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Grandes cultures/recherche : les rendements victimes du climat mais pas que

Une étude récente sur la stagnation des rendements ne tranche pas sur les causes majeures, mais elle relativise le rôle du dérèglement climatique par rapport à d’autres études antérieures. Le point pour le blé tendre et quelques autres cultures.

Les moyennes de rendements des blés et des orges n'augmentent plus depuis deux décennies en France. © S. Leitenberger
Les moyennes de rendements des blés et des orges n'augmentent plus depuis deux décennies en France.
© S. Leitenberger

Le changement climatique aurait-il bon dos pour expliquer la stagnation des rendements enregistrée chez diverses cultures depuis plus de vingt ans ? Avec à sa tête Bernhard Schauberger, de l’institut de recherche sur l’impact du climat de Postdam, une étude récente menée par un collectif de chercheurs analyse les évolutions de rendement par culture et par département, en reprenant les différentes causes possibles. Chercheur à l’Inra de Grignon, David Makowski est un des auteurs de l’étude. Il explique les résultats auxquels ils sont parvenus tandis que Jean-Charles Deswarte, spécialiste écophysiologie à Arvalis, apporte son analyse.

Climat : effets négatifs du chaud et du sec

Pour Arvalis, c’est évident, le climat est la cause la plus importante de la stagnation des rendements depuis environ vingt-cinq ans sur les céréales. « L’effet négatif du réchauffement climatique est manifeste, précise Jean-Charles Deswarte, mais sa quantification n’est pas évidente. » Une étude fait référence en la matière, celle de Nadine Brisson avec d’autres chercheurs, datant de 2010. Elle met en avant, entre autres causes, celle du stress climatique. La chaleur montre un impact négatif sur le remplissage du grain tandis que des conditions de sécheresse pèsent sur l’élongation de la tige.

David Makowski est moins catégorique sur l’importance du climat sur la stagnation du rendement du blé tendre. « L’augmentation de la température génère un raccourcissement des cycles végétatifs, donc la plante a moins de temps pour fabriquer la biomasse et intercepter le rayonnement, ce qui est négatif pour le rendement, admet-il. Mais en même temps, l’augmentation de CO2 devrait se traduire par de meilleurs rendements car le blé tendre est une plante en C3 (1) qui réagit bien à ce gaz à effet de serre. D’ailleurs, nous constatons une augmentation des minima de rendement chez le blé tendre, ce qui ne va pas dans le sens du climat comme facteur de stagnation. » Il ajoute : « Si une culture devait être impactée par le changement climatique, ce devrait être le maïs. C’est une plante en C4 sur laquelle l’augmentation de CO2 doit être moins favorable. Or, nous observons toujours une augmentation des moyennes de rendement sur cette culture, au contraire du blé. »

Génétique : trop de proximité entre variétés

David Makowski pose la question de la génétique du blé tendre dans l’évolution des rendements. « Il y a beaucoup de variétés à disposition des agriculteurs mais leur diversité génétique a tendance à baisser malgré tout. » Pour confirmer cela, le chercheur de l’Inra se réfère à une étude de Rémi Perronne et d’autres spécialistes. « La diversité génétique montre une diminution légère mais continue dans les années récentes (1980 à 2006 en l’occurrence), ce qui génère une augmentation de la proximité génétique entre variétés de blé panifiables. Ce peut être une cause de la stagnation des rendements. » Jean-Charles Deswarte ne le voit pas ainsi. Il met en exergue le progrès génétique maintenu au cours des dernières décades, qui transparaît à travers les résultats des essais officiels d’inscriptions variétales de blé tendre. « Les nouvelles variétés présentent des résultats supérieurs en rendement aux témoins de référence. Ce progrès génétique est notable, notamment en situation non traitée. »

Pratiques agronomiques : des précédents à blé peu favorables

La rotation culturale peut expliquer en partie l’évolution des rendements en blé, à cause d’une baisse de diversité de cultures. « Sur le Bassin parisien où se vérifie en particulier cette stagnation, on est sur des dominantes céréales à paille et colza. Ce dernier a commencé à exploser dans les années 90 en surface. Dans le même temps, les légumineuses ont nettement perdu en hectares », constate David Makowski. Jean-Charles Deswarte confirme ce remplacement du pois par du colza dans les précédents à blé. « Cela se traduit par moins de quintaux à l’hectare pour la céréale. On peut se poser aussi la question de l’effet d’un précédent betterave qui apparaît beaucoup moins favorable qu’il ne l’était à une certaine époque. Ce précédent cause des soucis et des déceptions en termes de rendement. La betterave est une culture très fortement valorisée qui épuise les ressources du milieu. Peut-être que la compaction des sols après les récoltes agit aussi sur la culture qui suit. »

La fertilisation est parfois aussi mise en avant en raison des apports d’azote restreints. « Mais cet élément est mieux utilisé par les agriculteurs, souligne le spécialiste d’Arvalis. Par ailleurs, de plus en plus de parcelles se montrent potentiellement carencées en phosphore. »

Gestion : la rentabilité privilégiée devant le rendement

« Les producteurs cherchent moins le dernier quintal mais plus la marge. » Ce constat dressé par Jean-Charles Deswarte n’est pas à minimiser dans les rendements qui s’enlisent. « Une étude régionalisée en Champagne montre que les agriculteurs ne choisissent pas leurs variétés uniquement sur un potentiel de rendement, mais sur plusieurs critères (tolérance aux maladies, qualité technologique…). Cela peut engendrer sur plusieurs années un manque à gagner de plusieurs quintaux à l’hectare », estime l’expert d’Arvalis. Dans l’étude à laquelle a participé David Makowski, cet aspect économique se perçoit davantage sur d’autres cultures comme le blé dur (voir par ailleurs).

En citant les études de sa collègue Josiane Lorgeou, Jean-Charles Deswarte fait également le constat sur le maïs dont la progression des rendements est encore réelle mais ralentie : « Les variétés les plus tardives sont les plus productives mais comme elles sont récoltées tard, le coût de séchage est significatif. Les agriculteurs cherchent à moissonner 'plus sec' et recourent donc à des variétés plus précoces avec moins de potentiel pour pouvoir récolter dans les meilleures conditions possible. » Les restrictions d’irrigations récurrentes dans diverses régions ont des effets sur l’évolution des rendements du maïs.

Sol : une cause trop peu explorée

Les causes de la stagnation du rendement sont multifactorielles. Le sol est un facteur parfois mis en avant, notamment par les adeptes du non-labour qui souhaitent valoriser les vertus de leurs pratiques ne bouleversant pas le sol. « Le sol fait partie des causes trop peu explorées », signifie Jean-Charles Deswarte. Pour Frédéric Thomas, agriculteur spécialiste des sols, la problématique sol est en tout cas la cause principale de la stagnation des rendements. « L’effondrement progressif des taux de matière organique, le travail mécanique profond et intensif, les compactions de plus en plus fortes, la battance et l’érosion impactent la capacité de production autonome des sols », exprime-t-il sur le site web de l’agriculture de conservation.

Le changement climatique n’est pas la seule cause majeure de la stagnation des rendements. Il faut en même temps en contrecarrer les effets tout en optimisant les pratiques agricoles pour ne pas assister, cette fois-ci, à une chute des productions.

(1) Voie métabolique de fixation du carbone par les plantes.

Les agriculteurs cherchent moins le dernier quintal mais davantage la marge

EN SAVOIR PLUS

Trois publications parmi d’autres

« Yield trends, variability and stagnation analysis of major crops in France over more than a century », de Bernhard Shauberger et al. Publiée dans la revue Scientific Reports en 2018.

« Why are wheat yields stagnating in Europe ? A comprehensive data analysis for France », de Nadine Brisson et al. Publiée dans Field Crops Research en 2010.

« Temporal evolution of varietal, spatial and genetic diversity of bread wheat between 1980 and 2006 strongly depends upon agricultural regions in France », de Rémi Perronne et al. Publiée dans Agriculture, Ecosystems and Environment en 2017.

Moins de quintaux à l’hectare pour la plupart des cultures

Après une augmentation soutenue des rendements entre les années 50 et 80, les productions ont commencé à stagner pour la plupart des cultures à partir des années 90, à l’exception du maïs et de la betterave sucrière.

Le blé tendre est l’espèce pour laquelle la stagnation est la plus évidente. Une légère baisse de rendement a même été notée à partir des années 2000, tout comme pour l’orge d’hiver et le tournesol.

78 q/ha : à trois reprises, le rendement du blé tendre a atteint cette performance. Hormis récemment en 2015 où il a atteint son record (79 q/ha), il faut remonter à 2004 et 1998 pour retrouver ces niveaux de productions.

La variabilité interannuelle des rendements croît ces vingt dernières années. Elle est à mettre en relation avec l’augmentation de la variabilité climatique.

Marge de progression encore dans le sud

Les stagnations de rendement pour le blé tendre s’observent dans les deux tiers des départements de production en France, et ce principalement dans les régions à fort potentiel. L’étude de Schauberger considère que l’on atteindrait là peut-être le potentiel physiologique de rendement du blé. « Au sud de la France, les rendements moyens sont plus bas et sont encore en progression, observe David Makowski, Inra. Par ailleurs, tous les autres pays grands producteurs de céréales de l’UE sont concernés par ce phénomène.

D’autres cultures touchées

Le tournesol connaît une stagnation de ses rendements moyens depuis les années 80. La culture pâtit du faible investissement sur son itinéraire cultural – elle est rarement irriguée contrairement au maïs – avec souvent le choix de parcelles à faible potentiel pour sa mise en production. Il y a peu de progrès génétiques et il ne se traduit pas par une augmentation des rendements. Le changement climatique peut être une cause également, avec des sécheresses affectant d’autant plus des cultures conduites en sec.

Une PAC défavorable au blé dur

Le blé dur a subi l’impact sévère de la PAC, politique agricole commune. Le soutien de la culture qui prévalait dans le Bassin parisien n’existe plus. La proportion de semences certifiées recule significativement en blé dur puisqu’il n’est plus obligatoire d’utiliser ce type de semences dans les zones non traditionnelles tel le Bassin parisien. Le blé dur subit la concurrence d’autres cultures et il n’existe plus que deux sélectionneurs en France à travailler cette céréale pour obtenir de nouvelles variétés.

Tout va bien pour le maïs

Le maïs jouit d’investissements énormes de la part des semenciers pour le développement de nouvelles variétés, avec un renouvellement rapide de ces dernières. La sélection variétale se base sur un pool génétique très diversifié (au contraire du blé) dont les sélectionneurs tirent encore bénéfice pour proposer des variétés toujours plus performantes au champ. « La culture est impactée potentiellement par moins de facteurs limitants que d’autres espèces, ajoute David Makowski, Inra, Par exemple, il y a peu de bioagresseurs sur maïs alors que le blé souffre sévèrement des maladies fongiques certaines années. »

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