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Les leaders - Classement des 700
2000-2010 : crises et mutations de la filière

Une fois de plus, les conditions climatiques “normales” ont provoqué une crise de prix dans plusieurs filières fruitières, en France et dans d’autres pays d’Europe occidentale.

L’événement, si dramatique soit-il, n’est pas exceptionnel. Pas plus que les krachs boursiers ne le sont à l’industrie de la finance. Les déséquilibres passagers sont inhérents au fonctionnement libre des marchés libres. Cependant, les crises, lorsqu’elles sont graves ou répétées, deviennent davantage structurelles que conjoncturelles. C’est alors que, dans un mouvement aisément qualifié de “destruction créatrice” par les observateurs lointains, la mutation, le changement et la réforme s’imposent. A l’opposé des solutions de dépannage d’urgence (1), mises en œuvre dans la torpeur de l’été, les évolutions de fond se réalisent sur une longue période et mobilisent l’ensemble des forces sociales : “citoyens-consommateurs”, politiques, grandes firmes, PME, TPE et salariés. Voilà donc l’occasion, alors que l’adoption du Traité de Lisbonne est devenue une réalité à 27 et que l’engagement dans une UE libérale est donc presque constitutionnel, d’examiner le cas des fruits et légumes frais.

Des contraintes agricoles éternelles, une ligne politique ayant muté
Il ne s’agit pas de développer un cours ou une théorie sur les marchés agricoles, mais de rappeler que les crises agricoles liées au déséquilibre entre l’offre et la demande sont inévitables. L’histoire agricole et politique est émaillée de l’alternance de périodes d’abondance et de pénurie. Plus d’une révolution a été due à de mauvaises récoltes, plus d’une faillite a été due à la surproduction. Les actions politiques de régulations sont vieilles comme l’Egypte antique. En Europe occidentale et notamment en France, les formes que nous avons tous connues depuis le début de nos vies professionnelles sont inspirées des mesures de régulations de 1936, année de création de l’Office national interprofessionnel du blé.
La filière des fruits et légumes frais est particulièrement sujette et sensible aux déséquilibres pour trois raisons techniques bien connues : une grande sensibilité de la production au climat (qui influence les volumes, la qualité, les dates de maturité et donc de récolte) une non moins grande sensibilité de la demande face au même climat (l’envie de fruits est brimée par une succession de jours pluvieux, le gel stimule la demande de pot-au-feu mais handicape la récolte des poireaux, etc.) et la grande périssabilité de certains produits. C’est pourquoi les opérateurs de la filière connaissent concrètement le concept de volatilité des prix, que les producteurs de blé ou de lait n’ont découvert que très récemment.
Les outils mis en œuvre pour “réguler” le marché ont cependant été longtemps inspirés par les mêmes concepts que dans les autres filières agricoles : de 1962 à 1996, l’axe principal de la politique européenne a été de soutenir les prix par l’intervention publique sur les marchés. Le virage à 180° de la Pac, annoncé dès la fin des années 80, engagé en 1992 (1996 pour les fruits et légumes) s’achèvera en 2013. Il est sous-tendu par un changement radical de “paradigme” pour ne pas dire de ligne idéologique.
La théorie du “bien-être général” établit que la meilleure allocation possible des ressources résulte d’un fonctionnement absolument libre du marché : cela s’oppose donc à la ligne interventionniste qui vise à corriger les errances du marché. Sur le plan “théologique”, les premiers pensent que le marché a toujours raison et que toute tentative de correction est vaine et perverse. Les seconds pensent que le marché est un bon système mais qu’il convient de maîtriser ses excès, toujours destructeurs. La politique qui est en cours de mise en œuvre, dont les caractéristiques s’épurent à mesure que les oripeaux de l’ancienne croyance sont abandonnés et dont les pleins effets sont encore à venir, constitue la principale mutation contextuelle que doit affronter la filière, très sensibles aux caprices du marché (2).
La question posée en 2009 par un grand nombre d’organisations professionnelles est de savoir comment maintenir un minimum de régulation sur les marchés agricoles, seul moyen de préserver le modèle et le potentiel agricoles actuels. Quels seront les effets concrets pour les filières de la vieille Europe, quels sont les dangers, les ouvertures ?

De la fin du processus de libéralisation à l’adaptation des filières
La modification des systèmes de soutien n’est pas la seule évolution majeure qui accompagne la mise en place d’une économie libérale. En Europe, la mise en place du marché unique est une autre longue marche engagée au début des années 90. Elle est passée par des simplifications administratives, par la mise en place de l’euro, par l’élargissement soudain de 15 à 27 Etats membres avec l’ouverture d’un potentiel énorme de production dans les nouveaux Etats membres (la Pologne est au premier rang des producteurs de pommes, par exemple).
Elle passe aussi par un accès facilité au marché européen. Entre 2000 et 2007, le déficit de l’Union en légumes (frais et congelés) a reculé de 4,2 à 2,1 millions de tonnes, le déficit en fruits frais et secs a plongé de 7 à 10 millions de tonnes. La banane (+ 800 000 Kt) les agrumes (+ 400 Kt) et les autres exotiques (+ 700 Kt) réjouissent toujours davantage les palais des consommateurs européens.
Elle passe par l’internationalisation des entreprises : le commerce intracommunautaire se banalise chaque jour d’avantage et quelques grandes entreprises, Univeg en tête se sont constituées en groupes d’échelle européenne, par croissance externe.
Elle passe enfin par un long mouvement d’homogénéisation des choix de consommation : la pomme de terre française a profité de cette dynamique, mais aussi des filières comme celle de la laitue Iceberg, de la tomate, etc.
L’engagement des Pouvoirs publics a reculé et reculera encore, non seulement pour la régulation des marchés, mais aussi pour le soutien direct, dont une des perspectives les plus probables pour l’après 2013 est un découplage (presque) total. A faire cet énoncé, on comprend que le mouvement est loin d’être arrivé à son terme. Au sein de l’Union, le prochain défi semble être celui du modèle “agricole et social”. On sait que la question des coûts de main-d’œuvre est fondamentale dans celle de la compétitivité relative des filières. Dans les pays à coût de main-d’œuvre élevé, seules les productions très mécanisées ont été en mesure d’améliorer leur position relative, les autres se bornant à des stratégies de résistance. Là où les coûts s’abaissent, par remise en cause des standards sociaux et/ou emplois de travailleurs des nouveaux Etats membres, les filières connaissent un nouvel essor. L’espoir d’une égalisation des coûts de main-d’œuvre “par le haut” s’éloigne à mesure que le champ géographique de la concurrence s’élargit. Ce faisant, l’avantage revient aux exploitations les plus grandes ou aux ensembles au sein desquels le couple production-expédition est le plus efficace, sur l’échelle la plus large. Ainsi le modèle d’exploitation “à taille familiale” et celui d’une rémunération élevée ou simplement correcte du travail perdent de leur pertinence. Ils sont, sur le fond, contraires à l’objectif de compétitivité, central dans les politiques de l’UE. Ils se borneront, à terme, à satisfaire des segments (qualités spécifiques, circuits locaux).
L’adaptation du tissu productif passera-t-il, dans certains Etats membres – dont la France – par une remise en cause profonde des conventions sociales, telles que le salaire minimum et les cotisations sociales.
D’aucuns pensent que le recentrage de la consommation sur la production locale est une réponse au défi humain majeur (quoique négligé par les chefs d’Etat) qu’est le climat. Tant que tous les “bilans carbone” ne seront pas établis, vérifiés, proclamés et connus d’une majorité de citoyens, le choix dominant des détaillants et consommateurs restera le rapport qualité/prix, ou la qualité se définit par la présentation et en second par la saveur.
Il reste quelques années pour imaginer les voies d’adaptation et réussir leur mise en œuvre. Il ne s’agit pas, dans ce petit article, de les énoncer. On se bornera, pour conclure, de proposer quelques idées :
-  mieux vaut s’imaginer dans le contexte concurrentiel de demain (le libéralisme de moins en moins tempéré, un marché mondial totalement ouvert) que dans celui d’hier ;
- l’ouverture plus grande des marchés implique une internationalisation des goûts, des concepts, des réseaux, des marques, elle va provoquer des ruptures et la disparition de certaines activités ou spécialités mais donnera aussi la possibilité, pour certaines filières, de se développer sur un grand marché ;
- les stratégies “nationales” perdront progressivement de leur efficacité et s’effaceront derrière les stratégies d’entreprises. L’action professionnelle “à la française” ne se projettera que faiblement à l’échelle de l’Union, en revanche les dynamiques d’entreprises s’épanouiront dans les approches internationales ;
- les perspectives de régulation des marchés se comprennent au moins pour les situations de crise grave (la mémoire de l’ESB est toujours présente), mais un retour en grâce d’une politique puissante de “mesures de marché”paraît exclu à court terme et peu de temps après l’élection d’un Parlement Européen de majorité libérale.

(1) Vente au déballage, prix minimum, double affichage des prix, blocage des marges, dégagements caritatifs…
(2) La prochaine est la mutation climatique avec le déplacement des cultures méditerranéennes sur les rives de la Manche. Les experts climatologues annoncent ces changements avec un pas de temps de 20 à 30 ans, soit une durée comparable à celle de la PAC 1962-1992 ou des PAC 1992-2013.

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