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Ce que dit la loi Evin sur le conditionnement des vins
Nathalie Tourrette et Matthieu Chirez, avocats, experts en droit viticole chez JP Karsenty & Associés constatent que l’association Addictions France semble intensifier son contentieux contre les étiquettes de boissons alcooliques contrevenant, selon elle, à la Loi Evin. Ils reviennent sur les règles et la jurisprudence récente.

L’étiquette relève-t-elle de la publicité selon la loi Evin ?
La loi Evin du 10 janvier 1991, aujourd’hui codifiée dans le Code de santé publique, encadre strictement la publicité pour les vins et, plus généralement pour les boissons alcooliques. En effet, les supports publicitaires et le contenu de la publicité sont limitativement autorisés et ce qui n’est pas autorisé est par principe interdit. La loi ne définissant pas la publicité qu’elle veut réglementer, les juges l’ont définie comme « toute forme de communication faite dans le cadre d’une activité commerciale, industrielle, artisanale ou libérale dans le but de promouvoir la fourniture de biens ou de services », ce qui est très large.
Jusqu’à présent, les étiquettes de vin n’ont pas posé de difficulté, d’autant que le ministre de la Santé à l’origine de cette loi avait lui-même assuré que la loi « n’avait pas pour objectif d’imposer la modification des étiquettes apposées sur les bouteilles contenant des boissons alcooliques ».
D’ailleurs, la loi prévoit que « le conditionnement ne peut être reproduit [dans une publicité] que s’il est conforme aux dispositions précédentes », c’est-à-dire lorsqu’il se limite au contenu autorisé par l’article L.3323-4 du Code de la santé publique.
On comprend de cette disposition que seul le conditionnement apparaissant sur un support de publicité est soumis aux dispositions de la loi Evin, et si ce n’est pas le cas, il n’est pas concerné par les restrictions de la loi. Cela a été confirmé sans équivoque par le ministre de la Santé, en 1995, qui, interrogé sur des étiquettes de vin d’une cave coopérative reproduisant le curriculum vitæ de demandeurs d’emploi, a indiqué : « si les bouteilles comportant cette mention sont seulement offertes à la vente, […], sans aucune publicité, rien ne s’oppose à ce que la mention en cause y soit portée ».
Or, l’association Addictions France, qui est à l’origine de tous les contentieux sur le fondement de la loi Evin, semble désormais remettre en cause cette position.
La perception du conditionnement par les juges évolue-t-elle ?
Accueillant les arguments d’Addictions France, les juges ont considéré que « le conditionnement est en effet un support de communication destiné à attirer le choix du consommateur par rapport au produit concurrent, situé à proximité immédiate sur le même rayon » et qu’il devait se limiter aux « indications objectives et techniques du produit énumérées à l’article L.3323-4 du Code de la santé publique ». Étaient en cause, des canettes de bière sur lesquelles figuraient des mentions et illustrations relatives au football.
Récemment, c’est la marque « Levrette » pour une bière et la mention « Emily in Paris » – en référence à la célèbre série – pour une boisson aromatisée à base de vin mousseux, qui ont été sanctionnées, les juges retenant que « le conditionnement, s’il est le support de mentions publicitaires, doit respecter ces mêmes limitations ».
Mais à partir de quand estime-t-on que le conditionnement est utilisé à des « fins publicitaires » ? Une marque de vin ou un dessin présent sur une étiquette sont-ils nécessairement des mentions publicitaires ? Assurément non, selon la loi qui envisage que le conditionnement puisse excéder le contenu limitativement autorisé à la seule condition qu’il ne soit pas reproduit dans une publicité. Dit autrement, de telles bouteilles peuvent être vendues mais ne peuvent pas figurer dans une publicité.
Quelle est la position d’Addictions France aujourd’hui sur les étiquettes de vin ?
On constate qu’Addictions France n’hésite pas à adresser des mises en demeure à des opérateurs de la filière visant les étiquettes de leur vin qu’elle considère comme non conformes à la loi Evin. Dans ces missives, les opérateurs sont priés instamment de revoir leurs étiquettes.
Ce qui est choquant, c’est que les étiquettes sont mises au pilori, même indépendamment de toute opération publicitaire autour du vin en question. Les étiquettes des vins se démocratisant pour se démarquer du classicisme qui était de mise, Addictions France a trouvé là un nouvel angle d’attaque. C'était par exemple le cas avec le vin « Rosé Garcia », dernière victime en date de cette interprétation de la loi Evin.
À l’heure où la consommation de vin ne cesse de baisser en France alors que pour autant les maux liés à une consommation excessive d’alcool ne suivent pas la même courbe, il serait bienvenu de se rappeler que la loi répressive doit s’interpréter strictement.
« Seul le conditionnement apparaissant sur un support de publicité est soumis aux dispositions de la loi Evin »
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