Éleveuses en bovins viande : les atouts de l’élevage au féminin
Tandis que la mécanisation et l’automatisation compensent le déficit physique des femmes, les éleveuses démontrent leur capacité à faire évoluer le métier grâce à une relation nouvelle au travail et aux animaux.

« Je suis persuadée qu’une femme peut réussir autant qu’un homme dans ce métier. Être éleveur, ce n’est pas genré », assure Sabine Delbosc-Naudan, éleveuse de limousines dans l’Aveyron. Un avis partagé par Angélique Lambert, éleveuse de charolaises en Loire-Atlantique. « Aujourd’hui, avec l’automatisation des nouveaux équipements et la direction assistée dans les tracteurs, on peut tout faire, on n’a pas de problèmes d’efficacité sur une ferme », estime l’agricultrice.
Non seulement les femmes sont aussi capables que les hommes, mais, par certains aspects, elles font progresser la profession. C’est notamment le cas sur des enjeux essentiels tels que la réduction de la pénibilité et des risques du travail, le bien-être animal, ou encore l’attractivité du métier pour les nouvelles générations.
Parce qu’elles ont moins de force physique que les hommes, les femmes vont naturellement chercher des solutions pour réduire la pénibilité du travail. « Face à une difficulté, les femmes ont trois solutions : forcer et se faire mal, demander de l’aide à des hommes, ou transformer, adapter la tâche, voire changer de pratique et innover, analyse James Hogge, sociologue, chargé de mission Femmes en élevage à l’Idele. Ces innovations bénéficient ensuite à tout le monde. »
L’anticipation plutôt que le « on verra bien ! »
Les femmes innovent également en matière d’organisation et de rationalisation du travail. « Il existe des astuces simples pour limiter le port de charges par exemple, comme de déplacer un silo pour avoir moins de pas à faire en portant des seaux pour aller nourrir les bêtes », note Sabine Delbosc-Naudan.
« Le "on verra bien" des hommes, cela m’énerve ! », s’agace Angélique Lambert. Avant une intervention avec des animaux, l’éleveuse préconise au contraire de se mettre préalablement d’accord sur qui fait quoi en fonction des réactions de l’animal. « Je crois que nous sommes plus calmes, plus patientes, alors que les hommes courent partout », confirme Héloïse Grot, qui aide régulièrement sa mère Véronique avec ses limousines à Louargat, dans les Côtes-d’Armor.

Les éleveuses développent aussi de nouvelles solutions autour de la gestion des animaux, favorisant leur bien-être ainsi que celui des humains. « Pour compenser ma plus faible force physique, j’ai dû développer sensibilité et patience », affirme Sabine Delbosc-Naudan. « Les femmes investissent davantage dans la docilité, avec un travail sur la génétique animale et l’imprégnation des jeunes animaux qu’il est prévu de conserver sur l’exploitation. Les interventions sont ainsi plus faciles », constate Magalie Cayon, responsable de la prévention des risques professionnels à la Caisse centrale de la MSA (CCMSA).
« Quand je suis arrivée dans ce métier, on m’a dit "pas d’attachement, pas de sentiment", raconte Angélique Lambert. Dans cet esprit, on ne donne pas de nom à nos animaux. Mais en réalité, on travaille avec nos sentiments et notre sensibilité. » Dans les enquêtes réalisées auprès des éleveuses sur le choix de leur métier, ce sont d’ailleurs « les contacts avec les animaux » qui ressortent comme première motivation.
La sensibilité aux animaux, un atout pour l’installation des jeunes
En élevage, être sensible n’est pas un défaut. Cela peut par exemple permettre de repérer rapidement si quelque chose ne va pas. « Si un veau est malade, je le vois plus vite que mon mari », glisse Sabine Delbosc-Naudan. Pour Angélique Lambert, cette sensibilité est réciproque. « Nos animaux ressentent nos émotions et ils nous reconnaissent, assure l’éleveuse. Quand on les appelle, ils viennent. Cela nous est utile dans le marais, quand les troupeaux se mélangent. »
Cette attention particulière au bien-être des animaux et des humains rend les éleveuses plus précautionneuses en matière de sécurité. Au point d’être parfois qualifiée de « chiantes », selon les mots d’Angélique Lambert. « Quand on déplace des bêtes, je dois batailler pour calfeutrer de mousse les barrières, pour éviter que les animaux aient des éraflures ».
Cette importance, apportée à ces notions de sensibilité et d’interactions avec les bêtes, peut être un atout pour attirer davantage de jeunes femmes dans le métier. « Les cours actuels sont en notre faveur, nous pouvons redonner de l’espoir, susciter des installations dans cette belle production », commente Véronique Grot. Angélique Lambert a même développé une méthode originale pour susciter des vocations. « Nous avons une filière cheval dans un lycée près de chez nous, et nous accueillons souvent des jeunes filles qui en sont issues, car elles doivent faire un stage en exploitation en première année. C’est l’occasion de leur montrer que les interactions avec les bovins sont aussi intéressantes qu’avec les chevaux et de leur parler du rôle de l’élevage dans le maintien du bocage et des espaces naturels. On leur explique aussi que le milieu agricole est plus accueillant pour elles que le milieu équestre. Et je crois qu’on a réussi à en convaincre quelques-unes ! »
Sentinelles du mal-être
« En matière de surcharge de travail, les femmes expriment les difficultés plus en amont que les hommes », constate Magalie Cayon, responsable prévention à la CCMSA. L’action « Et si on parlait travail ? » proposée par la MSA a ainsi été lancée à l’initiative d’éleveuses. « Ce sont aussi souvent les femmes qui nous alertent lorsqu’elles voient que leurs maris ou leurs frères ne vont pas bien. Ce sont des sentinelles pour la santé mentale de tous les agriculteurs. »