Loi Duplomb et stockage de l’eau : quelles avancées pour l’agriculture ?
Que change la loi Duplomb sur la question sensible du stockage de l’eau ? L’article 5 du texte reconnaît certains ouvrages comme d’« intérêt général majeur », sous conditions strictes. Carole Hernandez Zakine, docteur en droit et consultante en droit de l’environnement, décrypte la portée et les limites de cette évolution.
Que change la loi Duplomb sur la question sensible du stockage de l’eau ? L’article 5 du texte reconnaît certains ouvrages comme d’« intérêt général majeur », sous conditions strictes. Carole Hernandez Zakine, docteur en droit et consultante en droit de l’environnement, décrypte la portée et les limites de cette évolution.

La loi Duplomb, promulguée le 12 août 2025, vise à alléger certaines contraintes qui pèsent sur le métier d’agriculteur, et notamment celles liées au stockage de l’eau. L’article 5 de la loi ouvre de nouvelles possibilités sur ce point, pour certains types d'ouvrages et à condition de respecter un ensemble d’exigences.
La loi Duplomb acte les besoins en eau de l’agriculture
Le titre III de la loi, qui introduit l’article 5, affiche une volonté claire : « Faciliter la conciliation entre les besoins en eau des activités agricoles et la nécessaire protection de la ressource ». Pour Carole Hernandez Zakine, docteur en droit et consultante en droit de l’environnement, c’est un tournant : « Pour la première fois, la loi écrit noir sur blanc que l’agriculture a besoin d’eau. » Concrètement, le code de l’environnement est modifié : toute étude sur la gestion quantitative de l’eau devra désormais intégrer l’article L. 1 A du code rural, qui reconnaît l’agriculture comme activité d’intérêt général majeur.
Ces études devront également inclure une analyse socio-économique des recommandations, en évaluant leurs conséquences sur l’emploi, l’alimentation, l’attractivité rurale et les revenus agricoles. « Dans un contexte où les études volumes prélevables concluent systématiquement à une baisse des volumes autorisés, il faudra désormais aussi regarder l’impact de ces réductions sur les territoires ruraux et les exploitations agricoles et les modifier en conséquence », souligne la juriste.
Le stockage de l'eau présumé d’intérêt général majeur dans certaines conditions
Autre avancée, l’article 5 introduit une présomption d’intérêt général majeur pour les ouvrages de stockage d’eau à vocation agricole, mais uniquement dans les zones en déficit quantitatif durable compromettant la production. Cette reconnaissance permet théoriquement de bénéficier de dérogations aux objectifs de qualité et de quantité fixés par les SDAGE (schéma directeur d’aménagement et de gestion des eaux), comme le précise le communiqué du Conseil constitutionnel qui accompagne la décision du 7 août. Mais attention, prévient Carole Hernandez Zakine : « Cette présomption n’est pas absolue. Les projets doivent toujours respecter l’ensemble des exigences du code de l’environnement en lien avec le dépôt des demandes d’autorisations de construction de retenues d’eau. »
Les ouvrages de stockage de grande ampleur désormais mieux encadrés
La loi fixe par ailleurs des conditions supplémentaires : ces ouvrages doivent s’inscrire dans une démarche territoriale concertée (type projet de territoire pour la gestion de l'eau), s’accompagner de la mise en œuvre de pratiques sobres en eau (à définir) et garantir un accès partagé à la ressource. Ces critères orientent donc la présomption vers des projets de grande ampleur et multi-usages. « La dérogation est conçue pour éviter le blocage de projets d’intérêt général qui nécessitent des modifications physiques des masses d’eau ou l’exercice de nouvelles activités humaines, car à la base tous les projets doivent être compatibles avec les SDAGE », explique la juriste. Le Conseil constitutionnel a toutefois posé deux limites. Les prélèvements sur les nappes inertielles, dont la recharge est très lente, sont exclus de cette dérogation, et les présomptions d'interet général majeur restent contestables en justice.
La loi Duplomb s’intéresse aussi aux ouvrages provoquant des destructions d’espèces et d’habitats protégés. Elle insère un nouvel article dans le code de l’environnement qui prévoit que certains ouvrages de stockage situés dans ces zones sensibles puissent être présumés répondre à une raison impérative d’intérêt public majeur. Mais cette présomption reste strictement encadrée : l’administration devra vérifier qu’aucune autre solution n’existe et que la dérogation ne compromet pas la conservation des espèces protégées.
Peu de changement pour la majorité des projets de stockage d'eau
Pour la plupart des projets de stockage, qui respectent déjà les objectifs des SDAGE, « les procédures ne sont pas modifiées, et surtout il n'y a pas de nécessité juridique à souscrire des engagements conditionnés, en particulier ceux qui vont décider des choix de production et qui seront contrôlés et sanctionnés en droit, en plus de ce qui existe pour les aides publiques conditionnées », précise Carole Hernandez Zakine. Néanmoins, la référence à l’intérêt général de l’agriculture et l’introduction de l’impact socio-économique du manque d’eau pourraient faciliter l’avancement de certains dossiers.
Au final, la loi Duplomb ne bouleverse pas le cadre juridique du stockage de l’eau. Mais elle introduit des ajustements notables : elle reconnaît explicitement les besoins en eau du monde agricole tout en maintenant les garde-fous environnementaux. « L’eau reste régie par le droit de l’environnement, mais le législateur commence à y intégrer la réalité agricole », résume Carole Hernandez Zakine.