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Moissonner le blé de l’interrang

Quitte à implanter des espèces cultivées entre les rangs, pourquoi ne pas les valoriser ? Nous sommes allés à la rencontre d’un vigneron qui concilie viticulture et céréales. Reportage.

Semer des céréales entre les rangs de vignes, ce n’est pas nouveau. Y cultiver du blé pour le moissonner, en revanche, est beaucoup moins banal ! C’est pourtant le cas de Christophe Sabatier, du domaine de Cassagnoles à Assas, dans l’Hérault, qui expérimente cet itinéraire depuis deux ans. « Puisque je semais des graminées pour couvrir le sol et apporter du carbone, et que le rolofaca fonctionne mal sur ces espèces, je me suis demandé s’il n’y avait pas mieux à faire, explique-t-il. Comme de récolter aussi les fruits du couvert végétal. » Une production annexe qui permet d’ailleurs une petite diversification, puisqu’elle est valorisée en pain par son coéquipier boulanger. La paille, quant à elle, reste sur place pour enrichir le sol.

Au niveau technique, le vigneron, qui conduit son domaine en agriculture biologique, agit comme s’il devait réaliser un engrais vert. Il implante le blé en semis direct au mois d’octobre, un rang sur deux. L’autre rangée est semée d’un mélange contenant une majorité de légumineuses (féverole et pois notamment), pour assurer le maintien de fertilité du sol. Il alterne ainsi tous les ans.

Guère plus d’inconvénients que pour un couvert classique

« J’utilise une variété ancienne de blé tendre appelée Touselle, indique le vigneron. Pour moi elle est intéressante car très rustique. » Un cultivar non inscrit au catalogue, que l’on peut trouver dans les réseaux associatifs de semences paysannes bio pour environ 400 €/t. Après le semis, la végétation suit son cours et ne demande pas d’entretien particulier, pas même un traitement fongicide ou insecticide. Seules les quelques émanations de cuivre et soufre pulvérisés sur la vigne servent de protection sanitaire. « Je ne cherche pas le rendement, donc cela ne cause pas de problème », poursuit-il. Le vigneron n’observe d’ailleurs pas de concurrence exacerbée due à cette culture. D’une part, parce qu’elle ne représente qu’un tiers environ de la surface, ensuite parce que le cycle est différent. Les besoins en azote du blé interviennent en février alors que la vigne est en dormance, et lorsque le mois de juin et sa sécheresse arrivent, le blé ne demande quasiment plus d’eau. Pour Christophe Sabatier, les inconvénients sont donc minimes, et le travail supplémentaire pour ainsi dire inexistant. L’hiver, le blé est rampant, et ne craint pas le piétinement lors de la taille. Les sarments sont simplement regroupés sur la rangée non couverte. Lorsque le printemps arrive, le vigneron passe dans les rangées de blé uniquement pour le travail du sol intercep, qu’il effectue avec un tracteur fruitier à voies larges afin de ne pas rouler sur la végétation. « Mais je compte construire un double portique, avec des disques crantés et des Écocep pour faire deux rangs en un seul passage », précise-t-il. Ainsi, les céréales peuvent se développer sereinement jusqu’à l’époque des moissons, début juillet. En revanche, le blé attire les sangliers à ce même moment, ce qui oblige le vigneron à anticiper la pose des clôtures.

Un semis plus dense pour augmenter le rendement

Pour la récolte, Christophe Sabatier s’est équipé d’une ancienne moissonneuse-batteuse de la marque autrichienne Wintersteiger, trouvée d’occasion. « Je l’ai achetée 4 000 € à un semencier. Une aubaine car ce genre de machine, neuve, coûte très cher », commente le vigneron. Avec une barre de coupe de 1,50 m et une largeur de 1,80 m hors tout, l’outil est parfait pour ses rangs de 2,50 m, même si le grain mérite d’être repassé dans la moissonneuse pour être nettoyé. Il aurait aussi été possible d’utiliser de petites batteuses chinoises, employées en Asie pour la récolte familiale de riz et aisément trouvables.

Cette année, Christophe Sabatier a atteint un rendement d’environ six q/ha. « C’est peu, mais la récolte de céréales a été faible dans toute la région et les sangliers ne m’ont pas aidé, justifie-t-il. À terme, j’aimerais arriver à dix q/ha. » Car le vigneron est encore dans sa phase de test, et peaufine sa technique. Pour s’améliorer, il compte travailler sur l’implantation, notamment en augmentant la densité du semis, qui était cette année de 40 kg/ha (équivalent à 110 kg/ha pour un champ complet).

La récolte représente plus de 4000 € de pain

Mais quoi qu’il en soit, il paraît utopique de vouloir flirter avec les rendements des céréaliers, surtout avec une telle variété, et sans entacher la productivité de la vigne. « Et puis la production intensive n’est pas mon idée », ajoute le vigneron. Pour ce qui est de la valorisation, inutile d’espérer faire de la marge en passant par la filière conventionnelle. Christophe Sabatier a opté pour le circuit court. « Avec la tonne de blé que je produis sur les huit ha de vigne, cela fait autant de pain panifié, expose-t-il. Pour le paysan-boulanger avec qui je travaille, cela représente un chiffre d’affaires de plus de 4 000 €. » Au-delà d’un complément non négligeable, l’initiative de Christophe Sabatier a le mérite de créer une voie nouvelle dans l’agronomie et la culture de la vigne. Gageons que cela débouche sur des pratiques plus efficientes pour les viticulteurs !

Voir la vidéo de la moisson du blé dans l’interrang sur www.reussir.fr/vigne

repères

Christophe Sabatier

Exploitation en nom propre

Superficie 12 ha de vigne (coteaux du languedoc et grès de montpellier), 20 ha de grandes cultures

Production 250 à 450 hl/an, revendiqués en vin de France

Certification agriculture biologique

Une approche cohérente dans la logique de rendements maîtrisés

"L’alternance entre les céréales et les légumineuses est intéressante : nous sommes ici dans un cas d’intensification agroécologique. Les couverts apportent des services au sol, et en même temps le vigneron optimise ses parcelles ainsi que sa rentabilité. Puisqu’il est dans une logique de rendements maîtrisés, son approche est cohérente. Mais attention, cela n’est possible que dans ce contexte qualitatif, ou bien si l’on a un sol suffisant riche. Le seul point critiquable de ce système reste l’eau, surtout dans le Sud-Est. En 2018 le printemps a été pluvieux donc il n’y a pas eu de problème, mais en année sèche cela pourrait être différent. Toutefois, le vigneron est entré dans un cercle vertueux : la couverture hivernale du sol évite le ruissellement, et la rétention de l’eau devient meilleure petit à petit grâce à l’apport de carbone présent dans les pailles."

Thierry Dufourcq, ingénieur en agronomie viticole à l’IFV Sud-Ouest

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