"Je cherche à maximiser la teneur en protéine de mon herbe"
Jean-Pierre Millet, éleveur dans l'Aisne, mise sur le pâturage tournant, l'alternance pâturage fauche, des fauches décalés... pour tirer qualité et rendement de ses prairies.
Jean-Pierre Millet, éleveur dans l'Aisne, mise sur le pâturage tournant, l'alternance pâturage fauche, des fauches décalés... pour tirer qualité et rendement de ses prairies.
La ferme de Jean-Pierre Millet se situe en Thiérache, région bocagère de l'Aisne. Elle compte 65 vaches, dont un tiers de Normandes, pour 33 ha de prairies permanentes, 11 ha de prairies temporaires, 6,7 ha de maïs ensilage et 4,2 ha de maïs épi. "La ferme a toujours manqué de surface. Le système a donc toujours été intensif à la surface", plante l'éleveur. Quand il s'est installé en 1993, il était dans un système maïs-soja. "En 1994, alerté par mon conseiller de gestion, j'ai réalisé que mes coûts alimentaires étaient élevés, bien supérieurs à la moyenne du groupe. J'ai trituré mes chiffres et constaté que mon rendement en herbe était insuffisant (environ 6 tonnes de matière sèche par hectare). Il ne couvrait pas les besoins des animaux. Il fallait que je retrouve une cohérence dans mon système pour améliorer mon coût alimentaire et ma marge." Parallèlement, l'éleveur s'est interrogé sur sa monoculture de maïs. Les rendements se tassaient. Le sol était compacté (sols limoneux argileux). Les adventices devenaient difficiles à gérer.
Aujourd'hui, Jean-Pierre Millet est satisfait des changements qu'il a opéré depuis une vingtaine d'années. "Son coût alimentaire le place dans le quart supérieur du groupe", situe Alice Hazebroucq, conseillère du contrôle laitier de l'Aisne.
Moins d'achats de tourteaux, plus de coproduits
Chez Jean-Pierre Millet, l'amélioration du coût alimentaire est passée par le développement de l'autonomie alimentaire. "Je voulais me libérer d'un système qui contraint à acheter chaque année des semences, des produits phytosanitaires et du correcteur. J'ai calculé qu'en gros, chaque hectare de maïs ensilage condamne à acheter 3 à 3,5 tonnes de tourteau de soja pour corriger la ration. La première chose à faire pour gagner en autonomie, c'est de réduire le déficit en protéine de la ration, et donc le maïs ensilage. On peut alors rééquilibrer la ration avec des aliments moins concentrés en protéines." L'objectif de Jean-Pierre Millet est d'amener un maximum de protéine par les fourrages, notamment avec son herbe ensilée. "Pour corriger le manque d'énergie, je produis du maïs épi et j'achète de la pulpe de betterave surpressée (59 t MS). ça revient moins cher qu'un système maïs ensilage-soja."
Limité en surface, il n'a pas pu aller jusqu'à se passer de maïs ensilage. "Avant, j'en cultivais 12-13 ha. J'ai réduit ma sole de maïs d'environ 2 ha (passés en prairies temporaires) et surtout j'ai substitué du maïs ensilage par du maïs épi." La distribution de tourteau de soja est passée de 2,5-3 kg par vache et par jour à 300 g. Grâce aux légumineuses de ses prairies, l'éleveur achète à peine 10 tonnes d'ammonitrate par an, qu'il amène au printemps pour étoffer la première coupe.
Des prairies RGH ou dactyle avec trèfle violet
L'éleveur a procédé à plusieurs changements. Il a fait entrer en rotation le maïs (ensilage ou épi) avec les prairies temporaires. "Mon objectif est de garder quatre ans une prairie productive, pour amortir le coût de l'implantation, et bénéficier d'un effet structurant du sol."
Il a introduit des légumineuses dans ses prairies temporaires, pour produire de la protéine. Les prairies temporaires sont dédiées à la fauche : quatre coupes, à six-sept semaines d'intervalle. Elles sont valorisées en ensilage d'herbe. L'éleveur produit aussi 20 tonnes de foin bien fibreux. Jean-Pierre Millet a opté pour une association TV-RGH ou TV-dactyle (12,5 kg et 12,5 kg). "Le dactyle résiste mieux au temps plus sec en été, continue de pousser au-delà de 25°C, et remonte moins vite en épi après la première coupe que les ray-grass. Par contre, comme il manque de sucre, j'ajoute un conservateur pour l'ensilage. J'ai été tenté de ne mettre que du dactyle, mais finalement c'est mieux de ne pas mettre tous ses œufs dans le même panier. J'ai essayé un mélange RGH dactyle et TV, pour combiner les avantages et les faiblesses des espèces. Mais le dactyle met trop longtemps à s'installer. Je mets du dactyle après un maïs plutôt précoce ; l'implantation ne doit pas se faire après le 30 septembre. Et je mets du RGH pour des implantations plus tardives (jusqu'au 15 octobre)."
Pâturage tournant et alternance pâturage-fauche
"J'ai amélioré la gestion du pâturage des élèves, pour maximiser les surfaces à faucher, et produire un maximum d'excédents de qualité pour les vaches !", résume Jean-Pierre Millet. En effet, les élèves ont accès à 28 ha de prairies permanentes, alors que les vaches traites ne pâturent que 5 ha attenants à la stabulation (quatre parcelles). "Rien ne sert de produire des céréales ou des couverts, si on ne valorise pas déjà bien ses prairies. Mon objectif est de produire un maximum de protéine à l'hectare." Jean-Pierre Millet estime que le rendement de l'herbe est d'environ 10 t MS/ha pour les prairies permanentes et 12 t MS/ha pour les prairies temporaires. "Je pense être arrivé à un optimum. J'atteins mes objectifs de qualité : 14% de MAT en première coupe de prairie permanente, et en troisième coupe de prairie temporaire."
L'éleveur alterne pâturage et fauche sur les prairies permanentes. "L'alternance permet de maximiser le rendement et la qualité. Après un pâturage, et six à huit semaines de repousse, je fauche, et la repousse derrière est vive et régulière. Du coup, au pâturage suivant il y a moins de refus, moins de piétinement à certains endroits, moins de problèmes d'adventices. Donc même si ces fauches ne font pas toujours de supers rendements, elles ont beaucoup d'intérêt dans le rendement global de la prairie et sa pérennité."
Le pâturage est tournant. En moyenne, une parcelle fait 1,5 ha. "Je fais un planning de pâturage qui tient compte du chargement en ares par UGB (25 ares/UGB au printemps), et de la pression de pâturage. Les élèves restent huit à dix jours sur une parcelle. J'essaye de les sortir tôt, au 1er avril. Et au plus tard avant le 10 avril."
"Je fauche un peu tout le temps"
Un changement très important a été la création d'un décalage dans les dates de fauche dès le début de la saison. "Avant, quand je commençais la saison, je faisais un lot de parcelles à pâturer et un lot à ensiler. J'ensilais 20 hectares en une fois au printemps. Pour le travail, c'était bien : en trois jours c'était fait. Mais on n'optimise pas ainsi. J'ai connu des saisons où mon cycle de pâturage fini, l'herbe n'avait pas encore bien repoussée dans les parcelles fauchées. Manquer d'herbe en période de pousse : un comble ! Donc maintenant je fais deux lots de prairies de fauche en début de saison. Je fauche le plus précocément possible la moitié des surfaces (début mai), même s'il y a moins de rendement. Quand je vois les premiers épis de vulpin, ça veut dire qu'il faut se tenir prêt à y aller. La qualité est très bonne (plus de 14% de MAT). La repousse est rapide et étoffée (tallage des ray-grass et dactyle). Je remets plus rapidement ces parcelles dans le planning de pâturage, quitte à faire tourner plus vite les vaches. L'autre moitié des surfaces est fauchée au stade optimum, environ dix jours plus tard. Pour le reste de la saison, ce décalage demeure. Il y a en permanence à la fois des prairies permanentes pâturées, en cours de récolte, et en cours de repousse."
"Avoir un salarié à mi-temps a été déterminant pour la réussite de mon système. Aujourd'hui, le fait qu'il soit parti constitue une grosse contrainte", souligne l'éleveur. Avoir son matériel en co-propriété, a aussi été déterminant. En 2000, Jean-Pierre Millet a acheté, en co-propriété avec son frère, une vieille remorque autochargeuse. Le test s'est révélé très concluant ! "En 2003, nous avons donc changé de remorque autochargeuse. Plus moderne, elle hâche plus fin, a une plus grande capacité (50 m3 DIN)... Nous avons eu de la chance de trouver ce matériel d'occasion. Notre remorque ne nous a pas coûté très cher (19 000 euros) par rapport à un matériel neuf (40 000 euros à l'époque)."
"J'ai laissé tomber les méteils "
"J'ai essayé un mélange triticale, pois et vesce, après un maïs ensilage. Le rendement était bon, mais je l'ai récolté trop tard, début juin, du coup la qualité était décevante (75 PDI), explique Jean-Pierre Millet. Puis j'ai essayé un mélange féverole, pois, vesce, pas non plus concluant. Le problème est la fenêtre météo trop étroite : dix jours de fenêtre c'est trop contraignant pour la région ! Il faut faucher quand le tuteur (triticale ou féverole) s'arrête de pousser et avant que le pois ne retombe. Deuxième souci, après mon méteil, j'implantais un ray-grass-hybride trèfle violet ou un dactyle trèfle violet. Mais fin juin début juillet, le jeune semis risque un coup de sec. Et en plus, il y a les adventices du précédent maïs qu'on ne peut pas désherber ! Enfin, je trouve le coût de la semence élevée (180 à 200 euros/ha) pour une culture sur un an, et par rapport au résultat en rendement et qualité. Le méteil est intéressant dans une rotation maïs - méteil - maïs, sur deux ans. Mais dans la région, il n'y a pas assez de température. Sans méteil, je sème ma graminée trèfle violet après un maïs ensilage. Le mélange commence à s'implanter sans être gêné par les adventices du maïs qui ne poussent pas à l'automne. Et au printemps, le mélange est suffisamment développé pour ne pas être concurrencé."
La ration hivernale
La ration de base hivernale, pour 25 kg de lait, est composé de 8,5 kg MS d'ensilage d'herbe, 4 kg MS d'ensilage de maïs, 1,5 kg MS de foin, 3,5 kg MS de pulpes surpressées de betterave, 1,5 kg MS de maïs épi, 1,5 kg MS de melrum à 28% de protéines (drêche de blé, soluble de blé, drêche de brasserie, corn feed), 0,8 kg de tourteau de colza, 0,3 kg de tourteau de soja.
Le concentré de production est réservé aux vaches en début et milieu de lactation : drêches de blé déshydratées à 26% de protéines (1 kg pour 3 l de lait).
Le tanin de châtaignier (70 g/VL/j dans la mélangeuse) permet de mieux valoriser l'azote soluble, selon Jean-Pierre Millet. "Le taux d'urée dans le lait est plus faible, environ 200 mg/l, et le TP et TB sont bons. En plus, les animaux ont moins de problèmes de santé."
La ration est efficace. Elle permet de produire 1,21 litre de lait à 7% de TP-TB par kilo de matière sèche ingérée.
L'essentiel
• 65 vaches laitières, dont un tiers de Normandes
- 7500 kg lait/vl/an
- 10 500 l/ha affectés à l'atelier laitier
- 14% de maïs ensilage dans la SFP
Coût alimentaire actuel
1,14 t MS/VL/an de concentrés : tourteaux de colza ou de soja, drêches de blé déhydratées, maïs épi, melrum.
114 g MS/l de concentrés
89 E/1000 l de coût alimentaire pour les vaches et 16 E pour les génisses, dont : 74 E de coût de concentré
15 E de coût fourrager (55 euros/ha de coût de récolte)