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« Nous avons limité l'explosion du coût alimentaire sur l’atelier vaches laitières »

Quentin Bulcke, responsable de la ferme expérimentale de Grignon, témoigne des actions ayant permis d'économiser du tourteau de colza et du maïs épi. Malgré tout, la marge sur coût alimentaire s’est dégradée.

« Sur l’atelier vaches laitières, j’ai perdu mes repères, surtout depuis la guerre en Ukraine quand les prix ont flambé de toutes parts, plante Quentin Bulcke, responsable de la ferme expérimentale de Grignon, à Thiverval Grignon dans les Yvelines. Je ne sais plus quel prix maximal me fixer pour le tourteau de colza, car je n’ai aucune idée du prix du lait de la fin de l’année, et encore moins de 2023. » Alors pour éviter l’explosion du coût alimentaire, la ferme a dû s'adapter.

Se couvrir partiellement

La ferme travaille à 100 % avec des matières premières pour le correcteur protéique et est en filière non-OGM. Environ la moitié des besoins de tourteau de colza est couverte sur le marché à terme.

En 2021, les échéances pour le premier semestre 2022 étaient à 320 €/t. « L’an dernier, 320 € me semblait cher et je ne me suis couvert que pour trois mois. Mais contrairement à ce que j’espérais, les prix ont augmenté, et j’ai dû acheter au prix fort en avril. À 550 €/t. Heureusement, je m’étais couvert pour août à 298 €/t. J’ai perdu l’occasion de faire davantage d’économie - si je m’étais entièrement couvert. Mais si les prix avaient baissé à moins de 280 €, j’aurais été perdant. La couverture partielle, avec différentes échéances, permet de diluer les risques et d’éviter de trop se tromper. »

Des fourrages de qualité

La ferme a pu éviter une trop forte explosion du coût alimentaire grâce à une réduction des besoins en tourteaux. La récolte 2021 de luzerne a été très bonne : 8 à 13 tMS/ha selon les types de sol, en cinq coupes pour ensilage, avec en moyenne 0,9 UF et 22 % de protéines. « Cela nous a permis d’augmenter les quantités de luzerne distribuées et de réduire l’apport de tourteau de colza 35 classique. »

La récolte de dérobée (seigle forestier) avant maïs a également été de bonne qualité (près de 1 UF et 15-16 % de MAT). « Nous récoltons en fauche très précoce pour viser la qualité essentiellement. »

Constituer un lot de fin de lactation

La ferme de Grignon était en ration complète identique pour toutes les vaches traites afin de simplifier le travail. « Pour réduire les besoins en concentré, j’ai constitué un lot de fin de lactation, avec une ration moins concentrée en énergie et protéine. En plus, c’est mieux pour les animaux, qui engraissent moins et font moins de cétoses au vêlage suivant. » La ferme a ainsi pu éviter d’acheter un camion de 30 tonnes de tourteau de colza tanné, à un moment où il était vraiment très cher (plus de 600 €/t).

Vendre l’orge plutôt que l’autoconsommer

Pour faire baisser le coût alimentaire et profiter des prix élevés en céréales, Quentin Bulcke a vendu l’orge qui était prévue pour les vaches. « Avec cette vente, j’ai pu acheter du colza et des pommes de terre (1,2 UF en sec). Ces pommes de terre, c’était une opportunité près de la ferme, à un prix intéressant par rapport aux autres sources d’énergie, même s’il faut aller les chercher et les broyer avant de les mélanger à la ration. »

Économiser le maïs épi 2021

Avec l’achat de pommes de terre, le deuxième silo de maïs épi (récolte 2021) a été conservé pour l’hiver prochain. « Le maïs épi est acheté sur pied. Ce report de stock me permet de ne pas acheter une quinzaine d’hectares de maïs épi cette année, ce qui représente une économie non négligeable. »

Une politique de stocks qui s’avère payante

Tous ces ajustements ont été possibles grâce à l’augmentation de la capacité de stockage des fourrages menée depuis cinq ans. Six silos à plat ont été ajoutés. Aujourd’hui, il y a 17 silos, pour la luzerne (un silo par coupe), le maïs ensilage, l’ensilage de dérobée (seigle forestier), la pulpe de betterave et l’ensilage de maïs épi. « Pour faire face aux aléas climatiques, notre objectif est qu’il reste quasiment un an d’avance de luzerne quand la récolte démarre. Pour le maïs ensilage, il faut quatre mois de report minimum, six mois dans l’idéal. »

Fiche élevage

370 ha dont 200 ha de cultures de ventes, 100 ha de cultures fourragères (maïs, luzerne) et 70 ha de prairies permanentes pour les brebis essentiellement

190 vaches laitières prim’Holstein à 10 000 kg de lait, conduites en zéro pâturage

1,9 million de litres de lait vendus en filière non-OGM

Une concurrence forte des céréales

La stratégie de la ferme n’est pas de gagner en autonomie alimentaire. « Nous ne voulons pas mobiliser davantage de surfaces pour les fourrages car nous avons des terres à bon potentiel pour les cultures. Par exemple, nous ne cultivons que 6 hectares de luzerne, sur des terres peu profondes. Nous achetons le reste de la luzerne (50 hectares environ) à des voisins cultivateurs en bio. L’intérêt économique est encore plus vrai aujourd’hui que les cultures se vendent très cher. » Si la ferme n’avait pas cette opportunité d’achat de luzerne, elle ferait plus de maïs ensilage complémenté par du colza. « Mais nous serions alors plus dépendants des prix du colza et des conditions climatiques, car nous n’avons pas d’irrigation. »

La marge sur coût alimentaire s’est quand même dégradée

La flambée des charges alimentaires a été aggravée par une baisse du produit lait causée en partie par le changement de ration.

La marge sur coût alimentaire de la ferme expérimentale de Grignon s’est dégradée nettement à partir de février 2022. La production de lait par vache et par jour est passée de 31,5 litres en mars à 30,1 en juin, et les taux ont baissé. « La ration de ce printemps couvre les mêmes besoins en énergie que celle de l’hiver 2021-2022, mais elle est moins riche en amidon, pointe Quentin Bulcke. Elle est un peu moins concentrée en protéines. Et les chaleurs de juin n’ont rien arrangé ! »

En juin, la ration n’était pas assez concentrée. « En juillet, j’ai corrigé en augmentant la quantité de maïs ensilage, en baissant la pulpe et en augmentant le tourteau de colza. » Comme quoi, il faut veiller à ne pas faire trop d’économies qui dégradent le produit et donc la marge.

Attention au produit lait !

Le prix du lait (Laiterie Saint-Denis-de-l’Hôtel), relativement stable (environ 360 €/1000 l), n’a pas pu compenser la baisse de recette. Les années précédentes, le prix du lait de la LSDH était bien placé par rapport aux autres laiteries. Ce n’est plus le cas car en contrat tripartite, le prix évolue peu.

Le coût alimentaire total a augmenté de plus de 0,8 €/VL/j. « C’est une hausse importante, mais qui aurait été plus élevée d’encore 0,5 € environ si rien n’avait été fait », commente Quentin Bulcke.

Le coût d’opportunité est le vrai coût des fourrages

« Pour notre ferme, qui pourrait cultiver des cultures de vente à la place des fourrages, le vrai coût d’un fourrage est son coût d’opportunité. C’est le produit qu’il aurait dégagé s’il était vendu, divisé par le rendement du fourrage en tonnes de matière sèche par hectare. Par exemple, notre maïs ensilage revient entre 100 et 150 €/tMS », explique Quentin Bulcke.

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