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« Nous voulons rester imposés au forfait »

Dans les Monts du Lyonnais, Alexandre et Laetitia Dubeuf ont une conduite d’élevage complètement atypique par rapport au système classique de leur région très intensif. Une conduite visant à plafonner le produit et compresser au maximum les charges.

Pour Alexandre Dubeuf, ce qui compte, « c’est le revenu qui reste à la fin ». « Brasser de l’argent ne m’intéresse pas », affirme cet éleveur du Rhône, installé à Meys en Gaec avec sa femme Laetitia. Tous ses choix sont basés sur un raisonnement économique : il calcule tout et cherche à faire des économies sur tout qu’il s’agisse de la technique, des assurances, des frais bancaires, etc. Sa logique poussée à l’extrême le conduit à plafonner son chiffre d’affaires à 82 200 €/UMO pour rester imposé au forfait (régime microbénéfice agricole). L’effet direct est de limiter les charges sociales de l’exploitation à 7 700 € au lieu des 25 à 30 000 € que le Gaec des prairies aurait à payer s’il était au réel. Mais cela l’amène aussi à avoir une conduite d’élevage complètement atypique par rapport au système classique des Monts du Lyonnais : une région où les terres se font rares et où les élevages, très limités en surface, tournent avec un système ray-grass maïs très intensif. Ce choix à contre-courant paye : sur la campagne 2016-2017, avec un prix du lait à 297,1 €/1000 l, le Gaec des prairies parvient à dégager un EBE de 76 511 €/UMO, soit près de deux fois la moyenne des élevages du réseau Inosys de la région.

Une baisse volontaire du volume de lait produit en 2016

L’exploitation est en zone de montagne, entre 450 et 600 mètres d’altitude. Elle produit 370 000 litres de lait avec une soixantaine de Montbéliardes à 6000 litres de moyenne économique. Pas de maïs : sur 59 ha, 52 ha sont en herbe dont une majorité en prairies temporaires. Les 7 ha restants sont cultivés avec de l’orge, quasiment le seul concentré consommé sur l’élevage. L’exploitation est à 95 % d’autonomie alimentaire. Le pâturage est valorisé au maximum compte-tenu des contraintes climatiques. La stabulation à logettes de 70 places est implantée au beau milieu du parcellaire. « Mes parents et moi avons fait le choix de la délocaliser en dehors du village quand nous nous sommes associés en Gaec en 2007 », souligne-t-il. Ses parents sont aujourd’hui à la retraite. Laetitia est entrée dans le Gaec au moment du départ de son père en 2014. Quand sa mère a pris sa retraite deux ans plus tard en 2016, le nombre d’UMO est descendu de 2,8 à 1,8. Plutôt que de franchir le seuil d’imposition au réel, le choix a été fait de réduire le chiffre d’affaires et de diminuer le nombre de vaches et le volume de lait produit.

Toute la première coupe ensilée à l’autochargeuse

« Je ne fais que poursuivre le système mis en place par mon père à la fin des années 90. À l’époque, quand il a abandonné le système ray-grass maïs avec une petite trentaine de vaches, c’était déjà pour rester au forfait », affirme cet éleveur modestement. Mais si l’exploitation dégage d’aussi bons résultats, c’est tout de même parce qu’Alexandre Dubeuf maîtrise très bien son système fourrager basé sur l’herbe. En général les vaches pâturent à partir de fin mars, les parcelles étant bien orientées. Trois semaines après, il commence à faucher. Les vaches tournent sur 4 ha au printemps avec un retour sur les parcelles tous les 10 jours (avec un complément à l’auge). « Dès que la première coupe est ensilée, j’agrandis la surface pâturée et passe en pâturage jour et nuit. Pour l’été, j’essaie de faire des stocks d’herbe sur pied ».

Toute la première coupe (plus de 40 ha) est ensilée à l’autochargeuse. L’ensilage d’herbe représente une bonne moitié des stocks de fourrages alors que l’élevage est équipé d’un séchage en grange. « C’est ce qui permet de produire du lait avec peu de concentré. Et notre séchoir n’aurait pas la capacité de sécher davantage de foin ». Il vise 35 à 37 % MS : « je fauche à plat, fane, andaine et récolte en 48 heures. J’ensile toujours de bonne heure pour récolter un ensilage de qualité, même s’il n’y a pas beaucoup de volume à ramasser. Avec le réchauffement climatique, on récolte entre 15 jours et un mois plus tôt ! » Alexandre réalise ensuite deux, voire trois coupes de foin. « Le foin reste deux ou trois jours au sol. J’aime bien le sécher un peu en andain, cela permet d’avoir un foin homogène plus facile à sécher avec le séchoir ». « La démarche peut paraitre surprenante avec un séchage en grange, mais elle a tout son sens pour réaliser rapidement les premières coupes au stade optimal et valoriser au top les suivantes dans le séchoir », explique Véronique Bouchard, ingénieur Réseau lait à la chambre d’agriculture du Rhône.

Du sorgho pour ne pas taper dans les stocks de foin l’été

Face aux aléas climatiques, l’exploitation dispose d’un atout parcellaire avec une moitié de terres argileuses profondes en partie basse, et une moitié en terres sableuses acides très filtrantes. Ceci lui permet de mieux résister en année sèche ou en année humide. Et grâce à un gros travail de drainage depuis des années (une vingtaine de kilomètres de drains !), les terres humides sont bien valorisées. La plupart des terres sont labourables : le Gaec a peu de prairies naturelles (15 % de la surface en herbe). Le côté investigateur d’Alexandre le pousse à expérimenter différents mélanges prairiaux sur ses prairies temporaires. « Il note dans un cahier tous les mélanges et les résultats obtenus parcelle par parcelle », souligne Véronique Bouchard. « Je mets toujours une base de ray-grass hybride pour sortir de l’herbe la première année. Il est associé plutôt à de la fétuque du dactyle, du trèfle violet et du trèfle blanc dans les terres humides, et plutôt à de la luzerne sur les coteaux, précise-t-il. Depuis 3-4 ans, je sème de plus en plus de légumineuses et j’ai réduit la fertilisation azotée à deux passages de 30 unités avant la 1re coupe et 30 unités avant la deuxième coupe en plaine, au lieu de 180 unités sur des graminées pures. Dans les parcelles avec luzerne, je ne fais qu’un passage de 30 unités avant la 1re coupe. Le rendement a un peu baissé mais la flore a totalement changé. » Les prairies temporaires ou permanentes ont une production moyenne de 8 à 10 tMS/ha.

Depuis quelques années, Alexandre a introduit du sorgho fourrager multicoupes en interculture (5 à 10 ha). « En 2012-2013, nous avions 80 vaches sur nos 59 ha, c’était limite. Le sorgho permet d’être plus robuste face aux aléas secs, et de ne pas taper dans les stocks de foin l’été. » Après l’orge, le sorgho est semé avant le 14 juillet : « je sème dense à 40 kg/ha. J’arrive à récolter une à deux coupes en vert ». Il peut aussi être implanté derrière une prairie fauchée une fois ou deux, fin mai, et pâturé 5 à 6 fois au fil (tous les 15 jours) avant la réimplantation d’une prairie en septembre. « Les vaches pâturent 4-5 heures. Le sorgho est appétent, mais il ne faut pas se louper et se laisser déborder. Il m’arrive quand c’est poussant de le faire pâturer jour et nuit. »

Une moyenne de cinq lactations par vache

Au final, Alexandre n’achète quasiment aucun aliment à l’extérieur : « 3 tonnes de correcteur azoté tous les deux ans, et 3-4 tonnes de maïs grain distribué l’hiver à raison de 500 g/vache/jour. » Les vaches consomment à peine 700 kg d’orge par an, au démarrage de lactation juste 2 à 4 kg d’orge par jour et 200 g de correcteur. Avec cette conduite peu poussée, elles font en moyenne 5 lactations et la plus âgée a 11 ans. Le point faible, ce sont les taux (32,4 TP et 40,4 TB en 2016), lié à un léger déficit en amidon du système tout herbe : « j’ai 1 à 5 € de pénalités dues au TP sur 3 à 5 mois de l’année ».

En revanche, les frais vétos sont très faibles (5€/1000 l en 2016 - trois mammites sur la dernière année). Avec un taux de renouvellement très bas (15 à 17 %), et des génisses vêlant à 24-26 mois élevées avec beaucoup de pâturages, le coût du renouvellement défie toute concurrence. « Elles vêlent avec un petit gabarit mais la croissance se fait plus tard jusqu’en 4e lactation, précise-t-il. Cela m’évite de nourrir pendant un an des bêtes qui ne produisent pas ». La repro est également très bonne : l’élevage a plus de vêlages que de vaches présentes ! Alexandre fait inséminer un tiers de ses vaches en charolais. Il pratique la monte naturelle en race pure. « J’achète tous les ans un veau de 3 mois à la Sicarev que je change à 28 mois. Je ne recherche pas le progrès génétique sur la production ». Le taureau est utilisé sur les génisses et en rattrapage sur les vaches. Car « les génisses sont logées dans un endroit sombre, les chaleurs sont moins visibles ». Décidément, Alexandre Dubeuf ne fait rien comme les autres !

Une autre façon de raisonner les investissements

« En étant au forfait, je n’investis pas pour 7 ans. L’achat du matériel, c’est un investissement sur une longue durée », explique Alexandre Dubeuf. Tout ce qui est traîné ou tracté est acheté neuf et en grande partie autofinancé (fourche, charrue, combiné pour le semis…), « des matériels assez évolués en largeur et capacité de récolte. Excepté l’autochargeuse (une 35 m3 DIN), l’objectif est de les faire durer toute la carrière ». Les tracteurs sont achetés d’occasion, également pour une longue durée d’utilisation. Le Gaec en possède quatre pour un seul chauffeur : « je veux être hyper-efficace pendant les récoltes d’herbe : j’ai un tracteur attelé à l’autochargeuse, à la faneuse, à l’andaineur, à la faucheuse, et je saute d’un tracteur à l’autre. Mais j’en ai un par exemple qui a 30 ans. »

Côté éco

Sur la campagne 2016-2017

374 000 litres de lait produits par 63 vaches

Produit brut : 470 €/1000l

Aides (DPB, couplées, ICHN, MAEC) : 107 €/1000 l

EBE : 307 €/1000 l en 2016-2017 - 270 €/1000 l en 2015-2016 – toujours 63 à 65 % EBE/PB

Coût de production (1) 393€/1000 l - 418 €/1000 l en 2015-2016

Appros surface + aliments achetés : 20 €/1000l (87€/1000 l cas type Monts du Lyonnais)

Mécanisation : 80 €/1000l (124 €/1000 l cas type Monts du Lyonnais)

(1) méthode institut-rémunération 1,5 Smic/UMO incluse.Source réseau d’élevage-nosys

Les idées fortes du Gaec des prairies

° Rester en dessous du seuil de 82 200 €/UMO de chiffre d’affaires
° Rechercher l’autonomie alimentaire maximale (95 %)
° Investir du temps pour observer, enregistrer, chiffrer et décider
° Faire primer le résultat économique sur tout le reste
° 300 000 litres livrés à Sodiaal pour une référence A de 450 000 litres (???)

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