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Moisson 2024 : les risques qui pèsent sur les trésoreries

La moisson 2024 risque de fragiliser bon nombre d’exploitations de grandes cultures. Comment faire face aux besoins de trésorerie dans ces conditions pour préparer la prochaine campagne ?

Moissonneuse batteuse dans un champ de blé tendre en Charente en juillet 2024
Le rendement moyen à 62,4 q/ha estimé par Agreste au niveau national cache d'importantes disparités entre les exploitations.
© M.-C. Bidault

Au terme de cette moisson 2024, les résultats des céréaliers risquent de nettement se dégrader. Le vent du boulet a déjà soufflé l’an dernier. Le croisement des courbes entre le prix des céréales en forte baisse et les intrants toujours à un niveau élevé a entraîné en 2023 une baisse de revenu d’environ 25 % selon l’Insee pour les producteurs de grandes cultures. Après deux très bonnes années en 2021 et 2022, la filière est parvenue à sauver la mise grâce à des rendements dans la moyenne et une qualité correcte. L’année 2024 montre un tout autre visage. « On le voyait venir, mais sans imaginer un tel niveau de récolte », se désole Arnaud Viandier, responsable de marché Agriculture au Crédit mutuel du Centre.

Des exploitations confrontées à une triple peine lors de cette moisson 2024

Selon les chiffres d’Agreste, la récolte française de blé tendre enregistre un recul de 25 % en moyenne par rapport à la moyenne quinquennale, avec une production estimée à 26 millions de tonnes (début août), soit l’un des plus mauvais résultats des 40 dernières années. Les conséquences de cette récolte, hors normes sur le plan climatique, sont très disparates d’une exploitation à l’autre. La différence se fait en fonction des variétés, des dates de semis ainsi que du type de sol.

Au-delà des aspects techniques, « toutes les exploitations vont être concernées par une triple peine, avance Sylvain Jessionesse, agriculteur et fondateur de Piloter sa ferme. Le coût de production reste élevé par rapport à 2021, la productivité est en baisse et les prix sont dégradés. » Selon les données de Piloter sa ferme, les besoins de trésorerie de la ferme France s’élève en moyenne à 1 500 euros par hectare (€/ha) après soustraction des aides PAC, contre 1 200 euros en 2021.

Sur la base d’un rendement moyen autour de 7,5 tonnes par hectare (t/ha) de blé tendre, le coût de production atteindrait 208 €/t. Malheureusement, la plupart des exploitations des secteurs de grandes cultures vont mécaniquement voir leurs coûts de production augmenter du simple fait de la baisse de rendement, avec un impact direct sur le revenu des agriculteurs. « Il suffit d’une tonne de moins à l’hectare pour voir grimper le coût de production à 250 €/t », souligne le spécialiste.

Faire le point sur sa situation

La baisse de rendement s’accompagne d’un prix des céréales dégradé. Après une courte période au printemps où les prix du blé tendre ont frôlé les 240 €/t, ils sont repartis à la baisse pour se situer mi-août entre 190 et 200 €/t (Euronext). En outre, les problèmes de qualité vont aussi peser sur le prix de vente. À cause de poids spécifiques, trop faibles pour satisfaire la meunerie ou les marchés export, des déclassements de blé meunier en blé fourrager sont à prévoir. « La réfaction sur le prix de vente pourrait aller de 20 à 40 €/t », signale Sylvain Jessionesse.

Lire aussi | Besoins de trésorerie : planifier les dépenses pour sécuriser son exploitation

Les baisses de chiffres d’affaires vont être générales avec des disparités selon les exploitations. Dans les secteurs de zones intermédiaires, le coup pourrait être rude, en particulier pour les exploitations les plus fragiles sur le plan de la trésorerie et dont les céréales représentent une part importante du chiffre d’affaires.

Dans le Bassin parisien ou dans les Hauts-de-France, les résultats techniques sont souvent catastrophiques, avec par endroits des pertes qui peuvent atteindre 50 %. Ces secteurs devraient en partie pouvoir compter sur les cultures industrielles à forte valeur ajoutée pour compenser les pertes en céréales, sous réserve du bon déroulement des récoltes d’automne. 

« On peut s’attendre en moyenne à des pertes allant de 200 à 500 €/ha selon les cas », estime Sylvain Jessionesse. L’AGPB estime les pertes pour l’ensemble des producteurs de céréales à 2 milliards d’euros.

La préparation de la prochaine campagne nécessite d’évaluer les conséquences des résultats obtenus sur la trésorerie : achats d’intrants, annuités d’emprunt, cotisations sociales ou encore échéances fiscales. « Il faut anticiper les moments où les décalages de trésorerie vont se faire », conseille Arnaud Viandier.

Un besoin de solutions et d’accompagnement au cas par cas

À court terme, pour les agriculteurs qui rencontrent des problèmes conjoncturels, des prêts à court terme sont envisageables pour combler un déficit momentané de trésorerie avant, notamment, le versement des avances d’aides PAC en octobre. « Remettre ses chiffres à plat au préalable permet de montrer une logique de bonne gestion qui peut faciliter l’obtention de lignes de crédit », souligne Céline Sibout, conseillère d’entreprise agricole au cabinet Fiteco, membre d’AgirAgri. Le déblocage des sommes mises de côté dans le cadre de la déduction pour épargne de précaution (DEP) est aussi possible pour ceux qui ont utilisé le dispositif lors des bonnes années en 2021 et 2022.

Pour les agriculteurs en proie à des difficultés plus importantes, les différents conseillers soulignent l’importance de se rapprocher de ses partenaires financiers et de la MSA. L’enjeu est de mettre à plat la situation pour trouver les solutions les plus appropriées. « Les opérateurs agricoles vont être vigilants pour accompagner les agriculteurs les plus fragilisés », assure Arnaud Viandier.

Un problème structurel de compétitivité

À moyen et long terme, d’autres leviers sont à intégrer à la réflexion. « Un point important est le raisonnement des charges de mécanisation », constate Émilie Golin, responsable conseil à Cerfrance Saône-et-Loire. Les conseillers interrogés s’accordent à dire que le levier « investissement matériel » pour amoindrir la fiscalité est encore trop souvent mobilisé les bonnes années. Ce type de stratégie peut mettre en péril l’équilibre des finances de l’exploitation lorsqu’il faut payer les annuités d’emprunt malgré des résultats en berne.

Pour Sylvain Jessionesse, la mauvaise récolte 2024 s’avère plus grave que celle de 2016, car elle révélerait des problèmes structurels de l’agriculture française, confrontée à un manque de compétitivité par rapport à ses concurrents mondiaux. « Il faut agir sur le niveau de compétitivité de l’exploitation pour permettre à l’agriculteur d’avoir durablement du revenu », assure-t-il. Pour lui, cela passe par un raisonnement des investissements pour optimiser les charges de mécanisation par hectare, mais aussi par une meilleure gestion des risques face aux aléas économiques et climatiques.

Évaluer l’impact de la moisson 2024 sur le revenu d’une exploitation

Exemple d’une exploitation de grandes cultures de 200 hectares située en zone intermédiaire avec un rendement 2024 en baisse de 1 t/ha en céréales et de 0,3 t/ha % en colza.

Les besoins de trésorerie en fonction des cultures 

CulturesSurfaces (ha)Besoins de trésorerie (€/ha)Rendement moyen des 5 dernières années (t/ha)Rendement 2024 (t/ha)Seuil de commercialisation avec un rendement dans la moyenne 5 ans (€/t)
Blé80140076200
Orge d'hiver brassicole3013006,55,5215
Orge de printemps brassicole30120054240
Colza3014503,33440
Source : Piloter sa ferme

Besoins de trésorerie (dépenses de l’exploitation + rémunération du travail de l’exploitant – aides PAC) = 265 500 € (1 330 €/ha).

Valorisation de la récolte :

- ventes déjà réalisées : 30 % de blé, orges d’hiver et de printemps début juin 2024 ;

- valorisation de ce qui reste à vendre au cours du jour ;

- réfaction de 15 €/t en blé (pour tenir compte du PS) et de 15 €/t en orge brassicole (pour tenir compte du calibrage).

Potentiel de revenu en intégrant la baisse des rendements et les réfactions liées aux problèmes de qualité :

Les ventes réalisées début juin couvrent 25 % du besoin en chiffre d’affaires de l’exploitation, soit 66 600 euros. La situation actuelle des marchés permettrait d’obtenir un chiffre d’affaires de 266 100 euros et de couvrir l’ensemble des dépenses de l’exploitation dont la rémunération du travail de l’exploitant. Mais cette hypothèse n’est valable que si les rendements théoriques sont atteints.

La baisse des rendements de 1 t/ha en céréales et de 0,3 t/ha en colza, ainsi que l’application de réfactions sur le prix de vente du blé et des orges brassicoles, se traduisent au final par une insuffisance de chiffre d’affaires de 45 000 euros pour équilibrer le budget.

Source : Piloter sa ferme

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