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Comment la filière cidricole s'adapte au changement climatique

Déjà impactée par le changement climatique, la filière cidricole mise sur la génétique et l’irrigation pour s’adapter aux évolutions à venir.

« La filière cidricole est marquée par deux grandes tendances, a souligné Rémi Bauduin, directeur technique et scientifique de l’IFPC, l’Institut français des productions cidricoles, lors des entretiens dédiés à ces cultures du Sival 2024. Une tendance forte est la réduction des intrants, avec 35 % du verger en bio et des risques d’impasse sur certains usages. Une autre est la nécessité de s’adapter au changement climatique, dont l’impact est déjà perceptible dans les vergers. » En effet, les sécheresses plus fréquentes, l’irrégularité de la pluviométrie et la hausse des températures bouleversent déjà la production et entraînent des stress aux arbres, des baisses de rendement, des dépérissements en jeunes vergers et une qualité de fruits irrégulière.

Comme la récolte est mécanique, des températures élevées lors des récoltes provoquent aussi des dégradations plus importantes des fruits avant le pressage. S’y ajoute une forte augmentation de la teneur en sucre des fruits et donc de la teneur en alcool des cidres. « En vingt ans, le taux d’alcool du cidre a augmenté d’un degré », constate Rémi Bauduin. Si des pistes d’adaptation existent avec l’irrigation, l’essentiel du verger est pour l’instant en régime pluvial. Les modifications de la conduite des vergers (agroforesterie, taille…), ainsi que les orientations génétiques paraissent donc aujourd’hui déterminantes. « Le choix des variétés et porte-greffes est une composante importante de l’adaptation du verger cidricole au changement climatique et à la réduction des intrants », souligne Rémi Baudoin.

Exploiter le réservoir des variétés locales

Depuis 1987, la création variétale pour la filière cidricole est réalisée par l’IFPC. « Mais les délais de réponse sont de 20 à 25 ans et le débit de travail est faible, avec la réalisation de cinq-six hybridations permettant la production de plus de 400 pépins par hybride par an », constate Rémi Bauduin. Depuis 1987, cinq variétés issues des premiers croisements ont ainsi été nommées et mises à disposition de la filière, dont Douce de l’Avent. Parallèlement, une démarche de sélection variétale a aussi été engagée dès 2005 à partir des obtentions variétales d’autres pays, notamment l’Espagne (Pays basque, Asturies) et le Royaume-Uni, un réservoir de variétés relativement faible toutefois. Mais un vivier plus important de variétés locales existe également et pourrait être exploité.

« Une réflexion est en cours pour prioriser les critères agronomiques et d’aptitude à la transformation », précise Rémi Bauduin. S’y ajoute le fait qu’il n’y a actuellement pas de protocole pour évaluer la résilience des variétés au changement climatique, uniquement des dires d’experts portant sur les variétés les plus répandues. S’y ajoutent encore un faible débit de criblage au niveau agronomique et un coût élevé de la caractérisation technologique (transformation) des variétés, pour laquelle les analyses sont sous-traitées.

Le projet Climcidre pour s’adapter

Fin 2023, l’IFPC a donc engagé le projet Climcidre, dont l’objectif est de sélectionner des variétés et porte-greffes plus adaptés au changement climatique. La première action portera sur le choix des porte-greffes, partant de l’hypothèse que la résilience au stress hydrique passe par un système racinaire plus performant. Deux dispositifs innovants seront testés : la culture d’arbres en pots en conditions contrôlées pour l’évaluation rapide de la tolérance au stress hydrique, et la comparaison de couples variétés/porte-greffes sur des parcelles d’essai dans des contextes climatiques extrêmes. L’autre action sera la mise en place de croisements axés sur l’adaptation au changement climatique et l’évaluation d’hybrides déjà obtenus, avec la recherche de géniteurs tolérants à la chaleur et à la sécheresse.

Enfin, des travaux seront menés pour améliorer le débit du criblage agronomique et technologique, avec la mise en place de parcelles d’évaluation « haute densité » (6 000 arbres/ha au lieu de 1 200 arbres/ha habituellement), ce qui permettra d’augmenter le nombre d’hybrides évalués et d’identifier des méthodes internalisées et rapides d’analyse de la qualité des fruits et des jus. « L’objectif pour 2027 est de valider des dispositifs d’évaluation plus rapides et d’intégrer le changement climatique dans la stratégie de création et sélection, résume Rémi Bauduin. Et à plus de dix ans, le programme devrait permettre de sélectionner des variétés cidricoles et des porte-greffes plus résilients au stress hydrique et d’identifier des porte-greffes d’intérêt. »

Développer l’irrigation

 

 
verger pommier cidre irrigation
Des expérimentations sont menées sur l’irrigation des vergers. © IFPC

Le développement de l’irrigation est également une autre piste pour adapter la production cidricole au changement climatique. Actuellement, seuls 10 à 15 % des vergers sont irrigués, principalement dans le sud du Morbihan et de l’Ille-et-Vilaine et en Pays de la Loire, où près d’un tiers des vergers cidricoles bénéficient de l’irrigation. Des travaux sont menés par l’IFPC pour comparer le goutte-à-goutte classique, les rampes suintantes aériennes ou enterrées, avec utilisation de sondes tensiométriques et capacitives.

« L’objectif est de donner les moyens aux producteurs de déclencher l’irrigation au bon moment grâce aux sondes, et d’avoir les apports les plus justes en eau », précise Denis Rouland, président de l’Institut français des productions cidricoles et de Cidres de Loire. La filière cherche aussi à bénéficier de l’expérience d’irrigation d’arbres fruitiers de la filière prune d’Ente et à s’inspirer des leviers actionnés par la filière viticole pour s’adapter au changement climatique. « L’accès à l’eau, qui risque d’être de plus en plus difficile, implique d’ajuster au mieux les techniques d’irrigation », souligne Rémi Bauduin.

Trois autres projets pour la filière cidricole

Créer une filière jus

 

 
jus de pomme
© IFPC

Le projet Jubilo (2023-2026), porté par l’IFPC avec la collaboration de l’ESA d’Angers, vise à accompagner le développement d’une filière Jus de pommes et de poires bas intrants et locales. Un des objectifs est de faire l’état des lieux des variétés potentiellement intéressantes pour la production de jus, notamment des variétés locales, avec des critères agronomiques, technologiques et sensoriels et la recherche de variétés moins riches en sucre et plus aromatiques. Des jus ont été réalisés à partir d’une quarantaine de variétés et sont en cours de caractérisation.

Comprendre l’impact des déficits hydriques

 

 
Comment la filière cidricole s'adpte au changement climatique
© IFPC

Lancé début 2024 pour trois ans et demi et porté par l’IFPC, le projet Casdar Confirm rassemble les filières cidricole, prune d’Ente et mirabelle du Grand Est. Il cherche à comprendre comment l’arbre répond aux stress hydriques pour adapter notamment le choix des variétés et porte-greffes à la stratégie d’irrigation. Un axe pour l’IFPC sera d’étudier la corrélation entre les sondes d’humidité dans le sol et les mesures de diamètre des branches, flux de sève et qualité des fruits, afin de développer des outils transférables aux producteurs.

Un observatoire du changement climatique

 

 
cidre - conditionnement
© V. Bargain

À partir de 2024 sera créé un observatoire de l’évolution de la qualité des fruits selon les zones et le climat : les données de sucre et d’acidité mesurées depuis vingt ans par l’IFPC et dans les cidreries y seront collectées et continueront à être recueillies. Et l’objectif est d’élargir le recueil de données à la texture des fruits, indicatrice de la teneur en jus, et à la teneur en polyphénols, responsables de l’astringence des cidres. Le but est de suivre les évolutions liées au changement climatique et d’imaginer des adaptations possibles (cépages plus acides, utilisation d’autres levures…).

Adapter les variétés à l’élévation des températures

L’augmentation des températures aura d’importantes conséquences pour les vergers. L’adaptation des variétés selon leurs besoins en froid et/ou en chaud devient nécessaire.

« Le changement climatique entraîne des anomalies l’été, au printemps, à l’automne et encore plus en hiver », souligne Bénédicte Wenden, d’Inrae. Les vagues de chaleur sont ainsi de plus en plus fréquentes. « En 2020, il y a eu 6 à 33 vagues de chaleur en Europe selon les pays, soit cinq fois plus qu’au XIXe siècle, précise la chercheuse. Et ce nombre pourrait être multiplié par neuf dans le cadre du scénario d’une augmentation de la température de 1,5 °C et par 40 dans le scénario plus probable d’une augmentation de 4 °C ». Ces vagues de chaleur plus fréquentes et ces températures plus élevées entraîneront une photosynthèse moins efficiente, la fermeture des stomates, l’avancée de la date de maturité, un retard et une réduction de l’initiation florale et des impacts sur la qualité des fruits (baisse de l’acidité, fleurs et fruits déformés, fruits brûlés, coups de soleil, moins bonne coloration).

 

 

Au printemps, l’augmentation des températures entraînera une avancée des dates de débourrement et de floraison, avec plus de risques de dégâts de gel, une désynchronisation avec les pollinisateurs et le décalage du cycle. À l’automne, le réchauffement se traduira par une période d’activité plus longue, avec de possibles effets de la sécheresse en fin de saison, et une entrée en dormance plus tardive. Enfin l’augmentation des températures hivernales, qui devraient connaître les plus fortes croissances, pourrait entraîner une trop faible accumulation de froid en hiver, provoquant un débourrement tardif, une floraison erratique, la chute de fleurs, une baisse de la qualité de floraison et du rendement et des modifications de la qualité des fruits.

Adaptation selon les zones

Le risque de non-satisfaction des besoins en froid pourrait ainsi augmenter et devenir problématique pour les variétés à fort besoin en froid, notamment, en France, pour tout l’ouest du pays, entraînant un retard de débourrement. Et en parallèle, l’augmentation des températures de printemps entraînera une avancée du débourrement dans les zones plus froides et donc plus de risques liés aux gelées tardives, notamment, en France, pour la partie est du pays. « Un enjeu est donc d’adapter la phénologie des arbres avec des variétés à moindres besoins en froid dans les zones chaudes et avec des variétés à plus forts besoins en chaud dans les zones froides », résume Bénédicte Wenden. Un autre enjeu sera l’adaptation aux contraintes hydriques, avec des variétés plus tolérantes à la sécheresse, mais aussi à l’éclatement des fruits.

Modification des pressions biotiques

Le changement climatique aura aussi un fort impact sur le cycle de développement des ravageurs et des virus, avec une modification des aires de répartition et l’augmentation de l’incidence de bioagresseurs déjà présents. Pour le carpocapse par exemple, la modélisation montre que le réchauffement climatique provoquera un décalage de son apparition, un allongement des phases et un risque d’apparition d’une 3e génération, entraînant l’augmentation des dégâts et l’expansion de la zone de distribution. Autre conséquence : l’augmentation du métabolisme des virus et de leurs vecteurs.

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