Aller au contenu principal

Prospective fruits et légumes : une étude imagine le futur de la filière à horizon 2040

Commandée par le ministère de l’Agriculture, une étude de Ceresco et AgroClimat2050 se livre à un exercice prospectif, en imaginant quatre scénarios d’ici 2040 et leurs conséquences pour la filière fruits et légumes.

<em class="placeholder">Plusieurs fruits et légumes posés sur une table en bois, incluant des tomates, carottes, courgettes, poivrons, de l&#039;ail, des oranges, fraises, bananes, des grappes de ...</em>
Les quatre scénarios imaginés par l'étude prospective s'intitulent « Souveraineté alimentaire européenne », « Prise de conscience écologique », « Du blé, du blé, du blé ! » et « Reconquête opportuniste ».
© Engin Akyurt/Pixabay

« Quels futurs pour les filières fruits et légumes d'ici 2040 ? » C’est à cette vaste question que tente de répondre une étude prospective, commandée par le ministère de l’Agriculture à Ceresco et AgroClimat2050. Réalisée en juin, elle a été publiée en septembre sur le site d’Agreste. Et qui dit exercice prospectif, dit scénarios. L'étude en dessine quatre, assortis de propositions d’axes stratégiques à la fin du rapport. Ils visent notamment à éclairer l’action publique. « Sans prétendre prédire l’avenir, ce qui n’est pas le but de l’exercice, la prospective peut nous permettre d’anticiper certaines difficultés à surmonter, sans occulter celles du présent », expliquent les auteurs.

Scénario 1 : Souveraineté alimentaire européenne 

Dans ce premier scénario, l’UE est confrontée à des difficultés d'approvisionnement croissantes sur la scène internationale. Elle choisit le protectionnisme et le patriotisme économique pour sécuriser sa chaîne de valeur alimentaire. L’aval investit dans l’amont et valorise une offre transformée.

Conséquences ? Les fruits et légumes « industrie » sont les grands gagnants de ce scénario, prévoient les auteurs. En effet, le pari productiviste est tenu : plus de volumes, moins d’importations des pays tiers et meilleure capacité d’export de la France vers l’Union européenne. Mais la réduction des gammes, la recherche de compétitivité et l’intervention de l’aval réorganisent les filières. Des productions sont abandonnées en France au profit d’autres pays de l’UE plus compétitifs. Les savoir-faire et spécificités régionales se perdent, de même que la diversité biologique. Avec la spécialisation des bassins, les monocultures sont vulnérables face aux effets du changement climatique.

Certaines terres sont mises en location et exploitées pour des entreprises aval (transformation, distribution voire restauration chaînée) par des intermédiaires (entreprises de travaux agricoles). De nombreux producteurs indépendants disparaissent et les organisations de producteurs se regroupent.

Le maraîchage se développe selon un modèle intensif, avec des techniques importées des Pays-Bas et d’Israël, pour réduire les pénuries de produits de contre-saison. Les vergers en monoculture dédiés à la transformation fleurissent. Le rôle des grossistes et des importateurs se réduit. Et la transformation permet aussi aux filières de valoriser les productions altérées par les aléas climatiques.

Scénario 2 : Prise de conscience écologique  

L’Europe est plongée dans une crise sanitaire et environnementale, sur fond de scandales et d’études épidémiologiques d’ampleur. Sous la pression de la société civile, elle place l’agroécologie au cœur de sa stratégie et déploie une politique incitative favorisant l’entrepreneuriat agricole.

Conséquences ? Les situations sont contrastées, selon les acteurs et territoires, et la transformation accélérée, engagée dès 2030, laisse des traces. En effet, un double investissement est nécessaire - mécanisation et formation à d’autres méthodes de production - mais cela n’est pas possible pour toutes les exploitations. Celles qui étaient déjà en bio profitent de la notoriété du logo, devenu une valeur refuge, dans un contexte d’anxiété générale. Certains producteurs conventionnels se convertissent. Progressivement, la bio devient la norme.

Pour les autres producteurs, il faut modifier les itinéraires techniques ou utiliser des produits de biocontrôle. Les entreprises de plus grande taille, spécialisées ou inscrites dans des filières de production majeures (ex. : tomates, pommes) ou structurées (légumes industrie) réussissent à évoluer. Parmi les petites filières, certaines sont dans des impasses techniques, d’autres s’en sortent parce qu’elles ont anticipé. Les producteurs de taille moyenne s’appuient sur les organisations de producteurs ; la transition est difficile. Les producteurs de plus petite taille s’orientent massivement vers des circuits permettant un lien fort avec le consommateur comme la vente directe ou le partenariat avec un distributeur avec une identification forte du producteur.

Pour les producteurs qui n’ont pas réussi cette transition, le renouvellement des générations laisse la place à de nouveaux profils, très techniques, qui reprennent les exploitations existantes.

La filière doit s’adapter à une variabilité plus forte des rendements et de la qualité des produits. Les outils de production, de transformation, de manutention mais aussi les contrats et les produits finis doivent en tenir compte. Il n’y a pas de mode de production gagnant. Des pôles de R&D s’implantent localement pour diffuser rapidement les innovations et bonnes pratiques.

Scénario 3 : Du blé, du blé, du blé !

Le contexte de ce scénario est celui d'une mondialisation accrue, avec des crises et même des polycrises. Affaiblis, les Etats lèvent des contraintes réglementaires pour rester compétitifs. L’agriculture de firme devient la norme et donne la priorité aux grandes cultures.

Conséquences ? Une chute drastique du nombre d’exploitations de fruits et légumes. Les vergers vieillissent car leur renouvellement n’a pas été planifié. Quelques productions résistent, comme les fruits et légumes dédiés à la transformation, ou les zones hyper-spécialisées compétitives (vallées du Rhône et de la Garonne). Certaines filières de transformation se délocalisent. En réaction, du maraîchage low-tech se déploie, mais reste minoritaire. Avec des flux d’importation croissants et un sourcing soumis aux aléas, les grossistes et importateurs deviennent des acteurs incontournables.

Scénario 4 : Reconquête opportuniste

Le contexte social est dégradé par la précarité. La France lance un plan ambitieux de conquête des fruits et légumes, avec un double objectif social et économique. Le changement climatique est vu comme une opportunité de gagner des parts de marché à l’Espagne et l’Italie, et la France veut devenir le premier fournisseur de vitamines naturelles pour l’Europe.

Conséquences ? Un renforcement du vivier de nouveaux producteurs, orientés plutôt vers des petites exploitations, quand certains, au profil plus technique, investissent dans des entreprises très compétitives. Avec l’arrivée de fonds via les organisations de producteurs (OP), des modèles d’entreprises agricoles de taille importante émergent. Les exploitations et modèles sont divers : exploitations intensives destinées à l’export, cultures dédiées à l’industrie, maraîchage péri-urbain… La France attire des investisseurs italiens et espagnols, et certaines vallées irriguées (Garonne et Rhône) voient le développement de grandes serres, certaines sur le modèle d’Alméria (Espagne), suscitant des oppositions de riverains et de producteurs historiques locaux. Par ailleurs, les producteurs indépendants, qui n’étaient pas dans des OP de grande taille, n’ont plus accès aux financements et perdent en compétitivité. Les importateurs se reconvertissent et certaines OP rachètent des acteurs de gros.

Des défis à relever en Espagne, Italie et aux Pays-Bas

À titre de comparaison, le rapport analyse trois pays. L’Espagne, qui exporte la moitié de ses fruits et légumes, tire parti de son haut degré de spécialisation et peut s’adapter à la demande. Parmi ses défis : désertification et perte de compétitivité face à de nouveaux acteurs. L’Italie bénéficie de la notoriété du « made in Italy » et d’une production très segmentée. Mais le leader européen des signes de qualité et du bio est très vulnérable au changement climatique. Les Pays-Bas (deuxième exportateur mondial agricole et agroalimentaire grâce à la réexportation, avec ou sans transformation) ont maximisé les rendements sur des surfaces limitées (exemples : intrants, atmosphère des serres, variétés…). Challenge : la raréfaction des terres (en quantité et en qualité des sols) et de l’énergie.

« Plus que de prospectives, nous avons besoin d’actions immédiates »

Daniel Sauvaitre, président d’Interfel et de l’Association nationale pommes poires (ANPP)

« L’étude rappelle l’importance du climat politique à l’échelle française et européenne pour aller dans un sens ou dans un autre. Quand on regarde l’état des lieux, les signaux faibles donnent déjà une orientation. Le scénario 2 correspond à ce que l’on vit dans la volonté politique et réglementaire qui s’exprime aujourd’hui.

À bas bruit, compte tenu des handicaps pour la production nationale, on freine la capacité de production française de fruits et légumes. On le voit avec la noisette par exemple. Malgré les efforts faits pour développer notre souveraineté, il n’est pas possible de rester compétitif à ce jour, par rapport aux concurrents qui ont accès à d’autres moyens de lutte. Il faut que les pouvoirs politiques et réglementaires acceptent le fait européen et mondial en donnant la compétitivité nécessaire au lieu de nous mettre en danger agronomiquement et économiquement. Nous devons accepter que les règles du jeu évoluent à l’échelle européenne au lieu d’être dans le frexit permanent.

Plus que de prospective, nous avons besoin d’actions immédiates et de moyens pour la mise en œuvre concrète du plan de souveraineté fruits et légumes qui vise 5 points d’autonomie en plus en 2030 et 10 points dès 2035.

Au sein de l’interprofession, l’autre dimension qui nous préoccupe est l’effritement lent mais tendanciel de la consommation de fruits et légumes frais face aux produits transformés. Nous menons cet autre combat culturel pour que le consommateur cuisine et continue d’acheter des produits frais. Il faut savoir si l’on veut du local ou de l’Uber Eats pour les fruits et légumes. Les arbitrages des consommateurs orientent la production. »

« Les nouveaux producteurs de kiwi ont un objectif de diversification, pas de massification »

Marie-José Sanz, coprésidente du Bureau national interprofessionnel du kiwi (BIK)

« Ce que nous voyons arriver en kiwi est un mix entre les scénarios 2 et 4. Cela nous inquiète, car aujourd’hui les kiwiculteurs exploitent en moyenne 3,4 hectares, et les nouveaux producteurs intéressés par notre culture ont un objectif de diversification, pas de massification. Nous ne voulons pas perdre la passion qui nous anime.

Pour l’avenir, en plus d’assurer la promotion du kiwi français et sa défense, le BIK mène la recherche-expérimentation pour assurer des itinéraires techniques sécurisés aux producteurs car sans productivité, pas de rentabilité, et donc une dynamique des vergers plus difficile à maintenir. Le programme expérimental du BIK nécessite un soutien public afin d’aller plus vite dans la recherche. D’autre part, nous œuvrons à couvrir les usages kiwi. Sur les 35 usages kiwi répertoriés en Europe, 8 n’existent pas en France bien que pour 6 d’entre eux les maladies ou ravageurs soient présents dans l’Hexagone. Et lorsqu’on regarde du côté des substances actives d’intérêt fort, seules 9 % d’entre elles sont autorisées en kiwi en France contre 56 % en Italie, 49 % au Portugal et 39 % en Grèce. »

Rédaction Réussir

Les plus lus

<em class="placeholder">Un bus déposant des saisonniers agricoles dans un verger de pommiers, en région Nouvelle-Aquitaine. </em>
La Pomme du Limousin développe des dispositifs pour recruter des cueilleurs locaux en Haute-Vienne et Corrèze
Avec ses « Points pommes », ses tournées quotidiennes de bus ou encore l’aide d’Action logement, la Pomme du Limousin s…
<em class="placeholder">Tests sur pommier au CTIFL</em>
Tavelure de la pomme : le biocontrôle n'est pas encore assez efficace 
Des alternatives à la référence cuivre-soufre sont testées en station pour lutter contre la tavelure du pommier. Pour l'instant,…
<em class="placeholder">Un verger de pommiers avec certains pommiers recouverts d&#039;argile, pour les protéger des pucerons. </em>
Pomme : trois stratégies de lutte automnale contre le puceron cendré

Il est possible de s’attaquer au puceron cendré dès l’automne, par défoliation précoce ou barrières physiques, deux méthodes…

<em class="placeholder">Un noyer dans un verger de noyers à Molières (Dordogne). </em>
Noix en Isère et Dordogne : face au carpocapse et à la mouche du brou, des essais de lutte alternative
Les groupes Dephy Noix de Grenoble et Noix du Sud-Ouest ont synthétisé leurs essais de lutte alternative contre le carpocapse et…
<em class="placeholder">Une table ronde sur la Structuration de l’amont, solution face à l’urgence des transitions, était organisée à l’occasion de la cérémonie des 60 ans du Cerafel.</em>
Bretagne : le Cerafel met en avant la force du collectif

Première association d'organisations de producteurs fruits et légumes en France, le Cerafel réaffirme, à l'occasion de ses 60…

Gironde : les filières asperges et fruits rouges réunies dans un seul salon

L’International asparagus days (IAD), dédié à l’asperge, et l’International berries days (IBD), consacré aux petits fruits…

Publicité
Titre
Je m'abonne
Body
A partir de 96€/an
Liste à puce
Accédez à tous les articles du site filière Fruits & Légumes
Profitez de l’ensemble des cotations de la filière fruits & légumes
Consultez les revues Réussir Fruits & Légumes et FLD au format numérique, sur tous les supports
Ne manquez aucune information grâce aux newsletters de la filière fruits & légumes