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L’assurance récolte est-elle un outil pour vous ?

L’assurance récolte reste peu utilisée en grandes cultures. Pour de nombreux experts, il est pourtant pertinent d’étudier sérieusement l’intérêt de cet outil sur sa ferme avant de l’écarter.

Les agriculteurs réticents face à l'assurance récolte avancent le coût, le manque de lisibilité des contrats et la faible fréquence du déclenchement. © G. Omnès
Les agriculteurs réticents face à l'assurance récolte avancent le coût, le manque de lisibilité des contrats et la faible fréquence du déclenchement.
© G. Omnès

Avec seulement 30 % des grandes cultures couvertes (si l’on exclut la grêle), c’est peu dire que l’assurance récolte n’est pas plébiscitée. Pourquoi ce désintérêt, alors que les aléas climatiques se multiplient, avec comme récent point d’orgue la calamiteuse année 2016 ? Les agriculteurs réticents avancent le coût élevé de l’assurance multirisque climatique (MRC), le manque de lisibilité des contrats et la faible fréquence du déclenchement. Un faux procès ? Pour de nombreux experts, cet outil n’est pas à négliger dans la palette de solutions disponibles pour gérer le risque.

« On ne peut pas statuer sur la pertinence de l’assurance récolte sur une exploitation a priori, car cela dépend de nombreux facteurs, insiste Marine Raffray, agroéconomiste à l’APCA(1). Il y a des moments dans une carrière où l’on est plus ou moins sensible aux aléas climatiques, selon que l’on est jeune agriculteur ou que l’on a accumulé de l’épargne de précaution, selon le taux d’endettement et la diversité des cultures… À l’agriculteur de voir à quel niveau il veut se protéger par le biais des options disponibles pour la franchise et le rendement, et de se tourner vers les assureurs pour chiffrer le coût de l’assurance récolte avec ses propres données. »

Des approches différentes privilégiées par les assureurs

Comparer les offres impose de comprendre les différentes « philosophies » portées par les assureurs. Groupama, leader du marché, propose une assurance par nature de récolte (par exemple le blé d’hiver, ou le colza d’hiver). Dans ce type de contrat, pour toucher des subventions européennes, il faut qu’au moins 70 % de la surface totale des cultures de vente soient couverts.

« Notre produit permet de se couvrir contre seize aléas climatiques avec une franchise de 25 % à la culture, et 10 % à la parcelle pour la grêle, explique Frédéric Chaudé, responsable pôle technique agricole chez Groupama Paris Val de Loire. Le niveau de couverture peut être ajusté en rachetant jusqu’à 15 % de rendement par rapport à la moyenne historique [sans rachat de franchise, NDLR]. Le prix est fixé librement par l’agriculteur à condition de pouvoir attester d’un prix de vente réel avec des documents comptables si l’on choisit un prix supérieur au barème de prix de vente fixé par le CNGRA(2). Nous considérons que cette combinaison permet de couvrir ses coûts de production à un tarif raisonnable. Nous incitons les agriculteurs à assurer 100 % des cultures car on ne sait pas à l’avance laquelle pourrait être endommagée par un éventuel accident climatique. Le but de l’assurance récolte n’est pas de déclencher une indemnité tous les ans. Ce n’est pas un outil de lissage de résultat, mais un outil anti-coup dur. »

Un raisonnement à l’échelle de l’exploitation

Une stratégie anti-coup dur, c’est aussi l’approche défendue par Crédit agricole Assurances, challenger de Groupama sur le marché. Toutefois, si l’assureur propose lui aussi des contrats à la nature de récolte (représentant 80 % de son portefeuille), il promeut une approche à l’exploitation. « Nous conseillons aux agriculteurs de raisonner à l’échelle de l’exploitation, confirme Jean-Michel Geeraert, directeur du marché de l’agriculture et de la prévention de Pacifica. Nous estimons le chiffre d’affaires historique de la ferme sur la base des rendements historiques de chaque culture et du prix que l’exploitant souhaite assurer. L’agriculteur peut ensuite définir le niveau de perte de ce chiffre d’affaires qu’il est capable de supporter et choisir la franchise la plus adaptée. C’est un raisonnement plus lisible qu’une approche chirurgicale nécessitant de disséquer la marge culture par culture. C’est aussi 30 à 40 % moins cher qu’un contrat similaire à la nature de récolte. »

Épargne et endettement détermineront le niveau de franchise. Elle pourra être de 20 % pour les fermes les plus robustes, et descendre à 5 % pour les exploitations les plus exposées. Selon l’assureur, une assurance à l’exploitation dans la région Est pour un assolement de 150 hectares (blé, colza, maïs, orge et betterave) revient à 1 250 euros (aide déduite) pour une franchise de 20 % et un prix basé sur le barème national. Un tarif encore plus bas pour les jeunes agriculteurs, qui bénéficient de remises importantes cinq ans après leur installation.

Développer le déploiement de l’assurance pour renforcer la mutualisation

Un nouvel entrant sur le marché propose une autre vision de l’assurance récolte. L’offre de Bioline Insurance, filiale d’InVivo, vise « une protection du revenu avec un seuil de déclenchement bas », explique Florian Dupuy, son directeur. Elle combine couverture à la nature de récolte et franchise basse, de 10 ou de 15 %. « Cette initiative est basée sur une notion de mutualisation forte, explique Florian Dupuy. En baissant le niveau de franchise, on réintéresse un grand nombre de producteurs, et l’on s’appuie sur la capacité d’InVivo de diffuser ce produit partout en France au travers des coopératives, ce qui permet une diversité géographique. » Le but : éviter la contractualisation de l’assurance uniquement dans les situations les plus risquées, ce qui fragilise le système. L’assureur met en avant « une offre simple plutôt qu’un produit avec de nombreux tiroirs où l’on finit par se perdre ».

Le rendement retenu est la moyenne olympique, sans rachat possible. L’offre, plutôt agressive, a généré des doutes quant à sa pérennité au sein de la filière, renforcés par le départ du réassureur l’été dernier. « La procédure est en cours pour choisir un nouveau réassureur, assure Florian Dupuy. Et 80 % de nos souscriptions proviennent d’agriculteurs qui n’étaient pas auparavant assurés en multirisque climatique, ce qui prouve la pertinence du modèle. Notre but est d’augmenter le taux de pénétration de cette assurance. »

Au-delà du cas de Bioline Insurance, le déploiement de l’assurance récolte à une plus large échelle apparaît nécessaire à l’ensemble des acteurs du marché pour accroître l’assiette des cotisations. La rentabilité de ce produit n’est en effet pas au rendez-vous, y compris chez les assureurs historiques. Les mesures de pérennisation de cet outil seront au cœur des négociations sur la prochaine PAC… assurément.

(1) Assemblée permanente des chambres d’agriculture.
(2) Comité national de gestion des risques en agriculture.

"À l’agriculteur de voir à quel niveau il veut se protéger et de se tourner vers les assureurs pour chiffrer le coût de l’assurance récolte avec ses propres données "

Marine Raffray, agroéconomiste à l’APCA

« Le prix ne devrait pas être un frein à l’assurance récolte »

Dans de nombreuses situations, le prix de la multirisque climatique est proche de celui de l’assurance grêle, une fois les aides déduites.

« Il existe beaucoup de préjugés sur l’assurance récolte, mais cela vaut la peine de se pencher sur la question, estime Éric Quineau, du cabinet CBL experts Fiteco, membre du groupement AgirAgri. Il faut faire réaliser des devis, et regarder le prix net aide déduite. Au final, ce n’est pas si cher. Le prix ne devrait pas être un frein. » Même son de cloche de la part d’Olivier Bohn, conseiller d’entreprises spécialisé dans la gestion des risques à la chambre d’agriculture de Moselle. « Si l’on prend en compte la subvention européenne, le surcoût de l’extension multirisque climatique couvrant de nombreux aléas n’est que de quelques euros à l’hectare par rapport à une assurance grêle, souligne le conseiller. Malheureusement, on n’en a pas toujours conscience car l’aide est versée plus d’un an après avoir payé la cotisation. » D’après ses calculs, pour la région du grand Est ou l’Aquitaine, l’assurance multirisque climatique « de base » (c’est-à-dire l’assurance socle qui implique une franchise de 30 %, un rendement olympique et un prix fixé par le barème national) coûte 20 à 22 euros à l’hectare sur un blé pour un capital assuré de 1 200 euros (soit un rendement de 75 q/ha à un prix de 160 €/t). Une fois déduite la subvention, la part restant à la charge de l’agriculteur est de moins de 10 euros/hectare, contre 15 euros/hectare pour l’assurance grêle seule. Dans le cadre du contrat « socle », le sinistre grêle intégré à la MRC s’évalue à la culture, et non à la parcelle comme c’est le cas pour un contrat grêle traditionnel. On peut toutefois opter pour un contrat mieux-disant que le contrat socle en y ajoutant des options. Dans la configuration d’un contrat avec rachat de franchise à 25 % (10 % pour la grêle), la cotisation de la MRC dans ces mêmes conditions passe à 35 euros/hectare avec 15 euros/hectare de subvention, soit un net à charge de l’agriculteur de 20 euros/hectare. Chez Groupama, cela permet la prise en compte de la grêle à la parcelle, comme c’est le cas dans les contrats grêle « solo ». « Pour environ 5 euros/hectare de plus que le contrat grêle, on bénéficie d’une offre tous risques avec une franchise à 25 %, souligne Olivier Bohn. C’est à rapprocher du coût d’un passage fongicide qui ne s’avère pas toujours utile. »

Avis d’exploitant : David Eymard, agriculteur à Trancrainville, Eure-et-Loir

"On ne s’assure pas pour gagner de l’argent mais pour faire face à un coup dur"

"En 2015, j’avais fait un diagnostic pour étudier la pertinence de l’assurance récolte. Compte tenu de la présence de l’irrigation, nous avions jugé qu’elle n’était pas indispensable. Mais l’année 2016 nous a montré que les aléas climatiques ne se résument pas au risque sécheresse et de gel : jamais personne n’aurait imaginé de telles quantités de pluies et un tel manque de rayonnement à la fin du printemps ayant un impact dévastateur sur la productivité de nos récoltes. Le Crédit agricole Val de France a su réagir rapidement en permettant l’octroi de prêt de trésorerie mais cela alourdit la dette financière de l'exploitation et peut engendrer un décalage des investissements prévus. Dès 2017, j’ai pris une assurance chez Pacifica avec un rachat de franchise à 25 %. On peut avoir conduit la culture à l’optimum mais la météo reste le juge de paix. Les excès d’humidité de l’automne dernier ont déjà conduit certains agriculteurs à retourner des parcelles. Peut-être que l’assurance récolte ne se déclenche pas très souvent, mais on assure bien nos bâtiments contre l’incendie alors que cet accident est extrêmement rare. On ne s’assure pas pour gagner de l’argent mais pour faire face à un coup dur."

104 ha en grandes cultures (céréales, protéagineux, légumes de plein champ, betterave à sucre).

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