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Philippe Chalmin : « La période de tension des prix est derrière nous »

La Dépêche-Le Petit Meunier : la tendance baissière observée actuellement sur les marchés agricoles est-elle durable selon vous ?

Philippe Chalmin : Ce que l'on peut dire, c'est que l'on assiste depuis six mois à un fort recul des marchés des matières premières. Les produits agricoles, et notamment les produits des zones tempérées, sont plutôt en retard concernant ce recul par rapport aux autres commodités. Sur les huit premiers mois de l'année, si l'on compare la moyenne d'août 2015 à celle de décembre 2014, notre indicateur Cyclope (le panier des commodités) est en baisse de 20 %. Le pétrole a reculé de 25 %, les métaux de 15 à 35 %, et les produits agricoles n'y font pas exception, mis à part le cacao. Le blé a perdu 18 % environ. Le maïs et le soja n'avaient pas encore enregistré le gros de leur po-” tentiel de baisse au mois d'août. Quoi qu'il en soit, nous constatons un mouvement global de baisse des prix qui, pour moi, marque la fin d'une période de forte tension, qui a débuté en 2006.

Nous sommes dans une situation de surproduction. Mais attention à l'impact d'El Niño.

Donc, cette période de tension serait derrière nous et les prix des commodités resteraient durablement moins élevés ?

P. C. : Nous sommes aujourd'hui dans une situation de surproduction générale, liée à la volonté des producteurs d'augmenter leur capacité ou de tuer la concurrence. Que ce soit l'Arabie saoudite pour le pétrole, l'Australie pour le minerai de fer, la Chine pour l'aluminium ou la Nouvelle-Zélande pour les produits laitiers, on retrouve partout ce même mouvement.

La situation est tout de même différente concernant les produits agricoles, avec l'incertitude climatique qui reste une donnée essentielle…

P. C. : Oui, en grains, nous payons surtout trois années sans catastrophe climatique. Mais nous avons constaté une augmentation considérable des emblavements mondiaux. Pour l'instant nous sommes dans une situation de surproduction assez exceptionnelle, même s'il faudra surveiller l'impact du phénomène El Niño. À cela, il faut ajouter les problèmes chinois, qui ne se sont pas encore traduits sur les marchés. Sur les huit premiers mois de l'année, les importations de pétrole et de soja vers la Chine ont encore progressé.

Le retrait des bourses chinoises n'aurait pas fait baisser les cours des gains, selon vous ?

P. C. : Non. la baisse n'est pas du tout liée à la Chine. Le retrait est bien antérieur au recul financier chinois. Selon Reuters, sur le seul mois de juillet, au regard de 21 matières premières, la Chine a importé 20 % de plus qu'en juillet 2014, dont 158 % de hausse sur le blé, 70 % sur l'orge, 78 % sur le riz, 53 % pour le palme, et 72 % pour le sucre. Et sur les huit premiers mois de l'année, la hausse des achats de soja par la Chine, qui en est le premier importateur, est de 10 %. Il faut néanmoins noter l'excellent niveau de la récolte céréalière chinoise, qui devrait limiter ses importations a priori. Par ailleurs, la collecte américaine n'est pas totalement traduite dans les prix. Les pays importateurs (Maroc, Algérie, Iran) ont de très bonnes récoltes. Donc globalement, la baisse des prix agricoles n'est pas liée à la Chine, sauf pour les produits laitiers (-26 % sur les six premiers mois de l'année).

Voyez-vous la crise chinoise comme durable ?

P. C. : Aucun économiste ne peut prévoir avec certitude ce qui va se passer. Divers scénarii sont possibles. Dans le mien, nous assistons à une transition de l'économie chinoise, comprenant diverses réformes visant à libéraliser son marché, s'appuyant sur la consommation intérieure, avec des exigences alimentaires de la population en hausse. On assisterait à une inflexion de la croissance du pays, qui s'établissait à 10 % par an, qui pourrait se normaliser et s'établir à 67 % par an dans les années à venir. Néanmoins, cela n'aurait pas une grosse influence sur les marchés des grains sur le long terme, la demande alimentaire étant inélastique. Ainsi, la Chine devrait continuer à importer des denrées agricoles massivement.

Concernant le pétrole, dont les prix sont à des niveaux his-toriquement bas, voyez-vous un retournement de tendance sur le court-moyen terme ?

P. C. : Non, car trop d'éléments baissiers entrent en jeu. On devrait se situer, encore un moment, dans la fourchette des 40-50 $ le baril. Un ami me parlait même d'une possible baisse jusqu'à 32 $ le baril ! D'abord, l'Arabie saoudite n'a pas intérêt à changer de stratégie, afin de garder ses parts de marché. Le prix actuel couvre ses coûts de production, et malgré la baisse des rentrées fiscales, le pays a les poches profondes. Ensuite, nous sommes dans une situation où l'excédent d'offre mondiale atteint 3 M baril/jour. Avec l'Iran, ça ferait 500.000 baril/jour de plus.

Quel est votre scénario au sujet de l'évolution de l'euro?

P. C. : L'euro est à sa valeur de parité de pouvoir d'achat. Autrement dit, elle est à un niveau qui assure l'égalité des pouvoirs d'achats entre les pays. Ainsi, elle pourrait se maintenir, encore un moment, à ce niveau, ce qui est une bonne chose pour les exportations de céréales françaises. Un maintien ou une sortie de la Grèce de la zone euro, à laquelle je ne crois pas, n'aura guère d'influence, étant donné les différentes lectures des acteurs du marché. Certains voient sa sortie comme un facteur de stabilité de la zone euro, d'autres non. Ainsi, la situation du pays est déjà intégrée dans la valeur de la monnaie.

Vous estimez que la période de tension est derrière nous, en est-il de même concernant la volatilité des marchés ?

P. C. : Oui et non. En général, plus les prix sont élevés, et plus les marchés sont nerveux, engendrant une forte volatilité, et vice versa. Pour autant, nous sommes dans un monde instable. Difficile donc de faire des prévisions.

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