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Jeunes installés : " le lait, on y croit ! "

S’installer quand les prix ne sont pas au rendez-vous, c’est difficile. Mais les jeunes de ce dossier gardent la foi ! Les perspectives en lait restent bonnes et ils croient en leur projet.

Les partenaires financiers du jeune installé sont sensibles à la maîtrise du projet et notamment aux aspects main-d'œuvre : comment le jeune organisera-t-il le travail ? Comment se rémunérera-t-il ?
© F. Mechekour/Archives

Nous n’avons pas encore les chiffres permettant d’analyser dans le détail les installations laitières pour la période 2013-2016, mais il semblerait, d’après les données de la MSA et les informations des laiteries, qu’il n’y ait pas d’effondrement des vocations. L’activité bovin lait reste intéressante, et plus ouverte que les bovins viande ou les grandes cultures. Le renouvellement des actifs est plus fréquent dans les exploitations laitières et les modalités d’accès mais aussi d’exercice du métier (de producteur de lait) sont plus diverses", signale Christophe Perrot, de l’Institut de l’élevage. Le lait, des jeunes le choisissent, par passion c’est certain, mais aussi en pleine connaissance de cause, après avoir vu la crise de 2009 et la nouvelle volatilité des prix à gérer. Suite à cette crise, le niveau d’installation avait chuté.

"Je connais pas mal de jeunes qui s’installent comme moi malgré la crise", raconte Stéphane Luet, jeune installé depuis 2015 dans le Maine-et-Loire, un des témoins de notre dossier. Les jeunes que nous avons interrogés nous racontent comment ils ont construit leur projet et se sont adaptés dans ce contexte difficile. Ils nous font partager ce qui les a marqués pendant leur parcours à l’installation.

On ne s’installe plus aujourd’hui comme hier. Sandrine Vacher, responsable mission régionale au Cerfrance Seine Normandie (Haute-Normandie et Île-de-France) et Daniel Caugant, responsable des marchés agricoles au Crédit mutuel de Bretagne, identifient trois problématiques principales que les jeunes installés doivent bien appréhender : la gestion de la volatilité des prix et donc la trésorerie ; la connaissance de ses coûts de production pour améliorer sa performance économique et, la main-d’œuvre, c’est-à-dire l’organisation du travail et la rémunération du jeune.

Intégrer la volatilité des prix et se constituer une réserve

"Dans un dossier installation, ce que nous apprécions, c’est la capacité du jeune à bien cerner l’exploitation qu’il reprend : ses avantages et inconvénients. Et sa capacité à se projeter pour conserver les éléments positifs et améliorer les points négatifs", explique Daniel Caugant. "Les CDOA sont sensibles à la capacité du jeune à défendre son projet, à prévoir tout ce qu’il faut pour le réussir, et à s’entourer tout en restant responsable de son installation. Il faut que ce soit son projet et pas celui des parents", souligne Sandrine Vacher.

"Faut-il tout faire, tout acheter ? Les jeunes d’aujourd’hui commencent à comprendre que la réponse est non, estime Daniel Caugant. Au début, il vaut mieux se concentrer sur le suivi du troupeau pour bien caler la technique et se constituer ses repères personnels. Mieux vaut placer son énergie et son temps dans des tâches stratégiques comme la reproduction plutôt que dans le travail des champs. Aujourd’hui, c’est le travail de gestion du troupeau et l’administratif qui payent. On n’achète pas tout, tout de suite. L’exploitation se construira par étapes. Une installation en lait, c’est une histoire d’étapes."

Bien connaître l’exploitation et ses coûts

"On remarque que c’est mieux quand les jeunes ont eu une autre expérience ailleurs avant de s’installer. Cela leur permet de prendre des idées pour leur future ferme, mais aussi de prendre du recul, de réaliser l’importance de se préserver une vie personnelle riche. Il faut que les jeunes aient de l’ambition ; qu’ils n’aient pas juste envie de produire. Aujourd’hui, être agriculteur c’est anticipé, comprendre le monde dans lequel on vit et ses évolutions", souligne Sandrine Vacher.

"Le problème des prix très fluctuants est nouveau en production laitière. Et celui des prix bas qui durent depuis plus de deux ans est aussi une nouveauté. Il est donc conseillé de partir sur des hypothèses de prix des grandes cultures et du lait dans des fourchettes basses, pour établir son étude prévisionnelle. Et d’adopter une posture prudente dans ses choix d’investissement", résume Sandrine Vacher. Autrement dit, il vaut mieux dimensionner son projet pour être en mesure de sortir du résultat les bonnes années, dès le début de l’installation. "S’il y a une bonne année, il faut que le jeune puisse faire une réserve de trésorerie, surtout en installation individuelle où le fonds de roulement n’est pas encore constitué."

Bien se rémunérer

"Aujourd’hui, les jeunes installés doivent être capables d’appréhender leurs coûts de production, coût de revient, prix d’équilibre. Ce travail de gestionnaire doit les aider dans leurs choix stratégiques : faut-il arrêter un atelier, diversifier ?…", expose Sandrine Vacher. Faut-il prendre les 200 000 litres que me propose la laiterie ? Faut-il toujours vouloir agrandir quand on s’installe ? La question se pose dans un contexte où les montants d’installation et d’investissement grimpent, et où on cherche à réduire les charges pour être plus compétitif, et où la problématique main-d’œuvre se pose de plus en plus. "Ne pourrait-on pas avoir des projets d’installation avec de la spécialisation et de la simplification en vue d’améliorer la rentabilité ?", questionne Sandrine Vacher.

Les deux conseillers développent quelques repères économiques pour baliser la réflexion.

Le niveau d’investissement. "En Bretagne, le montant moyen d’investissement à l’installation est de 500 000 euros en production laitière", indique Daniel Caugant. Derrière ce chiffre, il existe une grande variabilité de situations : reprise en individuel, de parts en société, avec ou sans investissement… "L’objectif est de ne pas dépasser 800 euros/1 000 litres pour une reprise avec investissement et avec stocks. Mais on peut être au-dessus si c’est justifié, c’est-à-dire si les investissements amènent une plus-value. Et on peut être inférieur à 800 euros mais être encore trop cher par rapport à ce que vaut vraiment l’exploitation à reprendre. Les références économiques sont toujours à relativiser au cas par cas." Les économies d’échelle étant difficiles à réaliser en lait, cette valeur objectif ne varie pas selon le volume de lait. Enfin, "il y a souvent une part de valeur patrimoniale dans le prix. Si cette valeur est élevée, ce ne sera pas un problème pour le repreneur si elle continue de progresser dans le futur".

Attention à l’endettement !

L’endettement. "Il ne faut pas dépasser 60-70 % d'annuités/EBE. Ce qu’il faut surtout que le jeune ait en tête, c’est une fourchette basse et haute d’EBE, et ce qu’il en fait. Il faut qu’il prévoie sa rémunération. C’est trop souvent un point laissé de côté, ou bien les prétentions sont trop basses (le Smic). Il faut aussi que le résultat permette de faire de la trésorerie pour financer du stock et pour autofinancer de petits investissements, développe Sandrine Vacher. Trop allonger les durées de remboursement n’est pas une bonne solution. Il vaut mieux rembourser assez vite, pour se laisser la possibilité de passer à un autre projet à moyen terme. Il existe des solutions pour ne pas investir à 100 % tout seul (lire le dossier de Réussir Lait, n° 288, février 2015)."

"Notre indicateur, c’est environ 75 €/1 000 l d’annuités, avec des écarts suivant le type d’installation là encore, indique Daniel Caugant. On est prudent, car on veut que le jeune conserve une marge de sécurité, pour garder la possibilité de saisir de nouvelles opportunités. Nous conseillons aux jeunes installés de modérer les niveaux de remboursement afin qu’ils puissent effectuer des prélèvements privés mensuels. Quand la mise de départ est trop élevée, on peut trouver des astuces de location, de montage en GFA, ou de portage financier pour réduire le coût de l’installation." La banque peut financer du foncier sur vingt ans.

Chercher la performance économique

L’EBE prévisionnel. "La référence est de 150 euros/1 000 l. Mais avec robot de traite, on retiendra plutôt 130 euros", pointe Daniel Caugant. C’est surtout le coût du matériel qui peut peser sur une installation. Il faut être vigilant sur les charges de mécanisation hors atelier lait (travail du sol, outil de précision et de récolte). "Faut-il être propriétaire de tout ? Faut-il tout reprendre au cédant ? Le jeune doit se poser ces questions et envisager les solutions pour optimiser son EBE prévisionnel. L’aspect coût de main-d’œuvre est impactant sur les équilibres surtout lors de l’arrêt de l’entraide intergénérationnelle."

L’EBE/produit. "Un ratio de 30 % est un critère de référence. Mais on peut être à 25 % quand il y a beaucoup de charges de structures liées à un besoin en personnel plus important qui se justifie, comme en transformation vente directe par exemple", indique Sandrine Vacher.

Attention aux montants de reprise !

Des installations très diverses

"Depuis le début des années 2000, il y a moins d’installations. Et le vieillissement de la population des exploitants en élevage bovin lait se poursuit depuis le début des années 2000, lorsque la pyramide des âges avait été fortement rajeunie par la politique de pré-retraite-installations", expose Christophe Perrot, de l’Institut de l’élevage (1).

"On comptait 1 235 installations par an en bovin lait sur la période 2010-2013 de chefs et coexploitants de moins de 40 ans ayant plus de dix ans d’écart avec le chef (ceux qui relancent l’activité pour une longue durée), contre 1 750 par an sur 2000-2009. De façon plus surprenante, comme la baisse du nombre d’installations est plus lente que la baisse du nombre d’exploitations, le ratio de remplacement s’est amélioré : 1 installation pour 2,89 départs contre 1 sur 3,75 pour la période 2000-2009." Le lait continue donc d’attirer des jeunes.

"Les installations reproduisent pour une large part la diversité des structures et des systèmes laitiers français : dans le cadre familial ou hors cadre, seul, en couple, avec des salariés ou des associés, sur des petites ou des grandes structures… Même si on remarque une tendance vers de plus en plus d’installations en société, et que les jeunes (moins de 40 ans) s’insèrent dans des exploitations dans lesquelles la main-d’œuvre, plus abondante (2,8 UTA contre 2,1 en moyenne), permet de mieux gérer l’astreinte."

L’analyse des actifs qui travaillent dans les exploitations laitières montre que la proportion des sociétés avec des associés qui ne sont pas tous apparentés n’augmente plus voire régresse. En parallèle, le salariat progresse. "C’est sans doute lié à la complexité de fonctionnement des Gaec entre tiers et à un effet de la politique des quotas qui s’estompe. Un associé part et n’est pas remplacé par un nouvel associé, mais par un salarié."

(1) L’Institut traite les statistiques publiques sur les structures - essentiellement Agreste recensements agricoles et enquête structures 2013 (bientôt 2016) pour la construction de l’Observatoire des élevages laitiers mis en place par le Cniel.

Graphique ????

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