Alimentation animale
Les insectes pourraient bientôt se généraliser dans les rations
Malgré leur mauvaise image auprès des consommateurs finaux, les farines d'insecte devraient se démocratiser dans nos élevages d'ici dix ans, les verrous réglementaire et économique à leur incorporation étant en passe d'être levés.



Les insectes entiers séchés et les protéines animales transformés (PAT) d'insecte ne sont actuellement pas autorisés dans l'alimentation des animaux d'élevage. Seules les protéines hydrolysées et les huiles d'insecte le sont. Concernant l'alimentation des animaux de compagnie (petfood), sont autorisées les huiles d'insecte, et les protéines d'insecte sous certaines conditions de transformation (pression, température).
Ouverture du marché de l'aquaculture espérée d'ici deux ans, et celui des volailles et porcs d'ici cinq à dix ans.
Les insectes entiers séchés ou vivants le sont pour l'alimentation de catégo-” ries d'animaux précises (les animaux sauvages détenus ; les oiseaux, reptiles et autres nouveaux animaux de compagnie – Nac –) ou en tant qu'appât pour pécheur. Des restrictions réglementaires qui freinent l'incorporation de produits à base d'insecte en nutrition animale mais qui devraient s'alléger suite à la prochaine publication d'avis très attendus de l'Efsa. Cependant, tant que l'élevage d'insectes et leur transformation en farine ne seront pas industrialisés, les coûts de production resteront très élevés pour être économiquement viables. À moins que d'autres valorisations à forte valeur ajoutée (pharmacie, cosmétique), issues de ces insectes, voient le jour.
Des recherches prometteuses
Pour lever ces contraintes de productivité, des programmes R&D de bioraffinerie d'insectes ont été engagés, à l'image du projet Désirable. « En s'appuyant sur des études nutritionnelles, d'hypothèses (insectes utilisés, apports énergétiques, animal cible,…) et des obligations du marché, la farine d'insecte pourrait être incorporée à partir d'un prix d'intérêt se situant entre 600 €/t et 1.320 €/t, dans le cas du poulet de croissance et de la poule pondeuse, pour une incorporation entre 1 % et 8 % », explique Philippe Schmidely d'AgroParis-Tech, partenaire du projet Desirable. « Si cette fourchette tarifaire est valable pour l'alimentation des volailles et des porcs, le prix d'intérêt est plus élevé pour l'alimentation des poissons et le pet food » (cf. encadré), tempère Antoine Hubert, cofondateur de l'entreprise française Ynsect et président de l'association européenne des producteurs d'insectes (Ipiff). « Pour une incorporation entre 9 % et 36 %, essentiellement pour l'aquaculture (40 % maximum, en lien avec l'intolérance de certaines espèces), le prix d'intérêt devrait atteindre 350 €/t », poursuit Philippe Schmidely.
Dans l'attente des avis de l'Efsa
« Le simple agrément d'abattoir et d'usines de sous-produit d'insectes par l'UE permettrait aux PAT d'insectes, qui sont des non-ruminants, d'être autorisées dans l'alimentation des espèces aquacoles », milite Antoine Hubert. Mais l'UE ne veut pas s'engager sans étude préalable.
Après les évaluations des autorités belges et néerlandaises, et celle plus récente de l'Anses (12 février 2015) sur les risques de la consommation d'insectes en alimentation humaine directe ou en alimentation animale, l'avis de l'Efsa sur les insectes en alimentation humaine et animale est attendu d'ici septembre/octobre. « Cette opinion générale indiquera les points d'attention et risques de la filière et sera un préliminaire à un deuxième avis de l'Efsa qui sera beaucoup plus détaillé sur les risques sanitaires, et dont la sortie serait prévue pour mi-2016. Ce second document devrait pouvoir ouvrir la voie à l'ouverture a minima du marché de l'aquaculture sous deux ans », espère Antoine Hubert.
Ainsi se pourrait-il que d'ici quelques années, Bruxelles autorise l'alimentation croisée entre certaines espèces, d'autant que les insectes sont génétiquement très éloignés des volailles, porcs et bovins. « Je pense que d'ici cinq à dix ans, le marché des insectes s'ouvrira aux volailles et porcs », estime le cofondateur d'Ynsect. Pionnière sur ce marché, la société vient d'investir 11 M€ pour son développement R&D et commercial, et pour la construction d'une unité de démonstration industrielle à grande échelle d'élevage et de transformation d'insectes à Dole en Franche-Comté. « D'ici 2017, cette unité préindustrielle fournira quelques tonnes de farine d'insecte par jour, ainsi que des huiles et des fertilisants, avant de voir sa production augmenter significativement selon les retours des marchés. »
Le prix d'intérêt d'un aliment (tarif auquel il pourrait rentrer dans la ration sans en modifier le coût total) dépend de la farine d'insecte considérée. Il existe a minima deux types de poudres protéiques d'insecte. « Les farines de mouche soldat (entre 50 et 60 % de protéines, plus de 10 % de cendres) sont comparables au “meat & bone meal”, avec des prix d'intérêt compris entre 600 et 1.320 €/t. Les farines de Tenebrio molitor (plus de 70 % de protéines, moins de 3 % de cendres) présentent, quant à elles, des prix d'intérêt plus élevés, comparables au “fish meal” », détaille Antoine Hubert, cofondateur de l'entreprise française Ynsect.