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Marchés : les voyants au vert pour l’export de blé tendre tricolore

Récolte volumineuse et de qualité, concurrence amoindrie, forte demande mondiale… Cette année, tout contribue au retour en force du blé français sur la scène internationale.

La France a regagné des parts de marché sur ses débouchés traditionnels en blé, mais profite également de destinations plus inhabituelles. © A. Baindur/Wikimedia commons
La France a regagné des parts de marché sur ses débouchés traditionnels en blé, mais profite également de destinations plus inhabituelles.
© A. Baindur/Wikimedia commons

Un remarquable alignement des planètes pour le monde français de l’export de blé tendre. Après plusieurs années en demi-teinte, voire catastrophique en 2016-2017, l’exportation de blé tricolore reprend des couleurs. À la fin décembre, soit la mi-temps de la saison, les ventes vers pays tiers affichaient une hausse de 19 % par rapport à l’an dernier à même époque, avec 5,2 millions de tonnes (Mt) chargées. Les expéditions vers l’Union européenne s’affichaient elles aussi en hausse, quoique de façon moins marquée, avec 3,7 Mt (+12 % sur un an).

Selon les différentes projections, la France devrait pouvoir exporter au minimum 12 à 13 Mt de blé tendre vers les pays tiers sur l’ensemble de la campagne. Le chiffre est à rapprocher de l’excellente performance de 2015-2016 (12,6 Mt). De quoi faire oublier les 8 Mt de 2017-2018 et les 9,7 Mt de l’an passé. Sans parler du piteux 5 Mt de 2016-2017, annus horribilis frappé par l’effondrement du volume et de la qualité de la récolte tricolore.

Du volume et de la qualité

Pourquoi un tel dynamisme ? Plusieurs facteurs se combinent depuis le début de la saison pour placer la France dans une position très favorable. Tout d’abord, le millésime 2019 est très bon. La France a récolté environ 39,5 Mt de blé tendre cet été, en hausse de près de 6 Mt sur un an. Et cette année, quantité rime avec qualité : même si la teneur en protéines moyenne n’est pas enthousiasmante, à 11,5 %, tous les autres voyants sont au vert. « Les retours que nous avons de la part de nos clients marocains et d’Afrique subsaharienne sur la qualité de nos blés sont très bons », se réjouit Philippe Heusèle, président de France Export Céréales. Un constat confirmé par un opérateur familier des origines européennes et mer Noire, avec une activité importante sur l’Afrique : « La dimension qualitative est très importante dans le succès que l’on constate actuellement à l’export. En 2018-2019, nous avions du blé français à 12,5 % de protéines, mais la qualité n’était pas exceptionnelle. Cette année, la teneur en protéine est plus faible mais la qualité est bien supérieure, avec notamment de bons poids spécifiques qui se traduisent par de très bons rendements farine. On peut ajouter à cela un blé plus propre que le blé russe et une bonne humidité. Les campagnes passées, les acheteurs d’Afrique de l’Ouest étaient prêts à payer du blé russe 10 dollars de plus la tonne que du blé français. Cette année, à prix identique, ils préfèrent acheter du français. »

Une compétitivité inhabituellement précoce

Le prix est d’ailleurs l’une des clés du succès tricolore de la campagne en cours. « Jusqu’en novembre, les prix russes étaient bas, autour de 190 dollars la tonne, mais les prix européens et notamment français se sont ajustés très tôt, détaille Andrée Defois, présidente du cabinet d’analyse Tallage. Les prix russes ont ensuite fait leur travail de remonter sous l’effet de la demande intérieure. » Pour les producteurs français, les cours très bas de l’automne étaient synonymes de prix très peu rémunérateurs mais, du point de vue de l’export, c’était la garantie d’attirer une bonne demande sur l’origine France. Lorsque les blés russes sont repartis à la hausse, à partir de novembre, les blés tricolores se sont glissés dans le sillage russe mais un cran en dessous, conservant ainsi leur compétitivité.

Volume, qualité, prix… Avec ce tiercé gagnant, le blé français a regagné des parts de marché sur des destinations traditionnelles où il avait perdu du terrain depuis trois ans. Sur le Cameroun, la Mauritanie ou le Sénégal, les volumes déjà embarqués à fin décembre attestent de ce fort redressement. L’hypothèse de bons chargements en seconde moitié de campagne est renforcée par le fait que l’Argentine ne devrait pas venir jouer les trouble-fêtes sur l’Afrique. Certes, le pays sud-américain a engrangé une très grosse récolte en décembre, et son disponible exportable flirte avec les 14 Mt. Mais l’Australie a vu sa production une nouvelle fois dévastée par la sécheresse. Pour la seconde année consécutive, l’île-continent ne pourra répondre qu’en pointillé à la demande asiatique. Cet appel d’air a aspiré le blé argentin vers l’Asie, laissant le champ libre à l’Europe sur le marché africain, et notamment l’Algérie. « L’Algérie est toujours présente, et il s’y ajoute le Maroc qui pousse fort notre activité à Rouen depuis le début de 2020 », constate Manuel Gaborieau, délégué commercial chez Haropa.

Résultats exceptionnels sur l’Égypte et la Chine

À ces retrouvailles avec ses débouchés historiques, la France peut ajouter à son tableau de chasse des performances plus inhabituelles, voire exceptionnelles. Tout d’abord, l’excellente compétitivité française a suscité l’intérêt du Gasc, l’opérateur étatique égyptien. Pour la première fois depuis 2015-2016, la France a réussi à concurrencer significativement les origines mer Noire dans les appels d’offres de l’Égypte. À la mi-février, le Gasc avait déjà acheté environ 700 000 tonnes de blé français, de quoi rendre plausible l’objectif de 1 Mt à fin juin.

Cerise sur le gâteau, l’origine française a eu les faveurs de la Chine. Le géant asiatique s’approvisionne traditionnellement auprès des États-Unis, du Canada et de l’Australie. Les brouilles diplomatiques avec les deux premiers et la faible disponibilité australienne ont eu raison de ces habitudes. La Chine a cherché à diversifier ses fournisseurs, et le blé français s’est imposé du fait de sa compétitivité, aidée par des coûts du fret bas et un taux de change favorable. À la mi-février, 700 000 tonnes avaient déjà fait route vers la Chine. « Et ce pays a acheté entre six et neuf Panamax supplémentaires pour le reste de la campagne, dont une bonne partie devrait provenir de France, souligne un trader. Cela signifie que les exportations françaises vers la Chine pourraient avoisiner 1,3 Mt. » Du jamais vu ! Du pain béni pour le port de La Pallice, pour qui la demande chinoise permet de valoriser du blé à 10,8 % de protéines. « Avec l’Afrique de l’Ouest, la Chine et le Maghreb, nous avons des acheteurs pour toute la gamme de qualités de l’hinterland », se réjouit Simon Aimar, responsable développement à la Sica Atlantique.

Pas de forte pression baissière en vue

Et maintenant ? Qu’attendre de la fin de la campagne ? « La demande reste bien présente », explique un opérateur du marché. Comme la plupart de ses collègues, il ne voit pas d’éléments susceptibles de faire dévisser les prix dans les mois à venir. Deux principaux éléments seront à surveiller : les volumes mis sur le marché par les agriculteurs russes avant l’été, et l’état des cultures, notamment en mer Noire. Des ventes massives des producteurs russes pourraient en effet accentuer la récente baisse des prix constatée en Russie — mais le volume encore disponible reste incertain. Une météo favorable dans les grandes zones de production serait aussi un élément de pression sur les cours mondiaux, car les surfaces emblavées en blé d’hiver en Russie sont très élevées.

Grèves : des surcoûts, mais un impact limité sur les chargements

L’annonce des grèves de janvier a provoqué des sueurs froides dans la filière export tricolore. Selon les responsables professionnels, environ 300 trains ont été annulés en décembre, soit entre 75 % et 100 % des trains programmés sur cette période. Les grèves des dockers ont encore compliqué les chargements. Pour autant, les ports n’ont pas connu de blocage. « On s’est organisé en mode dégradé, avec des coûts internes en hausse, mais nous avons réussi à servir les clients », résume Anne-Laure Paumier, directrice de la Coopération agricole Métiers du grain. Les organismes collecteurs ont anticipé les événements en reportant les trains sur du camion, au prix d’une hausse des coûts d’environ 4 à 6 euros par tonne. Dans les ports, les équipes ont été sollicitées en soirée et le week-end, générant là aussi des surcoûts. Toutefois, il semble que les mouvements sociaux n’ont pas pénalisé fortement les volumes expédiés, comme en témoignent les très bons chiffres de chargement en janvier. L’impact a été plus violent pour les fabricants d’alimentation animale, qui ont ponctuellement fait face à un manque de matières premières.

La compétitivité russe bridée par la hausse des prix domestiques

La Russie reste un solide compétiteur cette année, mais son agressivité est tempérée par la compétition exercée par le marché intérieur et par l’appréciation du rouble.

Petit coup de mou pour les exportations russes. Le pays s’est imposé ces dernières années comme le leader incontesté de la planète blé tendre, avec des ventes à l’étranger propulsées à plus de 40 millions de tonnes (Mt) en 2017-2018 grâce à une production record. Le repli de sa récolte l’avait empêché de faire aussi bien en 2018-2019 (environ 35 Mt). Cela ne l’a pas empêché de rafler plus de 20 % des exportations mondiales de blé au cours des deux dernières campagnes, et de confirmer son statut d’exportateur à plein temps tout au long de la saison.

Lire aussi : Les exportations françaises de blé tendre face à la concurrence féroce de l'Est

Cette année, l’export russe perd toutefois un peu de son éclat. D’une part, son disponible exportable va de nouveau se rétrécir, du fait de stocks en forte baisse à la fin de la campagne passée et d’une récolte proche de celle de 2018. D’autre part, sa compétitivité a été atténuée par plusieurs facteurs, à commencer par la hausse des prix domestiques. « En juillet dernier, les meuniers russes ont été confrontés à des stocks très bas, qui les ont poussés à revenir aux achats très tôt en nouvelle récolte, décrypte Dmitri Rylko, directeur du cabinet d’analyse Ikar et fin connaisseur du marché russe. Cela a contribué à faire grimper les prix intérieurs très tôt. Les exportateurs ont eux aussi dû acheter pour exécuter les contrats engagés, et tout cela a renforcé la hausse, tandis que les industriels sont restés à l’achat. »

Marges négatives pour les exportateurs

Les prix domestiques se sont hissés au-dessus de la parité export, compliquant la tâche des exportateurs souhaitant sourcer du blé russe. Pour ces derniers, la situation est devenue synonyme de marges négatives. Ils ont retrouvé un peu d’air en faisant pression sur les coûts de fobbing (le coût du chargement dans les ports). De 25 dollars la tonne en juillet, il est descendu à 12-13 dollars/tonne (ce qui reste élevé par rapport aux standards français). Insuffisant néanmoins pour retrouver de la rentabilité, ce qui explique que de nombreux opérateurs de la filière se retrouvent fragilisés. À cela s’est ajoutée l’appréciation du rouble, pénalisant mécaniquement la compétitivité russe face à ses compétiteurs, dont la France.

Par ailleurs, un nouvel acteur est venu rebattre les cartes de la filière russe : VTB, géant étatique venu du secteur bancaire, s’installe dans le paysage du grain, achetant du blé, et investissant aussi dans le rail et les infrastructures portuaires. De quoi secouer un peu plus le marché et mettre à mal les opérateurs les plus fragiles. Dans ce contexte agité, l’agriculteur russe est, pour l’heure, le grand gagnant. « Les marges sont bonnes depuis plusieurs années en blé, et les capacités de stockage chez les agriculteurs se sont améliorées, explique Dmitri Rylko. Ils peuvent donc se permettre d’attendre pour vendre. » Difficile en revanche de savoir précisément les volumes encore disponibles dans la campagne russe. Ce facteur sera crucial pour la configuration des derniers mois de la saison…

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