan qui pouvait blesser. Le but est d’éviter les hématomes.
À noter
L’identification des bovins au moyen de puces électroniques ne sera obligatoire en Argentine, progressivement, qu’à partir du 1er janvier 2026, mais tous les animaux dont la viande est exportée vers le marché européen sont tracés individuellement depuis 20 ans.