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Emploi viticole : « Le contrat de professionnalisation fait gagner du temps »

Vincent Morandière, viticulteur en Charente-Maritime, a pu former puis embaucher une tractoriste grâce à un programme mis en place par la Maison Martell et la MFR Triac-Lautrait.

À l'issue d'un contrat de professionnalisation réussi au sein de l'exploitation de Vincent Morandière, Jessica a été embauchée en CDI.
À l'issue d'un contrat de professionnalisation réussi au sein de l'exploitation de Vincent Morandière, Jessica a été embauchée en CDI.
© C. Gerbod

Face aux difficultés de recrutement de personnel qualifié, Martell & Cie a développé avec la MFR (Maison familiale rurale) Triac-Lautrait le programme Ethnos, qui vise à former des personnes à un double certificat de qualification professionnelle (CQP) Ouvrier qualifié tractoriste de l’exploitation viticole. Le dispositif repose sur la capacité de la Maison Martell à recruter et sélectionner des personnes ainsi qu’à convaincre quelques-uns de ses 1200 vignerons partenaires de les accueillir pour un contrat de professionnalisation. Il se base aussi sur l’expertise de la MFR Triac-Lautrait quant à la formation viticole. D’une durée de quinze mois, la formation alterne une semaine de cours et trois semaines chez un vigneron partenaire.

Un dispositif adapté aux projets de reconversion

Le recrutement se déroule de juillet à octobre. C’est une phase cruciale. Au bouche à oreille et recommandations de viticulteurs partenaires s’ajoutent des campagnes ciblées déployées par la Maison Martell pour élargir le recrutement. Le programme s’adresse tout aussi bien à des personnes déjà dans la filière, par exemple des saisonniers souhaitant monter en compétences et décrocher un CDI, qu’à des candidats en reconversion professionnelle. « Les personnes en reconversion constituent une part importante des stagiaires », note Clémence Cornerotte, responsable de la communication externe chez Martell. Le service des ressources humaines, sans avancer de chiffre précis, estime que 80 % à 90 % des candidats sont en totale reconversion.

La reconversion était le souhait de Jessica, l’alternante accueillie par Vincent Morandière, viticulteur en AOP cognac à Saint-Georges-des-Agoûts, en Charente-Maritime. En l’occurrence, c’est lui qui a contribué à la sélection de la jeune femme pour le programme. Au départ, elle l’a contacté car elle souhaitait quitter le domaine médical pour un métier en extérieur. « J’ai essayé de la décourager », avoue-t-il. Mais après trois quarts d’heure de discussion, constatant sa motivation, il lui propose de faire une saison de tirage de bois, de décembre 2018 à mars 2019. Observant son envie d’apprendre, sa capacité « à s’accrocher, écouter, prendre les conseils et tenir le coup », il lui propose de revenir pour les travaux d’attachage. Ces premières expériences lui permettent aussi de mieux cerner la personnalité de la jeune femme, notamment son envie d’indépendance. Un élément qu’il a pris en compte par la suite dans son management.

Un entretien de sélection d’une heure

Entre-temps, une équipe de Martell, dont il est vigneron partenaire, lui parle du programme Ethnos. Il informe Jessica et la met en contact avec la maison de cognac. Le dispositif séduit la jeune femme. Le processus de sélection prévoit des réunions d’information et un entretien d’une heure avec le service des ressources humaines de Martell. « Nos équipes sont plus habituées à l’exercice de l’entretien de recrutement », remarque Julien Chadutaud, responsable technique chez Martell. Ce passage par la case du service des ressources humaines contribue à élargir les profils.

« Souvent, des personnes arrivent en expliquant qu’elles ont eu du mal à approcher les viticulteurs pour avoir une alternance ou un emploi. C’est souvent le cas des candidats qui n’ont pas le profil imaginé par les viticulteurs et qui ne viennent pas d’un univers agricole », remarque Clémence Cornerotte. Vincent Morandière confirme, en signalant qu’il était la vingtième exploitation appelée par Jessica. La sélection écarte aussi les « doux rêveurs ».

L’étape de sélection étant franchie, Jessica a pu commencer son contrat de professionnalisation en novembre 2021. Vincent Morandière juge qu’il leur a fait gagner du temps. « Nous, on sait expliquer ce que l’on fait mais c’est plus long d’exposer pourquoi on le fait, surtout lorsque la personne ne vient pas du milieu agricole et viticole », développe-t-il. La MFR Triac-Lautrait assure cette base théorique, gage d’une meilleure intégration du savoir-faire. Les formateurs de la MFR effectuent un suivi en venant visiter l’exploitation en début, milieu et fin de parcours. « C’est rassurant pour un apprenant de ne pas être seul face à son employeur, surtout quand c’est un nouveau métier », observe Vincent Morandière. La durée de quinze mois permet de revenir sur la taille, ce que le vigneron trouve particulièrement judicieux. Il évoque aussi l’aide non négligeable de 8 000 euros perçue à l’époque par l’employeur.

Un travail d’encadrement et de transmission

La formation s’est passée « au-delà de mes espérances. Son passé hors domaine agricole est enrichissant. Jessica venait du médical où les choses sont cadrées, précises, organisées et ou si l’on fait des bêtises, on agit pour les corriger tout de suite », apprécie le vigneron. Autant de réflexes qu’il trouve adaptés au métier viticole.

Si la réussite repose sur la motivation de l’alternant, elle tient aussi à l’accueil et l’organisation de l’entreprise. « J’ai essayé de donner des consignes et des objectifs clairs. Il faut beaucoup de communication, de dialogue, et de la liberté de parole. On est dans l’échange, le partage. Il n’y a pas de question bête, insiste le vigneron. Il faut que les deux parties y trouvent un intérêt. Chacun doit savoir à quoi s’attendre ».

Dès le début, Vincent Morandière avait fait part à Jessica de son souhait de pourvoir un poste de tractoriste. « Je cherche des profils complémentaires, de façon que chacun ait un domaine où il puisse se valoriser », précise-t-il.

Aucune certitude pour autant sur l’après CQP. « Je n’étais pas sûre que le métier lui plaise, que l’entreprise lui convienne et qu’elle reste à l’issue de l’alternance », relate Vincent Morandière. Mais il était convaincu de la capacité de son alternante à progresser et à prendre en charge le poste qu’il lui destinait. « J’ai été honnête, se remémore-t-il. Je lui ai dit qu’elle devait encore évoluer sur certains points en deux à trois ans pour être au niveau de compétence d’une très bonne ouvrière qualifiée. Dans ma proposition d’embauche, j’ai tracé une évolution de poste et de salaire sur trois ans. Je lui ai aussi dit qu’elle n’était pas prisonnière et pouvait postuler ailleurs. » Après une semaine de réflexion, Jessica a accepté. Cette année, la jeune femme a vécu sa troisième vendange au domaine. Elle s’apprête à passer à quatre jours de travail hebdomadaire pour développer un projet personnel.

En trois éditions, le programme de Martell et de la MFR Triac-Lautrait a formé 35 personnes. « Toutes ont été diplômées et ont trouvé un emploi dans la filière cognac », assure Clémence Cornerotte. Les domaines Jean Martell ont contractualisé avec deux d’entre elles. Le groupe de 12 alternants en cours de formation ne devrait pas non plus avoir de difficultés d’embauche.

« Nous cherchons à impliquer tout le monde », Régis Narfit, formateur viticulture à la MFR Triac-Lautrait.

« Dans ce programme, Martell recrute les candidats et nous délègue la formation. Nous formulons un avis lors de l’entretien de recrutement. Les viticulteurs et les apprenants reçoivent chacun une ou deux propositions. Les viticulteurs s’attachent avant tout au savoir-être du candidat. Ils investissent dans une personne avec l’espoir qu’elle restera dans leur entreprise. Nous cherchons à impliquer tout le monde. Nous organisons des formations au tutorat d’une journée pour la personne désignée comme tuteur de l’alternance. Elles peuvent être financées.

Quelques apprenants ne vont pas jusqu’au bout. La motivation compte, ainsi que le projet, parfois un peu flou. Nous délivrons un diplôme, pas une attestation de formation. Il peut y avoir une validation partielle si le jury repère un manque de pratique. Cela peut venir de l’investissement de l’apprenant ou parfois aussi de l’encadrement, lorsqu’il n’a pas eu le temps ou la capacité d’impliquer le candidat sur certains travaux. Notre enseignement est dense puisqu’il suit tout le cycle de la vigne. Il ne peut pas, seul, rendre la personne autonome. Le diplôme est validé par un temps de pratique complémentaire. Tous nos diplômés trouvent du travail en CDI. Ce CQP correspond à un besoin du territoire. »

repères

Vignoble Morandière

SURFACE 42 hectares

ENCEPAGEMENT ugni blanc, sauvignon, merlot, cabernet sauvignon

DENOMINATIONS AOP cognac, AOP pineau-des-charentes, IGP charentais

COMMERCIALISATION contrat pour le cognac, vente directe

EMPLOI 3 salariés, 1 occasionnel

CERTIFICATIONS HVE et Certification environnemental cognac (CEC)

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